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Moetai Brotherson : "L'indépendance n'est plus un sujet tabou"


Tahiti, le 12 juin 2022 – Le député sortant et candidat du Tavini dans la troisième circonscription, Moetai Brotherson, s'est plié à son tour à l'entretien d'entre-deux-tours proposé par Tahiti Infos aux candidats en lice pour les législatives. Il revient en détails et pour balayer quelques idées reçues et "fantasmes" sur un sujet revenu au goût du jour dans cette campagne : le discours indépendantiste et le processus d'autodétermination.
  
Vous avez terminé à quelques centaines de voix devant le candidat du Tapura, Tuterai Tumahai, au premier tour des législatives. Est-ce que c'est une satisfaction et où allez-vous chercher des voix supplémentaires en vue du second tour ?
 
"Je suis satisfait de mon score. On a amélioré les résultats du Tavini dans les trois circonscriptions. On a quand même progressé de 6 000 voix, quand le Tapura perd 2 000 voix. À titre personnel, je suis satisfait parce que Faa'a a encore démontré que… Faa'a c'est Faa'a. Il ne faut pas venir nous chatouiller là-dessus. Par contre, à Punaauia on arrive en tête pour la première fois. Et ça je peux vous dire que c'est une vraie satisfaction et que ça a boosté nos militants."
 
Sur ces deux communes particulièrement. On remarque tout de même qu'à Faa'a l'abstention est restée très forte malgré la présence d'un candidat favori originaire de la commune…
 
"Je pense que c'est justement parce que les gens se sont dit qu'il y avait un candidat favori qu'ils se sont dits : 'On ne s'inquiète pas, de toutes façons il va passer donc on ira voter au deuxième tour'. Pour le reste de la troisième circonscription, il y a d'autres facteurs. Il y a le fiu de la politique. Il y a le long week-end. Cette abstention est quand même au même niveau qu'en 2017, donc ce n'est pas non plus une chute. Et puis c'est équivalent à ce qu'il y a en métropole."
 
Et sur Punaauia pour continuer, il faut également noter que vous devez votre bon score à la division des voix entre Tuterai Tumahai et Nuihau Laurey…
 
"On peut l'interpréter comme ça. Je ne sais pas d'où viennent les voix de Nuihau Laurey. Je ne sais pas si lui-même le sait. Est-ce que ce sont des déçus du Tapura ? Est-ce que, comme le dit Gaston Flosse, il a syphonné les voix du Amuitahira'a ? Il y a peut-être aussi quelques voix indépendantistes… En tous cas, c'est une nouvelle force politique qu'aujourd'hui on ne peut pas ignorer."
 
Sur le fond du programme du Tavini, il y a une question un peu oubliée du premier tour et qui revient dans cette campagne avant le second tour. C'est la question idéologique autour de l'opposition autonomie-indépendance. Le Tapura replace aujourd'hui ce sujet au cœur de la campagne et vous êtes critiqués sur votre manque de "clarté" sur cette question par les nouveaux partis souverainistes comme le Amuitahira'a ou le Hau Maohi Tiama. Est-ce que vous considérez avoir mis de l'eau dans votre vin dans votre discours en faveur de l'indépendance durant cette campagne ?
 
"C'est toujours un peu comique, quand on est l'original, d'être critiqué par les copies. Il faut quand même se rappeler que le parti qui, depuis 1977, défend l'indépendance, c'est bien le Tavini Huiraatira. Est-ce qu'on a mis de l'eau dans notre vin ? Non, je pense que quand le vin est bon dès le départ, il n'y a pas besoin de rajouter de l'eau."
 
Est-ce que vous craignez que ce repositionnement de la campagne puisse porter préjudice aux candidats du Tavini, lorsqu'on connaît le rapport de force historique entre l'électorat autonomiste et indépendantiste en Polynésie ?
 
"On a fait un premier tour où je crois qu'il n'y avait aucun doute dans l'esprit de personne que les trois candidats du Tavini sont indépendantistes. Et on est tous les trois au second tour. Je pense qu'il y a une évolution dans l'esprit des Polynésiens. L'indépendance n'est plus un sujet tabou. On a démontré, déjà en 2017 avec cette première victoire aux législatives, que c'était possible et qu'être un député indépendantiste ce n'était pas être un mangeur de bébés blancs. Ce n'était pas aller se comporter comme un sauvage à l'Assemblée nationale. C'était aller y faire de la politique dans ce qu'elle a de noble et représenter les Polynésiens et Polynésiennes avec honneur et dignité."
 

"L'hémicycle n'est pas le lieu pour aller crier : Ti'amara'a !"

Vous qui êtes député depuis cinq ans, comment porte-t-on le discours indépendantiste à l'Assemblée nationale et peut-on même le faire ?
 
"L'hémicycle, à mon avis et c'est ce que je disais déjà en 2017, n'est pas le lieu pour aller crier : 'Ti'amara'a !' Ce n'est pas là que ça se passe. L'indépendance, on va la bâtir ici avant tout. Ce sont les Polynésiens qu'il faut convaincre et ce sont les Polynésiens eux-seuls qui choisiront un jour de redevenir indépendants. En revanche, c'est une tribune. Et c'est le lieu où il y a 577 représentants du peuple français qu'on peut aller rencontrer. J'ai fait le calcul, en cinq ans je n'ai pas pu les voir tous, mais j'en ai rencontré 302. À la cafétéria, autour d'un sandwich, dans mon bureau… Pour leur expliquer simplement notre situation. La plupart ne connaissent pas notre histoire. Certains n'étaient pas au courant qu'il y avait eu des essais nucléaires ici… Une fois qu'on a eu cette discussion, calme et sans animosité, juste pour expliquer notre histoire et l'origine du mouvement nationaliste et indépendantiste ici, on se rend compte qu'un grand nombre de députés ne sont pas opposés à l'idée à tout le moins de l'auto-détermination. La plupart de ces 302 députés avec qui j'ai discuté me disent qu'il est tout à fait normal que nous ayons la possibilité de faire le choix. Après je pense que la plupart d'entre eux espérerait que ce choix soit de rester Français. Je ne vais pas le leur reprocher, ils sont Français. Je ne vais pas reprocher au gouvernement en place, à Emmanuel Macron ou à quelque président que ce soit, de ne pas être en faveur de l'indépendance. Ce n'est pas leur rôle. Mais mon rôle à moi c'est celui d'expliquer à un maximum de gens, en métropole et ailleurs, que notre combat est juste et qu'il mérite d'être mené."
 
Si l'Assemblée nationale n'est pas le lieu idéal pour ce combat, il y a tout de même dans votre profession de foi la reconnaissance du processus d'autodétermination engagé depuis 2013 devant l'ONU et des "discussions tripartites" pour des accords de décolonisation et d'autodétermination à intégrer dans la Constitution française. Expliquez-nous en détails ce processus ?
 
"Ce sont des discussions tripartites entre l'État, la Polynésie et les Nations Unies. On ne peut pas, c'est ce qu'on dit depuis le début, s'engager dans un processus d'autodétermination ou de décolonisation dans une relation bilatérale. Parce que sinon, on a un État qui est juge et partie. Et puis parce qu'on a une asymétrie des forces en présence qui est juste incroyable. Il faut un arbitre externe et neutre. Et cet arbitre a été créé en 1945, ce sont les Nations Unies. Elles ont contrôlé et encadré toutes les indépendances des années 1960 et elles encadrent encore les processus de décolonisation. Au final, au Tavini, on est des gens très légalistes. On s'inscrit dans les outils démocratiques et légaux qui sont à notre disposition. On a écarté la violence dès le début et on est aussi dans le respect du droit international."
 
On entend souvent ce raccourci qui est fait sur l'ambition ou l'objectif du Tavini d'obtenir l'indépendance dès lors qu'ils seront élus ou au pouvoir. Mais ce que vous dîtes, c'est que ce processus d'autodétermination est à planifier sur un temps long ?
 
"Bien sûr. Il y a deux fantasmes qu'il faut évacuer. Le premier c'est : on veut être indépendants dès demain. Au fond de nous, oui on le voudrait. Mais on n'a pas de baguette magique et on est des gens pragmatiques. Le 19 juin, quand on aura gagné tous les trois, on ne deviendra pas indépendants. Pour ceux qui s'en inquiéteraient… Le deuxième c'est : quand on sera indépendants, on va chasser tous les blancs. Du moins ceux que l'on n'aura pas encore mangé… Eh bien non. Ce n'est pas comme ça. Au Tavini, je m'appelle Brotherson, il y a Chailloux, il y a Le Gayic, il y a Géros, il y a Mercier… On n'a jamais eu une vision ethnique de l'indépendance. On a une vision inclusive, qui consiste à dire qu'il faut admettre et reconnaître qu'ici et en Kanaky il y a des peuples premiers. Et on ne peut pas faire abstraction de ça. À partir de là, pour nous, le peuple qui va constituer cette nation indépendante n'est pas limité qu'aux gens qui peuvent remonter leur généalogie jusqu'à Taaroa. Ce serait absurde. C'est une vision beaucoup plus large et beaucoup plus inclusive. Et pour ce qui est du processus, nous n'avons pas de calendrier parce que ce calendrier doit être discuté avec tout le monde. Avec l'ONU et la France. On ne peut pas décider tout seul dans notre coin de cet échéancier. En revanche, on a les étapes."
 
Dans votre programme figure donc le sujet d'une modification de la loi constitutionnelle pour prévoir d'intégrer la Polynésie française dans la Constitution. Que permet cette mesure et peut-elle se porter durant la prochaine mandature en tant que député ?
 
"En général, les révisions constitutionnelles se font toujours en début de mandat. Réformer la Constitution, c'est un exercice qui est délicat. Il faut le faire avec sérieux et ça ne va pas arriver 36 fois dans le mandat. Donc, il ne faut pas se rater. Nous, ce que l'on veut, c'est à l'instar de la Nouvelle-Calédonie, de disposer d'un titre particulier dans cette Constitution. Seule, cette inscription dans la Constitution ne sert à rien. Comme il faut deux jambes pour se tenir debout, il faut en parallèle cette jambe constitutionnelle et cette jambe des Nations Unies. C'est pour cela qu'on demande 'en même temps' cette inscription dans la Constitution et la reconnaissance et la mise en place d'un processus de décolonisation et d'autodétermination. Ce que ça va permettre de faire ? Ça va permettre –et nous, cela fait longtemps qu'on le dit– de protéger l'emploi local, de protéger nos langues, d'affirmer notre identité mā'ohi ou encore de protéger notre foncier… On nous a quand même arnaqués depuis bien longtemps. Je me souviens en 2019 des beaux discours, d'une des candidates d'ailleurs, de la ministre en charge du Travail qui était porteuse de cette loi du Pays sur la protection de l'emploi local qui nous a expliqué avec beaucoup de brio et de conviction que le statut d'autonomie était tout à fait suffisant pour protéger l'emploi local. La même qui vient nous dire aujourd'hui qu'il faut la citoyenneté polynésienne. Donc, on nous a un peu arnaqués sur ce coup-là. Et ils essaient de nous refaire le même coup avec la protection du foncier. La fameuse loi du Pays des 1 000 %, qui va être invalidée parce que le haut-commissaire l'a déférée au Conseil d'État. (…) Et sur la défense de cette loi du Pays, on a entendu le même discours : 'mais non, l'autonomie permet tout à fait de faire ça'. Sauf qu'aujourd'hui, les mêmes demandent la citoyenneté polynésienne à la fois pour protéger l'emploi local et le foncier. Donc il faut être sérieux deux minutes."
 
Sur un autre pan de votre programme, on retrouve certaines propositions déjà formulées en 2017 : l'inéligibilité à vie des élus condamnés ou la légalisation du cannabis. Comment est-ce que vous comptez les mener à bien sur ce mandat et pourquoi ça n'a pas pu être fait sur le premier ?
 
"Sur la première proposition de loi, qui était dans mon programme en 2017 sur l'inéligibilité à vie des élus corrompus, vous n'avez pas idée à quel point j'y tiens. Pace que je pense que c'est quelque chose qui a pourri la vision de la politique chez nous. C'est un des éléments qui fait que les jeunes se désintéressent, voir sont dégoutés de la chose politique. C'est ce qu'ils me disent dans les meetings : 'Moi je vole une boite d'allumette, je finis à Nuutania. Eux volent des millions et ils sont toujours là aux élections'. Donc j'y tiens vraiment. Cette proposition de loi n'a pas été rejetée, elle a été renvoyée en commission. Ceci pour une raison précise, c'est que juste avant il y avait eu le vote de la loi Confiance, qui allaient dans le sens d'une plus grande probité des élus. L'argument qui m'a été opposé, je l'ai entendu et je le comprends, ça a été de me dire : 'on va d'abord tirer les leçons de la loi Confiance sur les cinq ans du mandat et en fonction du résultat, on verra s'il faut aller jusqu'à ta loi'."
 
Est-ce que c'est crédible de penser que ces propositions de lois pourront être étudiées lors de la prochaine mandature ?
 
"Oui, elles le seront puisqu'elles sont en commission. Ça fera partie des premières propositions de loi qui seront réinscrites à l'agenda. La proposition de loi sur le cannabis, je l'ai déposée le 15 mars. Elle a été validée par le bureau de l'Assemblée. Elle est recevable techniquement. Et elle sera examinée, je pense, dans la toute première année du mandat."
 

Les résultats du premier tour dans la troisième circonscription


Rédigé par Vaite Urarii Pambrun et Antoine Samoyeau le Dimanche 12 Juin 2022 à 21:00 | Lu 2791 fois