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Macron et 193, le dialogue inattendu


Tahiti, le 27 juillet 2021 – Le Président de la République a surpris son monde en s'arrêtant mardi midi en bord de route à Moorea pour dialoguer pendant un peu moins d'un quart d'heure avec les militants de l'association 193 sur les conséquences des essais nucléaires. Emmanuel Macron a tenu un discours très fort de reconnaissance des erreurs de l'État sur le sujet, visiblement apprécié par les manifestants qui ont même applaudi le chef de l'État à son départ.
 
C'est véritablement l'événement le plus inattendu et le plus marquant de la visite officielle du Président de la République en Polynésie française. Mardi midi, à son arrivée à Moorea pour visiter le Criobe et le Fare Natura, le chef de l'État est passé devant une nouvelle manifestation de l'association 193 et du Tavini, installée à la sortie du quai de Vaiare. Mais cette fois-ci, sous les huées des manifestants, Emmanuel Macron est descendu de sa voiture pour échanger avec les militants et notamment la vice-présidente de l'association, Léna Normand, et son ancien président, Frère Maxime.
 
“Je suis ici pour que vous que vous puissiez me faire passer votre message”, a entamé Emmanuel Macron, devant les caméras de nos confrères de Polynésie la 1ère, présents pour couvrir la manifestation et qui ont immortalisé la totalité de cette séquence improvisée. Léna Normand a alors exposé au Président de la République la demande de “pardon” et de “prise en charge de l'ensemble des dépenses passées et futures par la CPS” pour les cancers liés aux essais nucléaires. Sous quelques invectives au départ, le dialogue s'est peu à peu apaisé, pour durer un peu moins d'un quart d'heure. “Merci de me le dire ainsi”, a entamé le chef de l'État, rappelant la démarche de la table ronde sur le nucléaire où “pour la première fois, on a aussi eu une discussion où on a ouvert les livres”. Mais surtout, le Président a d'emblée reconnu les lacunes et les écueils de l'État sur le sujet du nucléaire. “Là où je reconnais totalement les choses, c'est qu'il y a eu pendant très longtemps du silence. Un refus de partager même l'information, d'assumer les choses et d'être transparent”.
 

​"Vous avez raison, c'est trop lent"

“Sur les indemnisations, vous avez raison, c'est trop lent. Et il y a aujourd'hui des gens qui sont dans la détresse”, a également reconnu le Président de la République. Mais dans le même temps, le chef de l'État s'est refusé à s'engager sur un chèque en blanc pour indemniser la CPS sur les dépenses liées aux maladies radio-induites. “Dire que, parce qu'il y a eu des essais, la totalité de la CPS doit être prise en charge, ce serait fou. Parce qu'à ce moment, ce serait dire que toute politique de santé est liée aux essais et on ne prend pas en compte qu'il y a d'autres maladies et d'autres sujets de santé publique. Si je vous disais ça, je serais irresponsable”. Il s'est engagé à poursuivre le “travail enclenché” avec la table ronde et notamment via une “politique plus simple sur les indemnisations” et une “meilleure prise en charge des cancers”.
 
Sur la Loi Morin, le Président n'a pas été tendre non plus. “Je m'engage à ce que les choses changent en termes de procédure d'indemnisation, parce que c'est vrai que la Loi de 2010 laisse des gens dans la détresse avec des procédures qui sont trop longues”. Un discours de compréhension, y compris sur la déclassification des archives liées aux essais. “Je pense qu'on vous doit la vérité et de la considération et c'est ce que je veux apporter”. Emmanuel Macron a rappelé sa politique sur la déclassification des archives. “Pour le dire dans des termes simples, on ne va plus opposer le secret défense à tous les sujets. Parce que je pense qu'on vous doit aussi cette vérité et cette transparence. La seule chose qu'on va continuer à protéger, ce sont les éléments qui sont liés à la prolifération et qui sont très techniques et qui fragiliserait notre souveraineté collective”.
 

​"On n'a pas fait le boulot jusqu'à présent"

Au terme de plusieurs échanges et d'écoute de part et d'autre, la vice-présidente de l'association a expliqué au Président qu'il n'était pas question d'obtenir le remboursement de “tous les cancers”, mais uniquement de ceux liés aux retombées des essais nucléaire. Mais surtout, Léna Normand a souhaité faire passer le message de familles dans l'attente et dans la souffrance face aux réalités administratives parfois brutales sur les refus de demandes d'indemnisations. “Il faut arrêter de mettre la balance en défaveur de la population et c'est à l'État de le reconnaître”, a conclu la militante, remerciant le chef de l'État pour son écoute. “Sur les essais, la balance est à mettre de mon côté sur la vérité”, lui a répondu Emmanuel Macron. “Je ne peux pas vous demander d'avoir confiance en moi après qu'on vous a menti si longtemps en ne partageant pas les informations. Je le dirai tout à l'heure, c'est vrai. Je pense que la confiance, ça se construit en disant tout, en partageant la totalité, en étant plus transparent et c'est vrai qu'on n'a pas fait le boulot jusqu'à présent. Totalement. Je reconnais”.
 
Le Frère Maxime, présent durant cet échange, a conclu en souhaitant que ces paroles soient suivies “d'actes”. Réponse d'Emmanuel Macron visiblement appréciée : “Je ne vous ai pas dit tout ce que vous attendiez, j'en ai conscience. Parce que je ne me suis pas arrêté simplement pour vous faire plaisir, mais parce que j'ai de la considération et du respect pour le combat que vous portez”. L'échange s'est conclu par un gage de dialogue futur avec l'État apporté par le Frère Maxime. Ce dernier tenant néanmoins à préciser à propos des “collaborateurs” du Président : “Nous ne sommes pas technicien pour pouvoir discuter avec eux, mais nous sommes capables de comprendre la validité de leurs affirmations”. Et Emmanuel Macron de répondre pour achever cette discussion surréaliste : “Vous avez raison, je ne veux pas qu'on oppose des discours techniques et de la confidentialité pour tous les sujets. Vous avez le droit de savoir”.
 
Applaudi par les militants et accompagné par des “mauruuru” et “bonne continuation”, le chef de l'État est ensuite reparti en direction du Criobe de Moorea. Conclusion de ce qui restera comme l'un des moments les plus forts et les plus inattendus de cette visite officielle.
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mardi 27 Juillet 2021 à 15:24 | Lu 7507 fois