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Logement social : des familles privées de l'accession à la propriété


PAPEETE, le 21 mai 2017 - Mama Vana'a est en colère. En 2008, cette habitante de Oremu II, à Faa'a, aurait dû devenir propriétaire du logement social dans lequel elle habite depuis 1983. Faute d'autorisations administratives et de mise en conformité, elle ne peut accéder à la propriété. Comme elle, des centaines de familles sont concernées par le problème.

Les mots de sa colère sont écrits au feutre noir sur des pancartes de fortune. Livre à la main, Mama Vana'a attend, assise sur son petit tabouret. Aux passants curieux, elle adresse un sourire puis engage la conversation. Derrière la septuagénaire se dressent les grilles de la présidence où, dans la cour intérieure, flotte le drapeau du Pays. Voilà plusieurs jours que Mama Vana'a répète le rituel, dans l'attente que le président Édouard Fritch ou un autre membre du gouvernement vienne à sa rencontre.

"Je suis là pour revendiquer mes droits. J'ai payé ce que je devais payer à l'État et au Pays. J'appelle ça de l'abus de confiance. Parce que nous faisons signer un contrat mais aujourd'hui il n'y a rien", explique cette habitante du quartier Oremu II à Faa'a, une pointe d'agacement dans la voix. Contrat de location et lettre de l'Office polynésien de l'habitat (OPH) à l'appui, Tufauvana'a Vaiho, de son vrai nom, manifeste sa colère face à une administration qui semble immobile.

UNE PROMESSE DE VENTE BLOQUÉE

En 1983, elle et le père de ses enfants accèdent à un logement social. Celui-ci est situé sur la commune de Faa'a, dans la résidence Oremu II. À la fin du contrat se trouve une section intitulée : "Transformation du contrat de location en bail avec promesse de vente". Il y est indiqué que le présent contrat pourra être transformé en une promesse de vente si les locataires ont rempli leurs obligations. Mama Vana'a ajoute : "Cela fait 35 ans que j'habite dans ce logement mais je ne suis toujours pas propriétaire. Quand nous sommes entrés dans notre logement, le loyer était de 13 000 francs. Quand nous avons terminé de payer, il était presque à 19 000 francs."

Une lettre de l'OPH de 2011, adressée à la plaignante, confirme ses affirmations. Il y est écrit : "Dans le cadre de l'accession à la propriété du lotissement Oremu II, vous avez réglé votre solde pour devenir propriétaire du lot numéro 782." Quelques lignes plus loin, il est précisé que, pour que l'acte de propriété soit finalisé, la locataire doit se rendre à l'étude notariale et payer les frais de notaire. "C'est ce que j'ai fait. Je suis allée chez le notaire pour m'entendre dire : "Je suis désolé madame mais nous n'avons pas votre dossier." Depuis, plus rien, on ne nous dit rien", tempête cette mère et grand-mère.

"DOUZE GOUVERNEMENTS SUCCESSIFS"

La maison de Mama Vana'a, à Faa'a.
La maison de Mama Vana'a, à Faa'a.
Comme pour les logements sociaux à Erima il y a quelques années, des problèmes administratifs sont la source du problème. Construits par la Société d'équipement de Tahiti et des îles (Sétil) il y a plus de 30 ans, certains logements rencontrent des problèmes de mise aux normes. Soit les travaux n'ont pas été faits, soit les certificats de conformité font défaut. "Tenez-vous bien... Là où je suis, il n'y a pas eu de conformité dans le logement. Cela veut dire que l'hygiène n'est pas venue, les services concernés ne se sont pas déplacés et ça, depuis au moins 30 ans…", ajoute Mama Vana'a. À défaut d'autorisations administratives suffisantes, l'OPH reste bloqué.

Les locataires, qui pensaient devenir propriétaires, le sont aussi.

Selon le ministre du Logement, Jean-Christophe Bouissou, une centaine de familles du quartier Oremu II seraient concernées par le problème. Pour d'autres quartiers, comme Oremu I et Erima, les procédures ont été lancées. Afin d'apaiser les tensions, le ministre en charge du logement a précisé : "J'ai demandé à l'OPH de préparer une réunion afin de faire un point sur la situation avec les familles occupant ces logements. Depuis 2004, il y a eu douze gouvernements successifs. Il y a eu quelques turpitudes dans la vie politique et malheureusement, il n'y a pas eu grand-chose de fait sur ce dossier."

Quant à la date précise de cette réunion, le ministre du Logement n'a rien avancé. Il a tenu à préciser : "Je ne sais pas quand la réunion se fera mais elle n'a rien d'une réunion électorale, je ne suis pas candidat à une élection."

Jeudi dernier, Mama Vana'a a été reçue par un chargé de mission du président. Elle lui a remis son dossier en main propre et attend maintenant de rencontrer le président du Pays. "La rencontre s'est bien passée. J'ai pu me faire entendre, c'est important. Le président a dit qu'il allait me rencontrer quand il reviendrait des Marquises… Je ne manquerai pas de le lui rappeler."

Armée de patience, elle continuera son combat : "Cette maison, elle est importante pour moi car je dois la transmettre à mon fils. J'ai sept enfants. Pour six d'entre eux, j'ai pu leur donner du terrain à Papeno'o, car je suis originaire de là-bas. Pour le dernier, je veux lui donner la maison de Faa'a mais je ne peux pas faire le transfert car je ne suis pas propriétaire. Il faut faire quelque chose! J'ai 75 ans quand même ! Chez nous, quand on a beaucoup d'enfants, il faut donner à tout le monde."

Nombre de logements restants à transférer

• Oremu, sur la commune de Faa'a : 110 familles
• Erima, sur la commune de Arue : 180 familles
• Tepuhapa, sur la commune de Paea : 37 familles

"L’accession à la propriété du lotissement Oremu II n’est pas encore finalisée"

Moana Blanchard, directeur général de l'Office polynésien de l'habitat, a répondu à nos interrogations par courriel :
i["En effet, l’accession à la propriété du lotissement Oremu II n’est pas encore finalisée. Deux points majeurs restent à résoudre :
• le foncier : la Sétil [Société d'équipement de Tahiti et des îles, NDLR], devenue Sagep [Société d'aménagement et de Gestion de la Polynésie française, NDLR], fait l’objet d’une gestion extinctive depuis le 21/07/2011 en vue d’une mise en liquidation pour la fin de cette année.
Le personnel restreint de la Sagep fait son maximum pour traiter tous les dossiers avant la mise en liquidation et l’OPH reste dans l’expectative pour récupérer l’assiette foncière de ce lotissement et pouvoir engager le processus de mise en accession. Mme Vaiho en sera informée ;
• la conformité du lotissement reste aussi suspendue à la mise aux normes de la station d’épuration, qui ne relève pas de la propriété de l’OPH.
Les équipes de l’OPH restent mobilisées sur ce dossier."
]i

Des cas similaires à Pirae et Paea

Par le passé, ce problème d'accession à la propriété a été évoqué à plusieurs reprises dans les médias. En 2014, c'est le cas de locataires de logements sociaux à Erima qui avaient été évoqués. Le ministre de Logement de l'époque, Marcel Tuihani, avait annoncé la mise en accession de 160 lots de ces quartiers.

Plus d'un an plus tard, en août 2015, le président Edouard Fritch et le ministre du Logement, Tearii Alpha, procédait à la remise des titres de propriété à 17 familles habitant la résidence « Tepuhapa » de Paea. "Depuis plusieurs années de multiples difficultés retardaient la mise en œuvre de l'accession à la propriété de ce programme mais, depuis décembre 2014, plusieurs locataires qui s'étaient acquittés de l'ensemble des sommes dues pour prétendre devenir propriétaire ont pu signer leur acte de vente devant notaire", indiquait le communiqué de la présidence de l'époque.

Rédigé par Amelie David le Dimanche 21 Mai 2017 à 18:00 | Lu 9018 fois