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Les matahiapo, un enjeu d'avenir


Tahiti, le 20 décembre 2020 - L’Institut de la statistique de Polynésie française (ISPF) a publié une étude sur les matahiapo, le vieillissement de la population polynésienne et certaines de ses conséquences économiques. Cette évolution démographique n’est pas propre à la Polynésie. En métropole, elle a donné lieu à la création d’une filière économique dédiée, la Silver Economie, qui pourrait à terme voir le jour au fenua.
 
La vieillesse et le départ à la retraite ne sont pas que soufflage de bougie et rite de passage vers un "repos bien mérité". Les deux notions représentent en règle générale, même pour ceux qui ne souhaitent pas s’y résoudre, une bascule vers une modification substantielle des conditions de vie. L’activité change, le niveau de revenu n’est plus le même, la santé devient capricieuse et l’isolement s’accroit. Les gestes et habitudes d’avant sont plus durs à maintenir. En cause, les affres du vieillissement mais également une société qui peut ne pas être préparée à offrir des services adéquats et accessibles à cette partie de la population. Et cette dernière va grandissante avec l’augmentation de l’espérance de vie. Selon la dernière étude de l’ISPF "Les matahiapo, un enjeu de la croissance économique", il y a vingt ans 7% de la population était âgée de plus de 60 ans, quand fin 2019 ce chiffre est porté à 13% avec quelques disparités dans les archipels. La fraicheur des Australes semble mieux conserver que l’isolement Paumotu. Un vieillissement de la population qui va se poursuivre avec, selon l’institut, une proportion de seniors qui pourrait atteindre 20% à la fin de la décennie.
 
La retraite, c’est vache
 
Corollaire de ce vieillissement, le nombre de retraités progresse plus vite que le nombre d’actifs occupés. De six actifs pour un retraité, la Polynésie est passé en cinq années à peine à un ratio de quatre pour un. Ce vieillissement de la population a ainsi une fâcheuse tendance à rendre difficile le financement des retraites polynésiennes. Même si les seniors qui, au-delà de 60 ans, continuent à travailler en tant que salarié ou indépendant sont de plus en plus nombreux (1 340 en 2019), le nombre de retraités a fortement augmenté et le niveau des pensions a connu la même dynamique selon l’ISPF. "En vingt ans, le nombre de pensionnés de 60 ans et plus a triplé pour atteindre en 2019 près de 29 000 individus" alors que dans le même temps "le montant des pensions de retraite (hors minimum vieillesse) progresse plus rapidement puisqu’il est multiplié par six depuis 1999". Selon l’institut, la pension de retraite moyenne était de 56 500 Fcfp en 1999, 90 000 Fcfp en 2010 et atteint désormais 109 500 Fcfp. Une évolution qui masque cependant une répartition des pensions "très hétérogène". Ainsi, près de la moitié des pensionnés de plus de 60 ans perçoit 80 000 Fcfp ou moins par mois et 70% des pensionnés perçoivent mensuellement moins du SMIG (152 914 Fcfp). À l’inverse, de l’autre côté du spectre, l’ISPF note que "seulement 3% des pensionnés ont une pension égale ou supérieure à 305 829 Fcfp, soit l’équivalent de deux SMIG".
 
Des revenus donc très distincts que nos matahiapo utilisent un peu différemment des autres ménages. La part des produits alimentaires et boissons non alcoolisées est plus importante dans le budget des seniors mais celle allouée au remboursement d’emprunts est moins importante. Arrivé à un certain âge, sans revenu salarié, difficile de toute façon de souscrire un emprunt même auprès de la banque la plus philanthropique du fenua. Sans surprise, les dépenses de santé souffrent également de ce vieillissement de la population. Le nombre de matahiapo concerné par la longue maladie a ainsi été multiplié par 3,7 en vingt ans, celui des évasans a, quant à lui, doublé entre 2012 et 2019.
 
La Polynésie vers une Silver Economie ?
 
Effectif grandissant est-il synonyme de commerce florissant ? Les seniors sont rarement des fashion victims, férus de shopping, qui répondent rapidement aux sirènes de la société de consommation. Les besoins sont autres, les exigences sont plus importantes dans certains domaines alors que le pouvoir d’achat est moindre.
 
En métropole, probablement en référence aux cheveux gris de ce public, la notion de Silver Economie a émergé. Elle est même devenue une filière industrielle à part entière, avec la signature de contrats de filière qui visent notamment à développer des offres innovantes à destination de personnes de grand âge et à professionnaliser les acteurs des secteurs concernés. Car le marché est conséquent, la proportion de personnes âgées de plus de 60 ans a, en Polynésie comme ailleurs, tendance à s’accroitre. La Silver Economie est ainsi définie comme l’ensemble des "produits et services qui devraient permettre d’améliorer l’espérance de vie sans incapacité ou d’aider au quotidien les personnes âgées dépendantes et leurs aidants naturels". Elle comprend donc, d’une part, une offre de biens et services "liés au bien-être, aux activités de tourisme et de loisirs" à destination principalement des "jeunes" séniors "dynamiques et potentiellement consommateurs d'une offre dédiée", mais aussi, d’autre part, une offre à destination des seniors en perte d’autonomie pour répondre à des besoins spécifiques en matière d’hébergement de personnes dépendantes, de maintien à domicile, de transports adaptés et bien évidemment de santé. Services à la personne, mutuelles, aide à domicile, domotique, transport et loisirs… Autant de secteurs qui vont faire l’objet d’une offre croissante dans les années à venir. La Silver Economie représenterait ainsi, selon l’INSEE, 92 milliards d’euros en métropole (soit environ 11 000 milliards Fcfp) qui comptera près de 20 millions de plus de 60 ans en 2030. Si la Polynésie française oriente une partie de son action vers la jeunesse, la croissance de l’économie peut également provenir de la nécessité d’aider les matahiapo et d’offrir des services adaptés à une tranche croissante de sa population. Et si l’initiative publique tarde, il est toujours possible pour les entreprises privées de s’organiser dès maintenant en cluster sur le modèle de ceux déjà existants.
 

Les seniors des années

La Polynésie n’a jamais été aussi vieille. Nulle référence ici à la formation il y a des millions d’années des îles et atolls issus de l’activité volcanique. La proportion de personnes du 4ème âge vivant précisément sur ces îles hautes et basses n’a en effet jamais été aussi importante. Si l’étude de l’ISPF note que la population des plus de 60 ans "a plus que doublé en 20 ans", d’autres chiffres concernant ceux qui approchent ou dépassent le centenaire sont également éloquents.
 
Dans les années 1980, approcher voir franchir la barre des cent ans était chose rare. Au recensement de 1983, il avait été ainsi dénombré 43 personnes de plus de 90 ans dont deux centenaires. Près de 20 ans plus tard, le recensement de 2002 indiquait que 137 personnes de 90 ans et plus vivaient en Polynésie dont 8 de plus de 100 ans. Les derniers chiffres communiqués par l’ISPF font état désormais de pas moins de 393 personnes de plus de 90 ans dont 13 centenaires. Ces chiffres ont doublé depuis 2007, signe ainsi d’une espérance de vie significativement rallongée.

Une fois connecté, deux fois plus dépensier

Le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC) avait, dans son étude "Comment consomment les Seniors", notamment constaté qu’une baisse de la consommation est sensible après 65 ans. Cette baisse perceptible est en lien avec d’une part la réduction ou la perte de mobilité de ces consommateurs âgés mais également de l’inadaptation des produits par rapport à leurs besoins. L’étude indique ainsi que "les dépenses de consommation tendent à diminuer après le passage à la retraite, notamment parce que les relations sociales s’amoindrissent progressivement : on reçoit moins, on voit moins de monde, on a donc moins besoin d’acheter de la nourriture, de s’habiller ou d’améliorer son intérieur".
 
Selon le CREDOC, il existe un lien évident entre consommation et connexion à Internet. "L’écart des dépenses moyennes de consommation entre les ménages de seniors abonnés à internet et ceux qui ne le sont pas est très net : les seniors connectés consomment en moyenne presque deux fois plus en montants que ceux qui n’ont pas internet". Ils conservent également un meilleur lien social. Enfin, le CREDOC a également identifié trois segments distincts de consommateurs seniors avec des valeurs et des besoins différents : les Baby boomers (55-69 ans) qui sont plutôt individualistes et hédonistes,  les seniors en tant que tel (69-80 ans), enclins à la prudence et à la recherche d’utilité dans leurs achats, et les grands seniors (plus de 80 ans) plutôt conservateurs en matière de comportement de consommation avec une fidélité aux marques.
 
L’étude est consultable au lien suivant http://www.credoc.fr/pdf/Rech/C296.pdf

Rédigé par Sébastien Petit le Lundi 21 Décembre 2020 à 15:59 | Lu 2834 fois