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Les magouilles du FDA à la barre


Tahiti, le 12 avril 2021 - Le procès pour favoritisme et détournement de fonds publics de l'ancien directeur général et de l'ex-président du conseil d'administration du Fonds de développement des archipels (FDA), Mara Aitamai et Teina Maraeura, s'est ouvert lundi devant le tribunal correctionnel en l'absence de l'un des sept prévenus, feu Coco Taputuarai, décédé le 6 février dernier. Une peine de cinq ans d'inéligibilité avec exécution provisoire a été requise à l'encontre du maire de Rangiroa. Six mois de sursis ont également été requis contre Émile Vernaudon poursuivi dans le même dossier pour abus de confiance.
 
“Un grand n'importe quoi budgétaire”. C'est ainsi que l'un des assesseurs du tribunal correctionnel a qualifié lundi les faits de favoritisme, détournement de fonds, recel de favoritisme et abus de confiance reprochés aux six prévenus poursuivis dans le cadre du procès de l'affaire du Fonds de développement des archipels (FDA). Pas moins de 14 ans après la révélation des faits, l'ancien directeur général et l'ex-président du conseil d'administration du FDA, Mara Aitamai et Teina Maraeura, comparaissaient lundi devant la juridiction pour avoir notamment saucissonné des marchés de construction de fare MTR afin de contourner le seuil au-delà duquel un appel d'offres aurait été nécessaire, et pour avoir ainsi attribué tous ces marchés à un seul et unique entrepreneur, feu Coco Taputuarai. Trois employées de ce dernier, “gérantes de paille” des sociétés lui appartenant, étaient quant à elle poursuivies pour recel de favoritisme. Enfin, il était reproché à l'ancien député et maire de Mahina, Émile Vernaudon, prédécesseur de Teina Maraeura à la tête du conseil d'administration du FDA, d'avoir conservé son véhicule de fonction alors qu'il n'occupait plus ce poste.
 
L'affaire avait éclaté en juillet 2007 lorsque le “justiciable polynésien” Yves Conroy avait adressé un courrier au procureur de la République dans lequel il dénonçait l'achat de 1 000 tee-shirts et de 50 chemises par le FDA au bénéfice du parti Te Mana o te Mau Motu, créé par Teina Maraeura. L'enquête ouverte suite à cette dénonciation avait permis de mettre tout un tas de malversations au jour dont des saucissonnages de marchés opérés par le FDA afin de ne jamais dépasser le seuil de 30 millions de Fcfp au-delà duquel il lui aurait été nécessaire de procéder à un appel d'offres. Ces marchés publics étaient tous attribués à des sociétés appartenant à l'entrepreneur et proche de Gaston Flosse, Coco Taputuarai, qui avait pris soin de mettre trois de ses employées, “gérantes de paille”, à leur tête. Chaque mois, ces dernières retiraient des espèces sur les comptes des sociétés dont elles étaient les gérantes et les remettaient à Coco Taputuarai.

Champagne, pirogues et stylo de valeur

En marge du saucissonnage des marchés, les investigations avaient également permis d'établir que le directeur général du FDA, Mara Aitamai, avait procédé à l'achat de deux pirogues pour un montant d'1,4 million de Fcfp sur les deniers du FDA sans qu'elles n'aient jamais été retrouvées. Après avoir quitté son poste, il avait de plus conservé un stylo de grande valeur qui avait lui aussi été acheté sur les fonds du FDA. Le président du conseil d'administration du FDA, actuel maire de Rangiroa et représentant Tapura à l'assemblée, Teina Maraeura, avait quant à lui acheté 200 bouteilles de champagne avec l'argent du FDA afin de fêter son départ et avait emporté avec lui celles qui n'avaient pas été bues lors des festivités. Enfin, l'enquête avait fait apparaître que le prédécesseur de Mara Aitamai à la présidence du conseil d'administration du FDA, Emile Vernaudon, avait conservé son véhicule de fonction après avoir quitté son poste. Victime d'un accident de la route, il avait tout fait pour dissimuler la voiture qui avait finalement été retrouvée en 2008 dans un hangar situé à la Papenoo.

Enveloppes d'espèces

Émile Vernaudon, Mara Aitamai, Teina Maraeura et les trois gérantes de paille des sociétés appartenant à feu Coco Taputuarai ont donc comparu devant le tribunal correctionnel lundi. A la barre, les trois anciennes employées du défunt ont expliqué que ce dernier les avait beaucoup “déçues” car il leur avait toujours dit qu'il assumerait sa responsabilité s'il y avait un problème. Tout comme elles l'avaient fait devant le juge d'instruction, les trois prévenus ont expliqué qu'elles remettaient chaque mois des enveloppes d'espèces à leur patron, Coco Taputuarai, à la demande de ce dernier. Les fonds, plusieurs millions de Fcfp par mois, étaient retirés sur les comptes des sociétés dont les trois femmes étaient gérantes de paille.
 
Invités à s'exprimer sur les saucissonnages des marchés de construction de fare MTR au profit de Coco Taputuarai, l'actuel maire de Rangiroa, Teina Maraeura, a invoqué la responsabilité de Mara Aitamai en niant les faits qui lui étaient reprochés. Il a par ailleurs expliqué que son rôle, en qualité de président du conseil d'administration du FDA, avait été de comprendre “pourquoi les aides destinées aux archipels n'arrivaient pas dans les îles”. De son côté, Mara Aitamai a reconnu l'engagement des dépenses en niant toutefois fermement avoir contourné les règles du code des marchés publics. Poursuivi pour avoir conservé le véhicule qui lui avait été attribué lorsqu'il était président du conseil d'administration du FDA avant Teina Maraeura, Émile Vernaudon s'est quant à lui emporté lorsque le président du tribunal lui a rappelé ses nombreuses condamnations en affirmant que la politique lui avait apporté plus de soucis qu'elle ne l'avait enrichi. Il a nié avoir “gardé de son plein gré” la voiture de fonction en expliquant que lorsqu'il avait quitté son poste de président du conseil d'administration à l'époque du Taui, il y avait eu un grand “cafouillage politique”.
 
Après l'audition des prévenus, le procureur de la République a pris ses réquisitions en insistant longuement sur la législation relative au code des marchés publics. Il a requis 36 mois de prison dont 18 avec sursis assortis de l'interdiction d'exercer une fonction publique pendant cinq ans et cinq ans d'inéligibilité avec exécution provisoire à l'encontre de Mara Aitamai et de Teina Maraeura, six mois de prison avec sursis et cinq millions d'amende contre Émile Vernaudon. Six mois de prison avec sursis et 500 000 Fcfp d'amende ont été requis contre les trois gérantes de paille des sociétés de Coco Taputuarai. Le procès s'achèvera mardi avec les plaidoiries de la défense.
 

Rédigé par Garance Colbert le Lundi 12 Avril 2021 à 19:41 | Lu 4289 fois