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“Les autres pays s’intéressent beaucoup à notre filière pêche”


Cédric Ponsonnet, directeur des ressources marines, et Jerry Biret, conseiller technique, entourent le ministre de l’Environnement et des Ressources marines, qu’ils ont accompagné à Lisbonne.
Cédric Ponsonnet, directeur des ressources marines, et Jerry Biret, conseiller technique, entourent le ministre de l’Environnement et des Ressources marines, qu’ils ont accompagné à Lisbonne.
Tahiti, le 7 juillet 2022 – Le ministre de l’Environnement et des Ressources marines, Heremoana Maamaatuaiahutapu, a convié la presse jeudi matin afin de dresser son bilan de la conférence des Nations unies sur les océans, à laquelle il a participé la semaine dernière à Lisbonne. Appelé à intervenir à de nombreuses reprises, notamment sur la question de la pêche et de la gestion des espaces maritimes polynésiens, il a ainsi prouvé que les petits États insulaires du Pacifique sont surtout de grands continents océaniques…
 
Vous participiez la semaine dernière à la seconde conférence des Nations unies sur les océans, qui a réuni les États membres de l’ONU et des organisations internationales, régionales et non-gouvernementales, comme le Forum des îles du Pacifique, dont la Polynésie française est membre. Vous avez été beaucoup sollicités à ce titre ?
“Oui, énormément. On n’a pas pu répondre à toutes les invitations mais nous sommes intervenus sur neuf événements, dont deux sessions de très haut niveau, en présence de presque tous les membres de l’ONU. Dans la première, on représentait le Forum des îles du Pacifique, pour la première fois, car nous étions les seuls à pouvoir porter certains de leurs messages. Dans la seconde, je me suis exprimé au nom de la Polynésie française. C’est une vraie reconnaissance des actions que nous menons depuis longtemps. Même si nous avons encore des choses à améliorer, beaucoup de pays aimeraient s’inspirer de ce que l’on fait chez nous. Nous avons respecté nos engagements pris lors de la première conférence de l’ONU sur les océans [quant à la création de l’aire marine gérée Tainui atea et la multiplication d’aires marines éducatives, 30 aujourd’hui, NDLR]. En vue de la prochaine conférence sur les océans, qui devrait être co-organisée par la France et le Costa Rica, nous voulons nous engager sur la protection des atolls et des récifs coralliens, qui commencent à souffrir énormément du changement climatique. Avec les experts du GIEC actuellement au fenua, on se rend compte que nous avons un rôle important à jouer. Des relations avec les scientifiques doivent se mettre en place, tout comme des partenariats avec d’autres pays, comme l’Australie par exemple. C’est en discussions.”
 
Hormis la protection des coraux, quels autres messages avez-vous porté auprès de la communauté internationale ?
“Au travers de la question de la protection des coraux, nous avons surtout voulu porter le message de la lutte contre les dispositifs de concentration de poissons (DCP) dérivants dans le Pacifique. Quand on les récupère chez nous, ils abîment le récif. Outre l’impact environnemental, il y a aussi un coût financier car ce sont des déchets plastiques et électroniques qu’on ne peut pas traiter sur place, qu’il faut exporter. Normalement, les senneurs qui utilisent ces DCP sont limités à 30 dispositifs, mais on sait que certains navires de pêche ne respectent pas la règlementation et qu’ils peuvent en relâcher jusqu’à 300. Et c’est ce qui détruit les stocks de poissons dans le Pacifique. On parle de filets qui ramassent tout, juvéniles, tortues, dauphins, ce n’est pas une pêche écologique. Nous pouvons nous permettre de porter ce message car, depuis 1996, notre pêche est entièrement polynésienne, faite à l’hameçon, donc sélective, et contrôlée. D’autre part, elle est labellisée MSC et Sustainable Fisheries.
Un second message que nous avons porté concerne l’objectif ambitieux de l’ONU de protéger 30% des océans à l’horizon 2030. Nous protégeons déjà entièrement notre zone économique exclusive (ZEE) mais nous ne représentons qu’une partie du Pacifique. Environ 70% de notre océan est en zone internationale, une zone de non-droit. Nous avons interpellé les autres pays à ce sujet, à savoir si l’on peut continuer à laisser cette zone soumise à tous les excès. Nous avons proposé qu’elle soit élevée au rang d’héritage pour les générations futures et que l’on y mette en place des aires marines protégées. Comme certains pays du Pacifique ont des accords de pêche avec d’autres pays, on s’est sentis un peu seuls sur certains sujets. Je pense que c’est pour cela qu’on a demandé à la Polynésie d’intervenir.”
 
Qu’est-ce que notre statut particulier permet en matière de gestion de notre ZEE ?
“Lors de cette conférence, beaucoup de pays insulaires se sont intéressés à notre statut d’autonomie, qui nous permet de contrôler complètement notre ZEE, de faire ce que l’on veut chez nous et de vendre des licences de pêche seulement si nous le souhaitons. C’est cette filière pêche qui a surtout intéressé les autres pays car elle rapporte beaucoup plus à notre économie que la simple vente de licences. Prenons l’exemple des îles Cook, avec qui j’ai beaucoup échangé. Ils ont vendu pour 7 000 tonnes de poissons pêchés dans leur ZEE avec un retour pour leur budget de 776 millions de Fcfp environ. Nous, on pêche 6 000 tonnes de poissons par an qui, en vente directe uniquement, sans compter le reste, rapporte 3 milliards de Fcfp de chiffre d’affaires. On n’est pas sur la même échelle ! À cela s’ajoutent les 500 emplois que cela représente pour la filière pêche, ainsi que la construction de navires que nous avons mis en place. On développe cette filière depuis 1996 et aujourd’hui, elle intéresse même au-delà du Pacifique. Tout comme notre modèle de gestion de notre ZEE et de notre aire marine gérée, sur lesquelles on a également beaucoup été questionnés.”
 
Avez-vous également évoqué le moratoire sur l’exploitation minière des océans ?
“Oui, nous en avons beaucoup parlé, mais hélas, là, l’unité des pays du Forum du Pacifique s’est un peu fissurée. Certains ont besoin de vendre des licences d’exploitation pour des raisons financières donc on n’est pas tout à fait sur la même longueur d’ondes. On se positionne davantage du côté de l’Australie par exemple sur le fait que la recherche et l’acquisition de connaissances doit prévaloir. Je crois que c’est d’ailleurs l’Australie qui a dit : ‘On a pu envoyer 12 personnes sur la Lune mais on n’en a envoyé que quatre pour explorer le fond des océans.’ On a besoin d’en savoir plus car on fantasme beaucoup sur ce qu’il y a au fond sans réellement savoir. Il me semble qu’on a exploré que 5% de notre ZEE. On a 509 monts sous-marins recensés, et il y en a peut-être davantage, qu’on ne connaît même pas. Est-ce qu’ils abritent du vivant ? Ce n’est pas le minéral et son exploitation qui nous intéressent, c’est l’aspect écologique, comme l’a affirmé de son côté le président de la République. Mais il va falloir convaincre certains de nos voisins de ne pas se lancer dans cette aventure, qui peut vite devenir une galère. On est inquiets par rapport aux zones internationales, et c’est pour ça qu’on est intervenu, car il n’y a pas de moratoire possible dans ces zones de non-droit, à moins de trouver un accord important au niveau de toutes les nations du monde.”
 

Rédigé par Lucie Ceccarelli le Jeudi 7 Juillet 2022 à 17:24 | Lu 1270 fois