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Légion d’honneur : Le Tamari'i Chapman distingué in extremis


Turner Chapman est à gauche sur ce cliché pris en 1942.
Turner Chapman est à gauche sur ce cliché pris en 1942.
Tahiti, le 9 janvier 2021 - Il était au nombre des neuf personnalité polynésiennes distinguées lors de la promotion civile du 1er janvier de la Légion d'honneur. Matthew Turner Chapman est décédé dans la nuit de jeudi à vendredi à l’âge de 99 ans. 

Elevé au rang de chevalier de la Légion d’honneur avec les personnalités distinguées pour la promotion civile du 1er janvier de la Légion d'honneur, Matthew Turner Chapman n’aura pas l’opportunité de recevoir sa décoration. Il décédé dans la nuit de jeudi à vendredi à l’âge de 99 ans. Il résidait depuis de nombreuses années à Long Beach, en Californie.
"Il ne la verra jamais", déplore un proche de Paea, Philippe Maunier, qui œuvre depuis plusieurs années pour lui obtenir cette reconnaissance de la Nation. "Ça fait 20 ans que je me bats. Je suis triste de le voir partir quelques jours après l’annonce de sa distinction. Il aurait été tellement heureux." Depuis les années 1950 aux Etats-Unis où il avait installé sa famille, Matthew Turner Chapman était revenu chaque année à Tahiti pour les commémorations de l’appel du 18-Juin. Une habitude qu’il avait observée jusqu’au milieu des années 2010, avant d’être handicapé par des problèmes de mobilité liés à l’âge.

En mars 1941, Matthew Turner Chapman avait été le dernier des volontaires tahitiens à s’engager dans les Forces aériennes françaises libres. Son épopée le conduira du Groupe de chasse Ile de France aux Forces navales françaises libres.

​Les années de guerre

Le 31 mars 1941, Matthew Turner Chapman embarque à bord du SS. Wairuna pour la Nouvelle Zélande via Rarotonga et arrive à Wellington le 12 avril 1941. Sur place, les marins et les aviateurs sont séparés. Les marins montent sur le navire Rimutaka pour l’Angleterre.
Quant aux candidats pour les ailes, ils stationnent préalablement dans le camp de Papakura, le "ciel rouge" en maori, au sud d'Auckland où transiteront pendant la guerre plus de quarante-mille hommes. De là, ils sont dirigés ensuite vers le camp de Hobsonville, au nord d'Auckland, où ils reçoivent leurs premières dotations et des uniformes de la Royal New Zealand Air Force. Un statut qui leur donne une existence officielle au sein des forces armées du Commonwealth. 

Les Néo-Zélandais ont organisé les sélections sur la base de leurs critères.
Le handicap majeur de la langue anglaise et les inaptitudes médicales de certains des volontaires font que seuls douze d'entre eux sont retenus. Matthew Turner Chapman est de ce nombre, aux côtés d’Eugène Aubry, de John Bourne, de Peter Challier, de Guy Juventin, de Félix Lagarde, d’Ernest Gournac, de Tavi Kainuku, de René Machecourt, de Natapu Mara, de Bernard Tracqui et et Benjamin Varney.

Plus tard, il témoignera : "J’étais mécanicien dans l’aéronavale et je suis parti avec le second groupe. Nous avons embarqué sur le Vairuna pour la Nouvelle Zélande (…). De là, un paquebot anglais nous a emmenés en Australie. Ensuite, cap sur le Canada, Vancouver où nous sommes directement montés dans un train pour Montréal et Québec où nous avons suivi les entraînements, manœuvres et exercices. J’avais un poste de mitrailleur dans les avions de type Martin."
 
Les Tahitiens quittent ensuite le Canada pour l’Angleterre à bord du Volemdam, un paquebot hollandais saisi. "De Québec, nous recevons l’ordre de regagner l’Angleterre. Nous sommes partis pour Halifax et nous avons embarqué à bord d’un navire faisant partie d’un convoi de plus de cent navires. Trois jours avant d’arriver, les sous-marins allemands nous ont attaqués : dispersion vers l’Islande pour gagner Reykjavik", se souvient-il. Dans la capitale islandaise, les Tahitiens sont stationnés pendant d'une dizaine de jours dans le camp d’Alafoos. Ils reprendront enfin la mer sur le Wolfe pour débarquer début juillet 1941 à Greenock, près de Glasgow. Arrivés à Londres, les aviateurs tahitiens sont mis au secret : il convient de les interroger pour dénicher d’éventuels espions. Puis, les entrainement débutent. "Sur le cuirassé Courbet, avec soixante autres Tahitiens, nous avons suivi un entrainement sur batteries aériennes de type 40 mm Bofors." Matthew Chapman rejoint ensuite le dépôt de Barns où il retrouve ses camarades tahitiens des forces navales française libres avant d’embarquer sur le contre-torpilleur Leopard. 

​Fin de vie aux Etats-Unis

Turner Chapman en compagnie des membres de sa famille tahitienne.
Turner Chapman en compagnie des membres de sa famille tahitienne.
Plus tard, "nous venions de quitter Gibraltar quand nous avons reçu l’ordre de rallier un convoi au large des Canaries", raconte le volontaire tahitien. "C’est là que nous avons coulé notre premier sous-marin. Nous sommes tombés en plein dessus : à pleine vitesse, pour que les explosions épargnent les deux hélices, huit grenades sous-marines ont été lancées. L’eau bouillonnait (…) puis on a vu des débris à la surface de l’eau."

Sa mission le mène ensuite à Madagascar pour un ravitaillement en munitions, puis vers La Réunion "où les fusiliers marins ont débarqué. Les partisans de Vichy ont été neutralisés et la population s’est ralliée".

Dans la nuit du 26 au 27 mai 1943, parti de Malte en escorte de convoi le long de la côte africaine, le Léopard s’échoue à une trentaine de miles au nord-est de Benghazi, en bordure de la lagune de Driana à une cinquantaine de mètres de la côte, où il est secouru.

De janvier 1944 à mai 1945 Turner Chapman est ensuite embarqué sur le Savorgnan de Brazza, un aviso à bord duquel il gagne l’Australie avec des escales en Nouvelle-Calédonie et au Vanuatu avant de revenir en Méditerranée. "Nous sommes ensuite retournés sur l’Egypte, le Cap bon en Tunisie et enfin Toulon pour être démobilisés à la fin de la guerre", se remémore Turner Chapman. Il rencontrera sa future épouse à la Ciotta. Il quitte Marseille quelques temps plus tard pour rejoindre les Etats-Unis où il a trouvé un emploi chez Ford. Il installe sa famille en Californie où il passera le reste de son existence.

(Sources : Tamari’i volontaires, les Tahitiens dans la Seconde Guerre mondiale).

Rédigé par Avec Jean-Christophe Shigetomi le Samedi 9 Janvier 2021 à 11:24 | Lu 3163 fois