Tahiti Infos

" Le trafic d'ice est devenu un contentieux de masse "


Tahiti, le 6 janvier 2020 - Au terme d'une année affectée par la crise sanitaire et économique, le procureur de la République, Hervé Leroy, rappelle qu'outre le trafic d'ice et les violences conjugales, les atteintes à la probité et les questions environnementales restent également des priorités pour le parquet de Papeete. 
 
Face à cette crise sanitaire et économique sans précédent, comment la justice a-t-elle fait face aux contraintes imposées par le contexte actuel ? Son cours a-t-il été ralenti ?

"En ce qui concerne la "justice urgente", le cours de la justice n'a pas été ralenti en matière pénale. En mars dernier, nous avons activé le plan de continuation d'activité (PCA). La permanence téléphonique du parquet a été tenue comme d'habitude. Nous avons fait déférer les gens au même rythme que nous le faisions avant cette crise. Le seul petit changement a été de faire des comparutions immédiates tous les jours pour éviter notamment la saisine du juge des libertés et de la détention. Nous ne pouvions pas rester sur les audiences classiques de comparution immédiate du lundi et du jeudi. Au niveau du tribunal correctionnel, nous avons également continué de fonctionner normalement. Les audiences ordinaires ont été tenues quand les gens étaient en état de détention provisoire ou placés sous contrôle judiciaire. Il y a donc eu une continuité en matière pénale."
 
L'activité pénale de cette année 2020 démontre-t-elle que l'on a encore du mal à endiguer le fléau de l'ice qui est omniprésent dans les affaires traitées ?

"Il faut dire les choses comme elles sont : Le trafic d'ice est devenu un contentieux de masse au même titre que les violences conjugales ou la délinquance routière. Les services de police et de gendarmerie mettent le paquet en matière de trafic de stupéfiants, il y a une très bonne collaboration avec les services américains et pas mal d'échanges d'informations, mais l'on démantèle des réseaux et d'autres se recréent immédiatement."
 
Avec le confinement et l'interruption des vols, l'on aurait pu penser que les ressources en ice allaient se tarir sur le territoire mais l'on a constaté que ce n'était pas le cas…

"Pendant le confinement, les trésors de guerre se sont amincis mais c'est sûr qu'il y avait du stock. Il y a eu une pénurie à la fin de cette période mais les gens sont allés s'approvisionner à Los Angeles dès la reprise des vols. On le sait, la lutte contre le trafic de stupéfiants est une guerre sans fin. En démantelant un réseau, nous savons qu'un autre se constituera aussitôt. Ce n'est pas pour autant que nous ne continuerons pas. Les enquêteurs de la Section de recherches, de la Brigade de recherches et de la Direction de la sécurité publique sont pleinement mobilisés. J'ajoute que les services des douanes ont réalisé de belles saisies en 2020."
 
On remarque que les saisies immobilières semblent marquer davantage les trafiquants que les peines, parfois longues, de prison. Pourriez-vous rappeler quel est l'arsenal juridique en matière de saisie dans le domaine du trafic de stupéfiants ?
 
"Il est sûr que les mesures de saisie pénale et de confiscation sont très efficaces. En matière de trafic de stupéfiants, je rappelle que nous n'avons pas à prouver l'origine frauduleuse des fonds ou des biens acquis. À partir du moment où un individu se livre au trafic, l'intégralité de son patrimoine, quel que soit son origine, peut être saisi ou confisqué. La saisie est une arme efficace."
 
Les violences conjugales restent aussi l'un des principaux fléaux sur le territoire…

"Tout comme l'ice, les violences conjugales sont un contentieux de masse. Nous nous devons de les traiter de manière rapide et efficace car, comme on peut le voir lors des audiences, les auteurs sont souvent récidivistes ou même multirécidivistes. Il y a également la réalité de la dépendance économique entre les victimes et les auteurs mais cela n'est pas propre à la Polynésie. J'insiste également sur les violences physiques ou sexuelles sur les mineurs car elles sont un sujet très important sur lequel on ne faiblit pas."
 
Le sujet est moins évoqué publiquement mais la protection de l'environnement est également une problématique sur le territoire. Est-ce une priorité pour le parquet ?

"Tout à fait, c'est un point prioritaire et je l'avais d'ailleurs annoncé l'année dernière. Nous avons plusieurs dossiers en cours dont celui de la décharge de Faa'a qui est actuellement à l'instruction. Nous avons également pas mal de procédures lancées sur la protection des rivières, sur les pollutions liées au dysfonctionnement, voire au non-fonctionnement, des stations d'épuration, qu'il s'agisse des stations de certains lotissements comme des stations de certains hôtels. Nous avons d'ailleurs un magistrat spécialisé dans ce domaine. Au-delà du discours, il faut des actes et plusieurs enquêtes préliminaires sont actuellement en cours. Dans cette thématique environnementale, j'ajoute que nous nous intéressons aussi aux activités nautiques et touristiques liées à l'observation des baleines. Nous regardons cela de très près et apportons des réponses pénales."
 
La mort d'une octogénaire à Pirae suite à une attaque de chiens avait beaucoup ému l'opinion publique, est-ce également un sujet qui préoccupe le parquet ?

"Oui. Nous sommes aussi très vigilants sur cette problématique. Il est absolument inadmissible et insupportable de voir mourir une personne sur la voie publique suite à l'attaque de chiens."
 
Qu'en est-il des affaires concernant les atteintes à la probité ?

"C'est un impératif et une priorité de la politique pénale, et pas seulement en Polynésie. Je reçois toujours autant de signalements qui sont souvent anonymes. Sur le territoire, les atteintes à la probité relèvent principalement de la prise illégale d'intérêts, du détournement de fonds publics et du trafic d'influence."
 
Vous avez été sous le feu nourri des critiques dans le cadre de l'affaire Radio Tefana. Souhaitez-vous réagir à ce sujet ?

"Sur ce dossier et sur les affaires Temaru, je ne saurais m'exprimer compte tenu du fait qu'il s'agit d'affaires en cours."
 
Quelles sont les perspectives du parquet pour 2021 ?

"Nous allons continuer de répondre aux priorités et aux directives du Garde des Sceaux avec la mise en place de la justice de proximité. Il s'agira d'apporter des réponses pénales assez rapides pour tout ce qui "pollue" le quotidien des Polynésiens comme les problèmes de dégradations, de violences ou de nuisances sonores."
 

Rédigé par Garance Colbert le Mercredi 6 Janvier 2021 à 21:16 | Lu 17191 fois