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Le règlement du Heiva i Tahiti encore remis en cause


Le règlement intérieur du Heiva i Tahiti de nouveau remis en cause.
Le règlement intérieur du Heiva i Tahiti de nouveau remis en cause.
PAPEETE, le 27 Juin 2019 - Il est au coeur de plusieurs désaccords de la part de chefs de groupe, sur les pas de danse notamment en ce qui concerne les pupu ‘ori, ou encore les noms des différentes voix qui ne correspondent pas pour les pupu hīmene. Chaque année, ce règlement est remis en cause, mais cette fois-ci, les "metua" n’ont pas dit leur dernier mot.

"Pour mon spectacle, je n’ai gardé que les pas de danse que nos ancêtres nous ont laissés", Iriti Hoto, chef du groupe Heikura Nui estime que nos traditions se perdent au profit des moyens venant de l’extérieur. Comme lui, des chefs de groupe s’élèvent aujourd’hui pour montrer leur ras-le-bol face aux changements incessants du règlement intérieur du Heiva i Tahiti.

En effet, même si les chefs de groupe définissent les grandes lignes du texte, les membres du jury peuvent, à leur guise, rajouter ou retirer quelques éléments. Une façon de faire qui commence réellement à agacer certains, surtout que pour cette édition 2019, le jury a décidé d’intégrer les pas de danse qui figurent dans le livret du Conservatoire, au concours des meilleurs danseurs. Une décision qui n’est pas du goût des "metua" du "‘ori tahiti". "Ils apportent des modifications sur les noms des pas de danse, mais j’aimerai savoir, que font-ils pour les gestes ? Ils surnomment des pas de danse, mais je me demande d’où viennent ces noms ? A l’époque de nos ancêtres, ces pas n’existaient pas. Donc d’où viennent-ils ? Pour moi, ce sont des pas qui viennent de l’extérieur", s’inquiète Iriti Hoto. "Le ‘ōu’a ‘ōfati, par exemple, a été modifié. Dans le livret du Conservatoire, le pas fait un peu référence à l’oiseau, alors que tu l’exécutes en faisant un saut en avant et tu atterris accroupi", confie l’un d’eux.

" J’ai remarqué aujourd’hui que le heiva a bien changé. Tout est porté sur les thèmes et non sur le spectacle, sur les chants, sur les gestes, sur les pas de danse. Cela m’inquiète parce que c’est ce que nous ont laissé nos ancêtres, c’est notre héritage", poursuit Iriti Hoto, de Heikura Nui.

"On ne les a pas inventés" (Fabien Dinard)

Autre regret de ces mentors du ‘ori tahiti, les pénalités qui seront données s’ils ne suivent pas le règlement. "Ça me fait de la peine d’entendre qu’ils nous retireront 50 ou 100 points si on ne suit pas le règlement. S’ils veulent appliquer des pénalités, eh bien, qu’ils en fassent de même avec les "nouveautés" qu’ils veulent apporter et intégrer à notre culture. Si on parle de thème ancestral, on ne peut pas se permettre de mettre des touches étrangères à notre culture", indique le chef du groupe Heikura Nui. Pour Itiri Hoto, pas question de transiger avec les valeurs qui ont été transmises "par nos ancêtres".

Pour le directeur du Conservatoire, il n’y a pas de polémique à leur niveau. "Ce sont quelques chefs de groupe et des enseignants du conservatoire qui ont fait ce livret. Ils y ont travaillé pendant trois ans. Ce sont des pas qui ont été identifiés au heiva, nous n’avons rien inventé", précise Fabien Dinard, avant de poursuivre : "Ce sont des pas qui ont été proposés par les chefs de groupe, et 95 % de ces pas sont connus, on ne les a pas inventés. Ils se sont basés sur un document qui existait depuis les années 1980 et qui a été construit par Coco Hotahota, Madeleine Moua… les pas que nous avons rajoutés sont les plus récents et qui sont utilisés par certains groupes de danse. Les chefs de groupe qui ne sont pas d’accord n’utilisent pas ces pas. Ils sont libres et il n’y a aucune obligation de suivre ce livret."

Selon le directeur du Conservatoire, ce livret a été fait parce qu’à "un moment donné, notre jeunesse était demandeuse, parce qu’ils étaient nombreux à avoir ouvert leur école de danse et ils n’ont aucune base. J’invite les chefs de groupe à aller voir dans le document qui existait dans les années 80 et à lire la définition du "‘ōu’a ‘ōfati". Il faut juste être ouvert d’esprit et il faut arrêter d’être fermé sur le passé, on ne va pas avancer", termine Fabien Dinard.

Les membres du jury veulent une refonte du règlement

Du côté des membres du jury de ce Heiva i Tahiti 2019, il est urgent aujourd’hui de revoir le règlement. "La question que je me pose est, que dois-je faire ?", s’interroge Olivier Lenoir, "Prendre ce qui est nouveau ou ce qui est ancien ? Ou bien retirer ce qui est ancien pour ne garder que ce qui est nouveau ? Il faut que tous les chefs de groupe en Polynésie se réunissent pour en discuter, afin que tout le monde se mette d’accord et définisse un règlement." Un discours qui est partagé également par Victor Teriitahi : "Certes, il faut apporter quelques modifications, parce qu’il faut se l’avouer, on est quand même perturbés sur certains pas de danse que l’on ne connait pas, alors que nous sommes dans la danse depuis plus de 40 ans. Et ce qui nous est proposé aujourd’hui ne correspond pas à ce que nos ancêtres nous ont laissés. Cependant, nous acceptons ces nouveautés, grâce au livret qui nous a été proposé. Après, il y a quand même cette petite voix en nous qui nous dit, est-ce que cela est juste ou pas ? D’où la nécessité de réunir tous les chefs de groupe afin qu’ils décident tous ensemble de la voie à prendre, pour que nos futures générations aussi ne se retrouvent pas dans notre situation plus tard. L’an dernier, les groupes avaient la liberté de choisir les deux pas : le ‘ōu’a ‘ōfati et le pā’oti nu’u tīfene. Le pā’oti nu’u tīfene que nous connaissons, nous les anciens, est bien différent de celui donné par le Conservatoire."

Jean-Marie Biret, lui, n’est pas du même avis : "Le choix du jury a été d’opter pour ces pas qui sont publiés dans un livret, et nous ne disons pas que ce livret est la vérité. Nous voulons juste une base, c’est un choix. C’est du respect envers toutes les personnes qui ont fait ce travail, mais c’est la population qui va valider avec le temps. Pour nous, cette année, c’est pour être un peu crédible. L’année dernière, on avait donné le choix, mais cette année, on a opté – et même dans le jury, nous ne sommes pas tous d’accord – pour la dénomination qui est affichée dans le livret. C’est le livret qui a été fait par le Conservatoire et qui a été initié par la fédération. Pour moi, il n’y a pas de polémique, il y a une connaissance qui voudrait être harmonisée et ce n’est pas simple."
Les membres du jury de ce Heiva i Tahiti 2019.
Les membres du jury de ce Heiva i Tahiti 2019.

Des remises à niveau pour le chant également

Côté chant, Māmā Iopa, la présidente du jury, affirme que des modifications sont nécessaires : "Les groupes de chant ont 30 minutes pour leurs prestations, et ça démarre dès leur entrée en scène jusqu’à leur sortie. Je pense qu’il y a des modifications à apporter à ce niveau-là. Je trouve que cela est insuffisant, surtout qu’après leur chant d’ouverture, il y a le ‘ōrero, puis le tārava, le rū’au, le ‘ūtē et le chant de fermeture. Il y a aussi le nom des voix que l’on retrouve dans les trois tārava. Je vais prendre, par exemple, le "marū tāmau", un nom que l’on utilise pour le tārava tuha’a pae et le tārava raromata’i. Pour le tārava Tahiti, on utilise le terme de "marū parauparau". Et depuis deux ou trois ans, le "marū tāmau" du tārava raromata’i est appelé "marū parauparau", et ce n’est pas possible."

Autre souci, selon Māmā Iopa, le jury qui est changé chaque année. "Chacun apporte sa vision et met les modifications qu’il veut", regrette-t-elle. Pour Iriti Hoto, la solution est toute trouvée : "J’avais demandé, l’année dernière, que le jury reste en place pendant trois ans pour que le règlement ne soit plus modifié. Si on s’amuse à changer, à chaque fois, les membres du jury, eh bien, le règlement sera, sans cesse, modifié."

Pour que ces pe’ape’a prennent fin, le ministre pense à réunir tous les chefs de groupe afin de revoir le règlement du Heiva i Tahiti. Est-ce-que cela suffira à calmer les esprits ? On le saura prochainement. Le règlement sera, selon la présidente du jury, revu une fois que le Heiva i Tahiti 2019 sera terminé.

Le règlement du Heiva i Tahiti encore remis en cause


le Jeudi 27 Juin 2019 à 16:39 | Lu 2438 fois