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Le procès de l'argent facile du réseau de trafic d'ice Mai-Marlier


Le procès de l'argent facile du réseau de trafic d'ice Mai-Marlier
PAPEETE, 22 août 2018 – Douze prévenus comparaissent en correctionnelle jeudi encore dans le procès de l’affaire Mai-Marlier. Le tribunal s’intéresse à l’importation de 6 kilogrammes introduits sur le territoire par les soins de Yannick Mai et revendus, de février à juin 2017 par le réseau Marlier, de même qu'à 1,2 kg saisi à l'aéroport de Faa'a en septembre. Le jugement est attendu vendredi.

Après l’affaire des époux Dubaquier jugée en mars dernier et l’affaire Kikilove, en juin, c’est le troisième gros dossier d’importation et de trafic d’ice qui occupe le tribunal correctionnel cette année, à Papeete. Le procès du réseau Mai-Marlier a débuté mercredi au palais de justice. Douze prévenus comparaissent pour les délits d'importation illicite, détention, transport, cession illicite d'ice, d'association de malfaiteurs, de complicité de ces délits ou de blanchiment d'argent. Tous sont soupçonnés d’avoir pris part entre février et septembre 2017, à divers titres, à l’un des plus importants réseaux de trafic d’ice mis à jour entre Los Angeles et Tahiti.

Bien avant l’arrestation de Yannick Mai, le 11 juin 2017 à l’aéroport international de Los Angeles, en possession de 3,7 kg de "Meth", les limiers de la section de recherches enquêtaient sur des soupçons de trafic d’ice depuis quelques semaines déjà. En mai, ils venaient d’interpeller, dans le cadre d’une enquête sur commission rogatoire, un dealer en possession de 5,5 grammes de méthamphétamine, près d’un gramme de cocaïne, de la résine de cannabis, 442 000 francs en espèces et divers équipements de revendeur de drogue. Entendu en garde à vue, l’homme avait fini par avouer qu’il se fournissait auprès d’un certain "Jumeau", travaillant pour le compte de Moerani Marlier. Et c’est en s’intéressant aux agissements et aux relations de ce dernier que les enquêteurs ont fini par dévoiler l’importation à Tahiti de 7,2 kilogrammes d'ice en provenance des États-Unis.

Sur cette quantité, 1,2 kg a été saisi à Tahiti-Faa'a le 4 septembre mais 6 kg ont été introduits sur le territoire par les soins de Yannick Mai et revendus par le réseau Marlier, de février à juin 2017, à raison de 2 kilos par mois. La marchandise alimente durant ces mois fastes toute une collectivité de personnes gravitant autour de Moerani Marlier et sans doute aussi de Yannick Mai. Des hommes de confiance, des dealers en gros ou au détail, et les épouses ou les proches qui profitent de la manne.

De l’argent en abondance

Pour les dollars US qui ont pu servir à se fournir en ice aux États-Unis : pas de problème. Le réseau à une source en la personne de Franckie Tumahai. Il connait des perliculteurs avec qui il échange sans limite de montant des billets verts au taux de 112 francs le dollar. Il est l'un des cas de ce dossier. A 51 ans, l'homme a passé 26 ans de sa vie derrière les barreaux pour purger les peines de 11 condamnations dont 10 pour des affaires de stupéfiants.

Dès le début de l’instruction à l’audience, mercredi, si le président Léger tente de faire la lumière sur le rôle joué par chacun dans le cadre de ce réseau de trafic d’ice, ce qui frappe d’emblée, ce sont les masses d’argent qui circulent en abondance, à coup de 250 000 francs par-ci, 500 000 francs par-là, jusqu’à l’évocation de ce "sac Carrefour", chargé de 30 millions de francs en billets de banque. Le tas d'argent est présenté comme un trophée le 10 avril en marge de l’anniversaire de Ouira, l’homme de confiance et mécano de Marlier. Sur cette somme, 28 millions sont toujours dans la nature aujourd'hui. Les enquêteurs en perdent la trace après le "Code rouge" déclenché dans le réseau le 11 juin 2017 par Temarii, le fils du "Parrain", suite à l’arrestation de Yannick Mai à l’aéroport international de Los Angeles. Il s'en suivra un grand ménage mis sur pied à la hâte pour camoufler les traces du trafic, au domicile de l'importateur, à Super Mahina. Mais tout le monde est déjà sur écoutes téléphoniques depuis plusieurs semaines.

Dans ce réseau, durant les mois d’abondance entre février et juillet 2017, les scooters T-max sont distribués comme véhicules de fonction aux hommes de confiance. Moerani Marlier vit dans un luxe flamboyant. Grand consommateur d’ice, l'individu mène grand train dans des hôtels étoilés, occupe trois habitations entre Tahiti et Moorea, roule en voitures de luxe, loue les services de prostitués et fait litière de la plus élémentaire mesure de discrétion. Principe qui devraient normalement obséder quiconque s’aventure dans ce genre de commerce prohibé. Lui est surnommé le "Boss" voire "El Chapo", et ne fait pas mystère de sa position à la tête du conséquent trafic de drogue. Un "business" qui a pu générer un chiffre d’affaires de 600 millions en l’espace de 6 mois, de février à août 2017.

La marchandise est "bazardée en gros" par "Jumeau", Heimanu Hiro de son vrai nom, au prix de 100 000 à 120 000 francs le gramme. Le dealer se décrit lui-même comme un revendeur méthodique et "réglo". Tout ce qui l’intéresse c’est la performance. Il avoue avoir "ramené aux alentours de 96 millions" à Moerani Marlier avec l’ambition d’attirer à lui l’attention du "big boss", le "Parrain", Yannick Mai. Il se paye sur les ventes en nature et en espèces et avoue fièrement avoir écoulé "de 800 grammes à un kilo" durant les quelques mois de 2017 qui ont intéressé l’instruction. Il comparaît détenu et en état de récidive légale, cette semaine. Et il le dit volontiers : "c’était plutôt l’argent qui était intéressant" pour "subvenir aux besoins de (sa) petite famille". L’ice est vendu sans discrimination aux "petits tetuanui" ou à des "gens qui viennent pour le compte d’autres". Il n'y a aucune marge de négociation sur les prix : "c’était à prendre ou à laisser", dit-il. "Il y avait du monde qui attendait".

5 kg manquent à l'inventaire

Il demeure cependant que, hormis ce kilo vendu par "Jumeau", les prévenus restent muets sur les conditions de l’écoulement des 5 kg d’ice qui manquent à l'inventaire de l'instruction. Ils ont pourtant été importés et en grande partie vendus localement. Cette masse n’a vraisemblablement pas été fumée en consommations personnelles comme tentent de le faire croire au tribunal les principaux prévenus.

Moerani Marlier comparaît détenu. Il doit être entendu jeudi matin par le tribunal. L'audition du fils de Yannick Mai, Temarii, est également programmée jeudi. Ce trentenaire est décrit par plusieurs prévenus comme "actionnaire pour un tiers" dans le trafic mis en place par son père. Ce qu’il nie. L’instruction à l’audience tentera d’établir son implication réelle dans ce réseau de trafic d’ice. Son avocat, Édouard Varrod, dit avec conviction qu'il plaidera la relaxe.

Yannick Mai ne pourra être entendu dans le cadre de ce procès. Il est détenu aux États-Unis, depuis juin 2017 et devrait vraisemblablement être jugé là-bas, en raison de sa double nationalité franco-américaine. Il demeure sous le coup d'un mandat d'arrêt émis par la justice française.

Dans cette affaire de trafic d'ice, le tribunal prévoit de rendre son jugement vendredi après-midi. Les peines devraient être exemplaires. Tous les prévenus sont aujourd’hui sous la menace d’une condamnation pénale allant jusqu’à 10 ans d’emprisonnement. Ils sont encore tous présumés innocents tant que leur culpabilité n'a pas été établie par un tribunal et que tous les recours devant les juridictions compétentes n'ont pas été épuisés.

Reste qu'en cumul sur l'année 2017 la justice estime, tous comptes faits, que 47 kilogrammes d'ice ont été importés et en grande partie écoulés en Polynésie française où le dernier recensement général de la population a compté 276 000 habitants, il y a moins d'un an.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mercredi 22 Août 2018 à 17:58 | Lu 7273 fois