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Le pakaculteur avait un belle histoire


Tahiti, le 4 novembre 2021 - Un quinquagénaire de Papara a été condamné à deux ans de prison avec mandat de dépôt pour trafic de cannabis. Il exploitait une plantation indoor de 200 mètres carrés dont la production était réservée à une clientèle choisie et convaincue des vertus médicinales du cannabis, a-t-il longuement défendu à la barre, jeudi. Mais en partie, seulement…
 
Il a adopté l’attitude sincère du cultivateur éthique à l’audience en comparution immédiate, jeudi. Ce quinquagénaire de Papara n’en était pas moins cité pour transport, usage, détention et cession de cannabis cultivé par ses soins, sur une période de prévention de trois ans, de juillet 2018 à septembre 2021. Les perquisitions réalisées à son domicile par la gendarmerie en septembre dernier permettent d’identifier une plantation indoor quasi industrielle, climatisée et ventilée, étalée dans trois hangars sur près de 200 mètres carrés avec 40 lampes à UV. Une plantation alimentée en énergie par une installation photovoltaïque de 96 panneaux reliés à 40 amplificateurs. Le tout masqué par un système de récupération des odeurs. L’affaire est mise au jour sur la foi d’une délation. Mais les gendarmes vont écumer la zone pendant plusieurs semaines avant de débusquer la plantation. Ils finissent par saisir 1 061 pieds de cannabis, 691 000 Fcfp en espèces et près de quatre kilos de cannabis séché, conditionné en sachets zippés de 30 ou 120 grammes.

A la barre, jeudi, l'homme se défend d’avoir fait ça pour le profit. Tout juste avoue-t-il en claironnant : “Je suis un pro. Quand je me lance dans quelque chose, j'essaie de le faire bien”. Le cheveu grisonnant, une tresse en queue de cheval, la corpulence enrobée et le verbe sûr, il s’adresse au tribunal avec le ton de la sincérité. Plus gros éleveur de lapin dans les années 2000, il se trouve au bord de la banqueroute vers 2006 avec une dette fournisseur de plusieurs millions de Fcfp et aucun secours à espérer des banques. Il explique que la providence place alors un prêteur, sur son chemin. Ce dernier lui donne 4 millions de Fcfp, mais il faudra en rembourser 6. Le malheureux accepte et dit ne plus avoir entendu parler de son usurier jusqu’en 2016. Entre temps, ses affaires ont capoté d'ailleurs. Il travaille maintenant sur un projet de culture de vanille sous serre. Et c'est dans ces jours de disette que le mystérieux usurier refait surface en exigeant remboursement. “Je n’étais même plus capable de payer mon propriétaire : 60 000 Fcfp par mois”, explique le prévenu. Le prêteur lui propose donc de se lancer dans la culture de cannabis. Il financera le démarrage. “Alors quand le gars est venu, j’ai vite accepté.”

Clientèle et convictions

L’installation est financée et prend vite de l’ampleur. L’usurier s'avère être plusieurs. Ils organisent la collecte d’une partie de la production, et se remboursent ainsi en nature, progressivement. Une partie de la production est laissée au quinquagénaire qui organise des livraisons-ventes à une clientèle choisie, sur la côte Ouest : des entrepreneurs, des fonctionnaires, des personnes installées. Lui, il consomme du cannabis depuis l’âge de 16 ans et vante ses propriétés médicinales. Il vend à des clients qui partagent les mêmes convictions. “Aujourd’hui, je fais de la vanille thérapeutique, de l’huile de miri thérapeutique, du cannabis thérapeutique. Je suis dans le médicinal”, défend-il. L’activité finit au demeurant par générer autour de 15 millions de Fcfp par an, “dans les bonnes années”, relativise-t-il. “Vous avez quand même un chiffre d’affaires important”, constate le président du tribunal. “Oui, mais tout part en charges”, lui répond le prévenu. “C’est déconcertant, , observe le président. Vous en parlez avec une telle décontraction…” Et du tac au tac : “Oui, parce que j’ai fait ça pour me libérer de ces gens”. L’affaire se développe pour atteindre le stade industriel que constateront les gendarmes lors des perquisitions en septembre.

​Mandat de dépôt

En 2020, l’homme investit même 7 millions de Fcfp dans son installation photovoltaïque. Cet achat interpelle un des juges assesseurs : “Pourquoi n’utilisez-vous pas plutôt cet argent pour rembourser votre dette et arrêter ?”. “Parce que ce n’était pas leur souhait”, objecte-t-il. “C’est un comportement d’associés, ça”, note le président dubitatif. Pas plus convaincu par l’exposé du prévenu, le procureur Leroy embraye peu après pour requérir une peine de 36 mois de prison dont 12 avec sursis et la confiscation de tous les scellés : argents, matériel, véhicule, installations immobilières. “C’est un trafiquant, et il doit être pris comme tel !” martèle le ministère public.

Mais le “profil atypique” de cet homme “qui ne cache rien” justifie pour maître Loris Peytavit une peine bien moins lourde. Si possible aménagée, à domicile. “C’est quelqu’un qui a des convictions”, défend l’avocat. “C’est fondamental. Il a fait des produits de qualité. Les a vendus à des amis qui partageaient les mêmes convictions que lui”. Et de rappeler que “les temps changent : le Luxembourg vient de légaliser la production pour les consommations personnelles. Un projet de texte a été déposé ici par la députée Sanquer pour autoriser l’usage de cannabis thérapeutique. Mon client est un précurseur. Je n’ai pas envie que dans quelques années on dise qu’il a été un martyr”, développe-t-il en soulignant le casier judiciaire vierge de son client. Il suggère la saisie des scellés en lien avec ce qu'on lui reproche : aucun risque de récidive, si on le prive de son outil de travail.

Après en avoir délibéré, le tribunal a jugé que l’homme était coupable du délit de trafic de stupéfiants. Peu sensible à toutes ces arguties, s'il adhère à la suggestion de l'avocat sur le quantum des saisies, il condamne l’ancien éleveur de lapins devenu gros cultivateur de paka à trois ans de prison dont une année avec sursis, et prononce le mandat de dépôt. 

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Jeudi 4 Novembre 2021 à 21:11 | Lu 5881 fois