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Le casse-tête des travailleurs précaires


Le casse-tête des travailleurs précaires
PAPEETE, le 4 mars 2017 - Un témoignage met en lumière les problèmes de l'assurance santé polynésienne. À l'heure du chômage de masse et des petits boulots à répétition, de nombreux travailleurs se retrouvent sans couverture maladie plusieurs mois par an.

L'année dernière, Véronique était professeure vacataire aux lycées professionnels de Faa'a et de Taravao. Elle est repartie en Métropole début décembre, mais a profité d'avoir retrouvé sa liberté de parole pour nous raconter ses mésaventures avec la Caisse de prévoyance sociale CPS, qui l'ont conduit à ne plus être couverte trois mois par an, sans qu'elle soit au courant. Un cas d'école qui montre comment le système peut parfois marcher sur la tête.

Car si une enseignante rompue aux procédures avec l'administration n'arrive pas à trouver de solution, comment un travailleur précaire sans diplôme peut-il espérer se garantir une couverture maladie correcte ? Elle-même se pose la question : "C'est quand même incroyable ! Comment fait un Polynésien qui signe un CDD tous les quatre mois, et malheureusement il y en a beaucoup. Il est assuré un mois par trimestre ? Et celui qui ne fait pas 169 heures par an, il n'est jamais assuré ? Comment il fait ?"

"Inquiète pour les gens sans couverture"

La réponse dans les deux cas est qu'ils devront s'inscrire à un autre régime que celui des salariés. Le régime de solidarité (RSPF) s'applique aux couples avec ou sans enfants qui gagnent moins de 97 346 Fcfp par mois. Celui des non-salariés (RNS) est destiné à tous les autres. Mais les conditions d'accès au RSPF sont strictes et beaucoup de demandes sont refusées (l'adminission a été durcie en 2015 pour lutter contre la fraude, puis réassouplie en partie en 2016). Les demandeurs doivent alors faire les dossiers du RNS, qui leur ouvre une couverture maladie pour une cotisation minimale d'environ 7300 francs par mois. Quel que soit le régime, les consultations et médicaments ne sont remboursés qu'à 70 %.

En tant qu'enseignante en contact avec les familles les plus pauvres de notre île, elle voit en direct les échecs de notre système d'assurance maladie : " Je suis très inquiète pour tous ces gens sans couverture maladie, qui risquent de s'endetter à vie s'ils ont un accident. Le nombre d'enfants que je vois au sein des lycées… La misère y est vraiment, à Taravao, mais surtout à Faa'a. Beaucoup, beaucoup d'enfants ne se font pas soigner. Ils attendent d'être dans un état critique pour aller à l'hôpital. Et c'est facile de comprendre pourquoi quand on discute avec les parents. Ils n'ont pas de quoi payer, et voilà. Parfois, les enfants ont quelque chose. Je leur dis que ce qu'ils ont n'est pas du tout anodin ; qu'ils doivent aller voir un médecin ou à l'hôpital, mais beaucoup n'y vont pas parce que leur famille n'a pas les moyens."

Quand on lui demande si elle a été déçue par son séjour en Polynésie, où elle était venue "pour découvrir, voir comment c'était avec (sa) fille", elle ne laisse pas les problèmes administratifs la troubler : "J'aime beaucoup la Polynésie, les gens me plaisent beaucoup. Mais il y a plein de choses qui fonctionnement très mal."

Quand la CPS joue sur les mots

Si Véronique a une telle connaissance du fonctionnement de notre assurance maladie, c'est qu'elle a eu maille à partir avec elle. "Je suis arrivée en juillet 2015. En métropole, je ne suis pas titulaire, je suis contractuelle. Quand je suis arrivée à Tahiti j'ai cherché un travail d'enseignante et j'ai été embauchée par l’Éducation nationale. A partir du moment où j'ai été engagée en contractuelle, j'ai cotisé à la CPS, ce qui est normal. Je vois que depuis le départ on me retire de mes fiches de paie mes charges salariales pour la CPS."

Tout va bien jusqu'à ce qu'un an plus tard, elle demande quelques remboursements pour des frais médicaux encourus avec sa fille, qu'elle élève seule. Les paiements sont refusés, et elle découvre qu'elle n'est pas couverte plusieurs mois par an : "Ce qu'il se passe pour les contractuels c'est que nos contrats s'arrêtent pendant les longues vacances, donc celles de décembre et celle de juillet-août. Nous ne sommes pas payés en décembre et en août. Donc mon contrat s'est arrêté l'été dernier, et à la rentrée plus aucun remboursement ne passait."

Véronique découvre que contrairement à la France, la Polynésie ne couvre plus les salariés dès qu'ils perdent leur emploi (avec un mois de décalage). Donc pas de couverture pour le mois non travaillé. En plus elle apprend que les deux semaines travaillées en août, payées un bon 180 000 francs sur lesquelles elle a cotisé, ne lui permettent aucun remboursement non plus. "On finit par me dire que je n'ai gagné aucun droits pour le mois d’août. J'aurais dû faire 80h de travail, parce que la loi dit, selon eux, qu'il faut travailler 80 heures ET gagner au moins le SMIG le mois précédent. Mais en vérifiant les textes, on voit que la condition est d'atteindre 80h de travail OU le SMIG, ce que je respectais. Moralité on n'a pas été couvertes en août, ni en septembre"

Pour résumer : "En gros je suis embauchée par l’État français, je suis avec une enfant, et nous ne sommes pas assurées trois mois par an sans que l'on soit mises en courant, et même des mois où j'ai travaillé. C'est incroyable quand même."

Si Véronique aime la Polynésie, elle ne recommandera à personne de venir remplir un poste de vacataire dans nos îles : "Jamais je n'aurais accepté de travailler pour l'Education nationale dans de telles conditions si je l'avais su. J'aurais été obligée de prendre une assurance volontaire, donc encore un coût en plus. Je veux dire, ça va. On est payés autour de 3200 euros nets sans heures supplémentaires, il manque trois mois de l'année, on n'a pas d'assurance chômage… J'ai fait mes calculs, et en comptant une assurance pour remplacer la CPS, on est payés exactement le même montant qu'en France où on touche 2100 euros net par mois, lissé sur l'année. Sauf qu'ici la vie est bien plus chère ! Et avec tout ça, on n'applique même pas la loi, on me gratte un mois de couverture maladie avec cette histoire complètement malade de ou dans les textes interprété comme un et par la CPS."



Ce que dit vraiment le droit

Article 3 de la délibération 74-22 du 14 février 1974 instituant un régime d'assurance maladie invalidité au profit des travailleurs salariés (version consolidée du JOPF) :
"Le bénéfice des diverses assurances est acquis (...) dès lors qu'il est déclaré à la Caisse de prévoyance sociale et justifie avoir effectué, au cours des 30 jours précédant le début de l'incapacité ou de la maladie, un minimum de 80 heures de travail ou perçu une rémunération mensuelle au moins équivalente à 169 fois le montant du salaire minimum interprofessionnel garanti horaire."

Le texte prévoit bien que qu'il faut travailler un petit peu plus de deux semaines, ou alors avoir touché au moins le SMIG, pour avoir des droits au régime des salariés. Ce n'est pourtant pas l'avis de la CPS, comme l'atteste cet extrait d'un courriel du service RH du vice-rectorat : "Conformément à notre conversation, je viens vers vous après avoir contacté la CPS. (Vos droit ne s'ouvrent qu'un mois après la signature de votre contrat, et) pour que vos droits soient ouverts il faut également que le nombre d'heures travaillées pour le mois "M-1" soit au moins égal à 80 heures et que vous perceviez un salaire supérieur ou égal au SMIC. Et c'est là que votre situation pose de nouveau problème car vous n'avez pas effectué 80h malgré que vous ayez perçu plus du SMIC."

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Samedi 4 Mars 2017 à 10:00 | Lu 8413 fois