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Le bouclier antimissiles "Dôme d'or", projet herculéen et incertain


Crédit Jim WATSON / AFP
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Le Bourget, France | AFP | jeudi 19/06/2025 - Le "Dôme d'or", bouclier antimissiles voulu par Donald Trump pour sanctuariser le territoire américain, constitue un projet herculéen sur les plans technologique et financier, risquant de bouleverser l'équilibre stratégique avec la Chine et la Russie, s'accordent des analystes.

Pour ce projet qui évoque une version sous stéroïdes du Dôme de fer israélien, le président américain dit vouloir d'ici la fin de son mandat doter les Etats-Unis d'un système opérationnel qui coûtera selon lui 175 milliards de dollars.

"Irréaliste" dans un délai si court tant les défis sont importants", objecte Thomas Withington, chercheur associé au Royal United Services Institute. 

Le mener à bien va requérir une mobilisation "de l'ordre de grandeur de celle du projet Manhattan", ayant donné naissance à la bombe atomique, selon le général Michael Guetlein, numéro deux de l'US Space Force nommé à la tête du projet Golden Dome.

Pour se protéger contre la menace des missiles balistiques ou de croisière, les Etats-Unis ne sont pas dépourvus de moyens avec leurs radars de veille avancée, 44 missiles GBI installés en Californie et en Alaska, 38 navires dotés de capacités antimissiles, sans compter les batteries sol-air Patriot ou THAAD, selon le Pentagone.

"Nous avons des systèmes éprouvés au combat prêts à être déployés dès aujourd'hui pour poser les bases du Golden Dome", explique à l'AFP Tom LaLiberty, président des systèmes anti-aériens du fabricant de missiles Raytheon, qui développe également des "véhicules capables de détruire des missiles balistiques dans l'espace".

Comme l'Initiative de défense stratégique (IDS) ou "Guerre des étoiles", lancée par Ronald Reagan dans les années 1980, le Golden Dome vise à positionner dans l'espace des satellites intercepteurs.

- "Énorme constellation" -

"Le meilleur moment pour se défendre contre un lancement de missile balistique intercontinental est dans sa phase initiale de propulsion" de quelques dizaines de secondes, explique Thomas Roberts, professeur au Georgia Institute of Technology.

"Le concept général est que si vous aviez une énorme constellation d'intercepteurs en orbite en permanence, ils pourraient être facilement désorbités pour frapper un missile balistique intercontinental (ICBM)", ajoute-t-il.

Car il faut s'assurer qu'il y ait en permanence un satellite intercepteur à proximité du site de lancement pour détruire le missile.

Selon les calculs de Todd Harrison, de l'American Enterprise Institute, il faut compter environ 950 intercepteurs en orbite pour garantir qu'au moins un soit toujours à portée pour intercepter un missile pendant sa phase de propulsion.

"Si un adversaire lance dix missiles en rafale, il faut environ 9.500 intercepteurs dans l'espace pour garantir qu'au moins dix soient à portée pour intercepter tous les missiles", écrit-il, rappelant que la Chine dispose de 350 ICBM, la Russie de 306, sans compter les engins tirés depuis leurs sous-marins.

Selon le CBO, une agence du Congrès américain sans affiliation partisane, pour simplement contrer "un ou deux missiles balistiques intercontinentaux", il faudrait une constellation de près de 2.000 satellites pour un coût compris entre 161 milliards de dollars et 542 milliards.

Prétendre à un bouclier étanche contre une attaque massive semble donc irréaliste et hors de prix.

Cela passerait par des renoncements à d'autres programmes militaires, estime Todd Harrison, pour qui le "Golden Dome pourrait devenir l'exemple emblématique du gaspillage et de l'inefficacité dans le domaine de la défense".

Pour éviter les débris provoqués par la collision avec le missile, Washington compte aussi développer des satellites équipés de lasers.

- "Profondément déstabilisant" -

Mais il faudrait qu'ils aient une puissance considérable et "aujourd'hui en termes de techno, c'est encore hors de portée de ce que même les Américains sont capables de faire", juge un industriel européen.

Selon lui, "le Golden Dome, c'est simplement un excellent moyen pour redonner à l'industrie américaine des financements considérables pour continuer à accroître leur avance technologique sans nécessairement viser derrière un véritable déploiement opérationnel".

Malgré les difficultés techniques, le projet n'en demeure pas moins "profondément déstabilisant", ont mis en garde dans une déclaration conjointe Pékin et Moscou.

"Loin de renforcer la sécurité nationale des Etats-Unis, l'initiative risque d'exacerber l'instabilité mondiale et d'accélérer la concurrence stratégique" et de "déclencher une dangereuse course aux armements mondiale", estime Julia Cournoyer, du groupe de réflexion britannique Chatham House.

L'objectif est peut-être ailleurs.

"Il se peut que l'administration Trump espère que cela amènera la Chine et la Russie à une table de négociation pour discuter d'une réduction de la taille des arsenaux nucléaires ou pour revitaliser le contrôle des armements", estime Thomas Withington.

Un avis que partage Todd Harrison: "Tout comme le président Reagan a utilisé le programme IDS comme levier de négociation avec l'Union soviétique, le président Trump pourrait avoir une stratégie similaire en tête pour le Golden Dome".

le Vendredi 20 Juin 2025 à 03:10 | Lu 542 fois