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Le Fare Iamanaha dévoile ses trésors avant sa réouverture


Le ti'i A'a à gauche et le costume de deuilleur à droite. Crédit photo : Greg Boissy.
Le ti'i A'a à gauche et le costume de deuilleur à droite. Crédit photo : Greg Boissy.
Le musée de Tahiti et des îles a ouvert pour la première fois ses portes à l'occasion d'une pré-visite ce mardi. En présence du directeur du musée de Cambridge, Sir Nicholas Thomas, de la conservatrice du British Museum, Julie Adams et de la directrice du musée Miriama Bono, plusieurs œuvres comme le costume de deuilleur ont été présentées. Des retours sous forme de prêts ou dépôts, qui sont le premier pas vers une dynamique d'échange entre la Polynésie et les musées européens.
 
Le musée de Tahiti et des îles est fin prêt à rouvrir ses portes le 4 mars prochain, après presque cinq années de fermeture. Mardi matin, une pré-visite a été organisée dans la nouvelle salle d'exposition permanente, en compagnie du directeur du musée de Cambridge, Sir Nicholas Thomas, de la conservatrice du British Museum, Julie Adams et de la directrice du musée Miriama Bono. À l'occasion de cet événement, toutes les nouvelles pièces, prêtées par les musées anglais et le musée du Quai Branly, annoncées depuis plusieurs années, ont enfin pu être dévoilées. Trônant sous leur cloche de verre, elles seront exposées dans cette immense et nouvelle salle de 1 400 m², dédiée à la culture polynésienne. “C'est un moment important, car c'est un projet sur lequel je travaille depuis mon 1er jour au gouvernement qui aboutit. Je suis vraiment très heureux, car on rapporte l'histoire de la Polynésie en Polynésie” s'est réjoui le ministre de la culture, Heremoana Maamaatuaiahutapu en marge de cette pré-visite.
 
Un retour sous forme de prêt
 
Cette collaboration signe surtout le retour de pièces emblématiques de la culture locale, comme le costume de deuilleur, la statuette du dieu A'a, le fragment de la ceinture de chef maro'ura, la sculpture du dieu Rongo ou encore une coiffe en plume de coque taavaha provenant des Marquises. C'est la toute première fois que tous ces objets sont réunis au même endroit. “C'est très important pour nous de voir ces œuvres ici en Polynésie. C'est un moment historique”, a ajouté Sir Nicholas Thomas lors de la visite. Des œuvres qui reviennent de manière provisoire sur le territoire sous forme de prêt ou de dépôt. “C'est difficile de réclamer leurs retours définitifs puisque ce ne sont pas des œuvres qui ont été pillées comme en Afrique. Elles ont été échangées avec le capitaine James Cook par nos anciens grands chefs. Qui sommes-nous pour revenir sur leurs décisions ?” a observé Heremoana Maamaatuaiahutapu. “De plus, peut-être qu'elles n'existeraient plus si elles n'étaient pas parties en Europe”. Pour profiter de ses œuvres incarnant la culture polynésienne, des opérations seront menées pour rendre accessible cette exposition aux communautés des archipels. “L'idée est de rendre disponible aux communautés leur patrimoine. On a donc mis en place un système qui donnera un accès gratuit pendant un an, aux associations culturelles et artisanales, comme celle de tissages aux Australes ou aux Marquises” a indiqué Miriama Bono. La conservatrice du British Museum, Julie Adams, a d'ailleurs déjà planifié une visite du musée ce vendredi en compagnie des communautés de Rurutu pour qu'ils puissent découvrir le ti'i A'a.
 
Créer une dynamique d'échange
 
L'installation de toutes ses œuvres au musée de Tahiti et des îles marque également le premier pas d'un partenariat entre la Polynésie et les musées européens. “Ces prêts ou dépôts sont une première étape. Maintenant les musées ne sont plus du tout fermés à l'échange, a souligné Miriama Bono, l'objectif est de pouvoir entretenir une dynamique d'échange. Il ne faut pas voir le patrimoine comme quelque chose de statique”. Une perspective que valide Sir Nicholas Thomas, le directeur du Museum of Archaeology de Cambridge : “On voudrait continuer les échanges. Nous sommes notamment intéressés par les artistes polynésiens contemporains avec l'art du tissage et du tifaifai.”

 Pour le ministre de la Culture, au demeurant, créer et poursuivre l'échange d'œuvres polynésiennes avec différents musées dans le monde, est un moyen d'entretenir le soft power du pays en diffusant sa culture à travers des “objets ambassadeurs” : “On est déjà en discussions avec le musée Te Papa Tongarewa de Wellington en Nouvelle-Zélande mais également celui d'Hawaii et du Vatican. On espère parvenir à instaurer des partenariats avec eux aussi”, a souligné Heremoana Maamaatuaiahutapu.
 
Déplacer des œuvres centenaires
 
Déplacer des œuvres centenaires, nécessite bien évidemment des précautions quant à leur protection. “Ce sont des pièces qui n'ont jamais été déplacées. C'est leur premier voyage depuis leur arrivée en Angleterre, il y a presque 250 ans”, commente Julie Adams, la conservatrice du British Museum qui s'est occupée du transport, de la conservation et même du réassemblage des œuvres ayant fait le voyage depuis le musée londonien. “Le plus compliqué à transporter a été le costume de deuilleur car il est composé de plusieurs pièces dont certaines extrêmement fragiles comme la partie couverte de plumes” a-t-elle expliqué : “Nous avons dû la transporter dans quatorze boites différentes. Pour la partie plumée, nous avons dû trouver une nouvelle méthode. On a mis la boite dans laquelle nous l'avions entreposé dans une autre caisse remplie de ressort pour atténuer au maximum les vibrations et les secousses”. Le processus d'échange est très règlementé puisque les pièces circulent toujours en compagnie du conservateur du musée préteur. “Nous venons seulement en soutien logistique, mais ce sont eux qui les installent. C'est normal car ce sont eux qui les connaissent et c'est la même chose quand nous prêtons nos œuvres. Tout ça est une question de sécurité et d'assurance”, détaille la directrice du musée de Tahiti et des îles, Miriama Bono. D'autres œuvres ont également nécessité une vigilance renforcée lors de leur voyage, comme le taavaha (coiffe en plume de coq) ou encore la ceinture de chef maro'ura.
 

Les pièces prêtées au musée de Tahiti et des îles

La nouvelle salle d'exposition. Crédit photo : Greg Boissy.
La nouvelle salle d'exposition. Crédit photo : Greg Boissy.
Au total, ce sont 17 nouvelles pièces qui ont été prêtées ou mis en dépôt au Musée de Tahiti et des îles. Le musée du Quai Branly a fourni quatre œuvres : Maro 'ura, un fragment de ceinture de chef, Too mata, un aide-mémoire fabriqué à partir de bourre de cocotier tressées provenant des Marquises, taavaha, une coiffe de plume de coq et un penu, un pilon en basalte.

Du côté du British Museum, ce n'est pas moins de six pièces qui ont été prêtées : le ti'i A'a, provenant de Rurutu, le Maro Kura, une ceinture des Tuamotu, Taumi, un ornement pectoral, une sculpture du dieu Rongo, le costume de deuilleur, et le ti'i du costume de deuilleur.

Le Museum of Archeology de Cambridge a, lui, prêté des plus petites pièces telles que des ornements d'oreilles en nacres, un linteau sculpté, un maillet à tatouer, une lampe en basalte, un to'o et un tambour.

L’allégorie du voyage scénographiée

Dans la toute nouvelle salle d'exposition du Musée des îles, la scénographie a une grande importance. “La manière dont est organisée la pièce est très symbolique car on met en évidence une allégorie du voyage à travers les îles et du parcours de l'océan”, a expliqué Miriama Bono. Ainsi, une place propre est dédiée à chaque archipel. “C'est ce qui nous différencie d'avant. Là nous avons des parcours spécifiques aux îles”, a-t-elle rajoutée. Pour le scénographe du musée, Adrien Gardère, cette nouvelle mise en perspective est due à sa volonté d'inviter les visiteurs à la découverte : “Les gens ont envie de comprendre par eux-mêmes. Il faut inviter à la découverte de ces œuvres et de leur histoire qui j'espère étonnera. Arriver à ça quand on est dans un parcours très coercitif, très fléché, où on est obligé de voir ça ou voir ci, c'est plus difficile. De plus, dans l'histoire de la Polynésie, il n'y a pas de récit définitif. Ils sont multiples car différents en fonction des personnes. Ici a fortiori, puisque c'est un territoire extrêmement étendu, varié, riche mais aussi meurtri. Il faut donc apporter une multiplicité des regards et tout invite ici à mettre en avant des moments de l'histoire, où le visiteur peut mettre en corrélation des œuvres, des matériaux, des similitudes... ”

Rédigé par Thibault Segalard le Mardi 28 Février 2023 à 19:09 | Lu 1520 fois