Tahiti Infos

"La solidarité nationale est là"


Tahiti, le 13 avril 2020 – Le haut-commissaire Dominique Sorain a accordé lundi une interview à Tahiti Infos dans laquelle il revient sur les questions de sécurité depuis le début du confinement, les premières « adaptations » en discussions pour sortir des îles du confinement général et les derniers développements concernant les aides de l’Etat pour la Polynésie française. « Il n’y a pas eu de retard, à un moment où l’ensemble de notre pays est touché par une crise majeure », affirme Dominique Sorain à propos de la solidarité nationale au fenua.

Vous aviez prévenu en fin de semaine dernière qu’une vigilance particulière serait apportée au respect du confinement pendant ce week-end de Pâques. Quel bilan tirez-vous à l’issue de ce week-end ?

“Le week-end s’est bien passé. C’est un week-end traditionnellement de fêtes religieuses, amicales et familiales pour les Polynésiens. Donc, nous étions préoccupés par le respect des consignes de confinement. Nous avons mobilisé les forces de sécurité, je me suis rendu moi-même sur les points de contrôles, et je dois dire que globalement ça s’est bien passé. Il y a eu plus de 5 000 contrôles qui ont été réalisés, avec 500 procès verbaux dressés notamment –en ce moment– pour le trop grand nombre de personnes dans les voitures. Et ça peut être un facteur de contamination important, cette promiscuité dans les voitures. Nous n’avons noté qu’un seul cas à Papeete, où une vingtaine de personnes se sont réunies pour un ma’a tahiti. Ce n’est pas le moment pour ça. Cela leur a été dit et ils ont été verbalisés. (…) Mais globalement, c’est extrêmement positif. Le confinement est bien respecté.”
 
Sur la sécurité toujours, on a constaté ces derniers jours des faits divers assez marquants (cambriolages, braquages…). Est-ce que les données récentes de la délinquance traduisent une recrudescence de certains délits depuis le confinement ?

“On manque encore un petit peu de recul dans l’exploitation des statistiques, mais globalement on note une baisse de la délinquance. Les atteintes aux biens classiques, les cambriolages, sont en baisse. Les violences aux personnes diminuent, et notamment les violences intrafamiliales diminuent même si on a eu une petite remontée ces derniers jours. Mais malgré cette petite remontée, on a des chiffres en dessous de la normale. Alors on peut se dire que les personnes vont moins porter plainte que d’habitude. C’est vrai. Mais les interventions lorsqu’il y a violences constatées, les appels des voisins ou des conjoints battus, diminuent quand même. Donc même s’il faut rester extrêmement vigilant là-dessus, c’est un indicateur. Par contre, vous avez raison, il y a des formes de délinquance comme les vols à main armée qui sont apparus. On n’en a pas beaucoup en Polynésie, mais là on en a eu deux consécutivement. Et ça ce n’est pas habituel. C’est lié, je pense, au contexte que l’on connaît. Mais la police et la gendarmerie ont tout de suite agi et soit les enquêtes ont abouti à l’interpellation des intéressés, soit c’est en cours d’aboutissement. Donc, il y a aussi une activité très soutenue des forces de l’ordre.”
 
Spécifiquement sur la question de l’ice et du trafic de drogue, dont l’approvisionnement par les trafiquants est rendu plus difficile par le confinement et l’arrêt des vols internationaux, y a-t-il moins de trafics constatés par les services ? Et à l’inverse, le manque lié à la raréfaction de cette drogue entraîne-t-il des problèmes de sécurité ?
 
“Les lieux de trafic ne sont plus les mêmes. Je suis sorti la nuit dernière sur Faa’a avec la gendarmerie dans un quartier où habituellement cela regorge de revendeurs et de guetteurs, et ils ne sont plus là. On a semble-t-il davantage de systèmes de livraisons. Mais là aussi, il n’y a plus d’approvisionnement, l’ice venant des Etats-Unis. Alors on a toujours du trafic, parce qu’il y a des ‘stocks’ ou plutôt des quantités toujours présentes sur le territoire, mais ça a diminué. Et les services continuent toujours à intervenir. Hier, par exemple, ils ont attrapé un petit trafiquant qui avait ice et paka et qui était en voiture.”

"On a été plus vite qu’ailleurs"

Dans l’actualité du jour, le Président Emmanuel Macron a annoncé le début du déconfinement en métropole pour le 11 mai prochain. La Polynésie française est-elle concernée par cette annonce ?

“Non. Il se trouve que la dernière date identique de fin de confinement en métropole et en Polynésie, fixée au 15 avril, était un peu le fruit du hasard. Nous l’avions fixé au 15 avril, et la décision a été prise quelques heures après en métropole de la fixer également au 15 avril. Mais les dates ne sont pas corrélées. Aujourd’hui, nous avons pris la décision, en accord avec le président Edouard Fritch, d’aller jusqu’au 29 avril. Nous verrons à ce moment ce qu’il en sera pour la Polynésie.”
 
Pour autant, peut-on imaginer un scénario, comme cela été annoncé par le Président de la République, où la Polynésie pourra sortir progressivement du confinement et reprendre une activité économique avec des mesures barrière si nous avons assez de masques, de tests et de matériel de protection ?

“Absolument. C’est d’ailleurs l’idée de ce que j’ai indiqué dans mon allocution de jeudi. En fonction de l’évolution du nombre de cas, on verra comment on peut évoluer dans les mesures qui ont été prises. Ceci avec un premier travail que nous mènerons cette semaine, dans les archipels dans lesquels il n’y a pas eu de cas et en fonction de la date du dernier arrivant dans l’île ou l’atoll en question, pour voir comment nous pourrons prendre des mesures adaptées. Et nous avons tout un cycle de rencontres qui vont démarrer demain avec les tavana. Pour ceux de Tahiti et de Moorea, la question ne se pose pas. Mais on va avoir des contacts à partir de demain après-midi avec les tavana des îles Sous-le-Vent, des Tuamotu-Gambier, des Australes et des Marquises pour à chaque fois trouver des mesures d’adaptation. On ne va pas arrêter toutes les mesures mises en œuvre, mais on va adapter le confinement. L’idée étant toujours de protéger les îles. C’est-à-dire que même si on adapte les mesures, personne ne rentre dans les îles depuis Tahiti et Moorea.”
 
Le Président Macron, comme le Conseil scientifique la semaine dernière, a beaucoup insisté sur l’importance de la multiplication des dépistages, alors que la Polynésie française manque de tests. L’Etat peut-il apporter son soutien sur ce point spécifique en fournissant des tests à la collectivité ?

“Le vol de continuité territoriale de samedi est arrivé avec 120 mètres cubes de matériel médical. Sous réserve de l’inventaire en cours, il doit normalement contenir des tests pour l’Institut Louis Malardé et le Centre hospitalier. J’ai également eu des échanges pendant tout ce week-end avec le ministère de la Santé à Paris pour que l’on ait dans le prochain vol de continuité territoriale des tests pour être dans cette logique de dépister plus largement la population. Une logique qui est celle, je tiens à le dire aussi, du ministère de la Santé au niveau local. On travaille en étroite collaboration sur ce sujet.”
 
L’attestation de déplacement dérogatoire est disponible en version numérique depuis lundi 6 avril en métropole. Qu’est-ce qui fait que ce n’est pas possible en Polynésie ?

“La difficulté que l’on a, c’est que toutes nos forces ne sont pas équipées des terminaux adéquats pour ces attestations numériques. Pour la police nationale et la gendarmerie, il n’y a pas de problèmes. Mais les mutoi ne sont pas équipés dans toutes les communes avec ce matériel. Et comme les mutoi représentent un tiers de nos moyens de contrôle, on a préféré rester au papier. Et ça fonctionne bien. (…) J’ai eu l’occasion de le dire, quand on sort, il faut qu’il y ait une bonne raison pour le faire”.

"Il n’y a pas eu de retard"

Comment s’organise le partage des compétences entre l’Etat et le Pays –la sécurité relevant de l’Etat et la Santé du Pays– pendant cette période de crise liée au coronavirus et notamment dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire déclaré en Polynésie ?

“De façon très simple, puisque nous travaillons en commun avec le Pays. Il ne se passe pas une journée sans que je parle au président du Pays. Et on ne peut fonctionner qu’ensemble. Chacun a ses compétences, mais on ne peut pas dire qu’il y a des compétences purement Etat et d’autres purement Pays. Il faut apporter des réponses ensemble et nous prenons des décisions conjointes avec le président Edouard Fritch et ses ministres ou ses équipes. (…)”
 
La spécificité du statut d’autonomie n’a-t-elle pas ralenti la prise de décision ?

“Non, je pense qu’on a été plus vite qu’ailleurs. On a pris des mesures très rapides ici en Polynésie. Si vous regarder le cadencement entre les premiers cas détectés et les premières décisions, on a été très vite. Puisqu’on est sur des circuits extrêmement courts. Si vous voulez, ce n’est pas très compliqué de me concerter avec le président Edouard Fritch. Je pense donc que nous avons répondu très vite sur ces questions.”
 
Pour autant, les appels à la “solidarité nationale” de l’Etat ne semblent pas, au départ, avoir été à la hauteur des espérances formulées par le Pays et certains de ses représentants. A-t-elle mis plus de temps à se mettre en place parce que la situation sanitaire était moins préoccupante en Polynésie ?

“Pour ce qui est d’une représentante à l’assemblée (Tepuaraurii Teriitahi, NDLR), je tiens à dire qu’ici cela a affecté mes agents. Le fait que quelqu’un ose dire qu’il n’y avait personne au haut-commissariat, en effet, comme l’ont dit les syndicats, ça n’est pas décent, alors qu’ici, il y a une présence 24/24h et 7/7j. Je ne ferai pas plus de commentaires sur le niveau de son intervention. (…) Par rapport à ce qui a été dit par le président, il avait fait une demande au titre des mesures économiques. Parce que le Pays a mis en place un plan très rapidement. Et ils ont souhaité avoir une réponse du gouvernement central. Et je pense que cette réponse est arrivée vite. Pourquoi ? Parce que, dans le même temps, en métropole il y avait des milliers de morts. Je crois qu’il faut quand même rappeler ce contexte. Et le gouvernement central a répondu très vite. Le Premier ministre l’a fait dans un premier temps, via son directeur de cabinet. Donc il y a toujours un lien entre le gouvernement central à Paris et le Pays. Et le Premier ministre a dit que la solidarité nationale serait là. Et la solidarité nationale a été là. Parce qu’il y a eu tout de suite pour la Polynésie, les mesures économiques avec les liquidités pour les banques avec l’IEOM qui portent sur des sommes conséquentes de 5,9 milliards de Fcfp injectées, avec les prêts garantis par la BPI d’ores et déjà en vigueur, avec le fonds de soutien aux petites entreprises sur lequel nous allons être en mesure cette semaine de signer une convention avec le président Edouard Fritch…”
 
Vous parlez de l’extension du Fonds de solidarité à la Polynésie française, qui permettrait aux patentés polynésiens de bénéficier du premier niveau de dotation de 1 500 euros (179 000 Fcfp) et du second niveau allant jusqu’à 3 500 euros (418 000 Fcfp) ?

“On est en train de finaliser l’ensemble du dispositif qui fera l’objet d’une convention, je l’espère, en milieu de semaine. Donc on ne peut pas dire que la solidarité nationale n’a pas été là. La Polynésie a fait partie des premiers territoires sur le plan national à bénéficier notamment des prêts garantis par l’Etat. Il n’y a pas eu de retard, à un moment où l’ensemble de notre pays est touché par une crise majeure. On parle de 15 000 morts en métropole, où le gouvernement est en train de chercher des masques, des respirateurs et des tests partout et est en train de mobiliser des milliards et des milliards d’euros pour faire redémarrer l’économie. Et la Polynésie est bien sûr concernée. Ensuite, les questions sont légitimes. De s’interroger parce qu’on est loin en Polynésie, c’est légitime. Mais regardez, le vol de continuité territoriale, on l’a eu. La solidarité nationale est là. Je ne peux pas laisser passer des choses comme ça.”

L’avance de trésorerie "est en cours"

Au titre de ces actions de l’Etat, vous avez évoqué un prochain “gros dossier” pour la trésorerie du Pays. S’agit-il de la demande d’avance de trésorerie de 10 milliards de Fcfp évoquée par le Pays ?

“Le Pays a demandé une aide. Puisqu’il a mis en place un dispositif d’aide pour les salariés et patentés et d’aides sociales également, puisqu’il n’y a pas de chômage ni de chômage partiel ici, avec un besoin de financement qui a été exprimé. Il s’agit d’une demande d’aide générique. Cela pourrait se traduire, aussi pour avoir une réponse rapide, dans un premier temps par une avance de trésorerie. Le dossier est en cours. J’ai échangé avec le ministre Gérald Darmanin (ministre de l’Action et des Comptes publics, NDLR) en fin de semaine dernière, et le dossier est en cours d’étude dans son ministère. Je ne peux pas vous donner la hauteur de cette avance pour l’heure. C’est un dossier important et cela devrait aller assez vite.”
 
L’Etat a annoncé avoir accéléré le versement de ses dotations aux collectivités en Polynésie française. Par quoi cela se traduit-il concrètement ?

“Sur la dotation globale d’autonomie par exemple, nous avons payé le 20 mars dernier les échéances pour mars, avril et mai. Ce qui représente 7 millions d’euros par mois (835 millions de Fcfp) qui ont été versés pour trois mois par anticipation. Et on va faire également des versements anticipés de dotations de fonctionnement pour les communes, puisqu’on le voit, les tavana sont très engagés.”
 
L’Etat a annoncé avoir renforcé son soutien à l’économie polynésienne par le financement des grands chantiers d’équipement public. Cette décision vaut-elle pour des chantiers en cours actuellement ou après la crise sanitaire pour aider la relance ?

“Dès maintenant, pour le troisième instrument financier par exemple, une cinquantaine de millions d’euros qui sont programmés. Ensuite, il faudra voir comment on peut mener ces chantiers dans le contexte actuel. Il est évident qu’avec les mesures de confinement, le démarrage de tous ces chantiers pourra prendre un peu de retard. Mais on ne peut pas dire que l’Etat n’est pas présent.”

Rédigé par Antoine Samoyeau le Lundi 13 Avril 2020 à 19:40 | Lu 5053 fois