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La justice prédictive, mélange de droit et d'intelligence artificielle


La justice prédictive, grâce à des algorithmes fouillant dans la jurisprudence, permet d'évaluer quelles sont les chances de gagner un procès, le montant éventuel des indemnités ou ses risques juridiques. Sa diffusion suscite espoir et méfiance.
Toute décision judiciaire, peu importe la solidité du dossier, comporte une part d'aléa qu'il est possible de mesurer. Partant de cette certitude, Jacques Lévy-Véhel et Jérôme Dupré ont créé la start-up Case Law Analytics.
Le mathématicien et le magistrat en disponibilité ont voulu "appliquer les outils de la quantification des risques utilisés dans l'analyse financière", répandus dans les grandes entreprises, "aux risques judiciaires".
Cette solution peut "permettre de désengorger les tribunaux", affirme Jacques Lévy-Véhel: si les justiciables peuvent estimer la probabilité qu'un tribunal rende telle ou telle décision, ils peuvent préférer un règlement à l'amiable à un passage devant le juge.
Elle apporte aux directions financières et des ressources humaines des entreprises un outil pour mieux calculer leurs risques juridiques. 
Les juges eux-mêmes peuvent en tirer partie.
"Un magistrat a parfois des hésitations pour fixer un montant d'indemnités, par exemple pour la prestation compensatoire, où sur la base d'un texte assez général, on peut allouer un montant allant typiquement de 3.000 à 300.000 euros", remarque Jérôme Dupré. Avec Case Law Analytics, "il peut se situer par rapport à ses pairs".
Pour devancer toute critique sur un éventuel effet de prophétie autoréalisatrice, par lequel les juges opteraient tous pour la décision la plus probable, Jérôme Dupré insiste: "On ne donne pas un chiffre mais un éventail de possibilités sur un dossier donné".
Plusieurs start-up ont investi le créneau.
Predictice promet ainsi qu'"en un clic", son algorithme "calcule les probabilités de résolution d'un litige, le montant des indemnités et identifie les moyens les plus influents" comme les arguments ayant le mieux convaincus un tribunal. Supra Legem s'est spécialisé dans la justice administrative, Tyr-Legal dans le droit social.
Cette nouvelle pratique est facilitée par la récente loi pour une République numérique qui impose la diffusion de toutes les décisions judiciaires, un processus en cours. Elle est parfois accueillie avec circonspection par les magistrats.
La justice prédictive peut "présenter des risques importants: risques pour la liberté, risques de pression sur les magistrats, risques de décontextualisation des décisions, risques d'uniformisation des pratiques", s'est inquiété Chantal Arens, première présidente de la cour d'appel de Paris, lors de l'audience de rentrée mi-janvier.
"La mise en ligne nécessaire, commandée par les progrès de notre temps, de l'ensemble des décisions de l'ordre judiciaire (...) ouvre sur des horizons insoupçonnés, propres à transformer profondément les professions de juge et d'avocat", a aussi relevé Bertrand Louvel, le premier président de la Cour de cassation, dans son discours de début d'année.
"S'il est un sujet qui requiert une attention et un investissement publics résolus, c'est bien celui-ci", a-t-il ajouté, "afin d'éviter que la recherche ne soit captée par des intérêts sectoriels avec des intentions pas toujours bien orientées".

avec AFP

Rédigé par RB le Mercredi 1 Février 2017 à 05:10 | Lu 462 fois