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La gravure sur coquillages,l'art oublié des bagnards de Nouvelle-Calédonie


La gravure sur coquillages,l'art oublié des bagnards de Nouvelle-Calédonie
NOUMÉA, 18 octobre 2013 (AFP) - Arrière-petit-fils de condamné à l'âme de collectionneur, Louis Lagarde possède plus de 300 coquillages gravés par les bagnards, exilés en Nouvelle-Calédonie au XIXe siècle. Une collection unique au monde qui rend hommage à l'art oublié des forçats du Pacifique.

"C'est assez kitsch, mais ces coquillages me passionnent depuis vingt ans. Ils témoignent de l'imaginaire et du talent des bagnards, que je veux faire sortir de l'oubli", explique ce trentenaire qui adore chiner.

Le virus l'a touché dans les années 1990 à Paris. Alors étudiant en archéologie, il découvre par hasard chez des amis un coquillage sur lequel était ciselé un visage de Kanak, à côté duquel était écrit "Souvenir de Nouméa".

Achetée chez un brocanteur en Australie, la pièce est un nautile, un coquillage endémique à la Nouvelle-Calédonie qui est un véritable fossile vivant, inchangé depuis 360 millions d'années.

Jamais Louis Lagarde n'avait vu de tels objets en Nouvelle-Calédonie, où l'histoire du bagne fut longtemps mise sous le boisseau.

"En Métropole, j'ai arpenté les puces, les brocantes, les ventes aux enchères de Drouot et j'ai commencé ma collection", raconte-t-il, intarissable sur chacune des 300 pièces qu'il possède désormais.

Toutes sont au minimum centenaires. Les plus anciennes datent de la fin des années 1860, lorsque des bagnards se mettent à graver des coquillages, ramassés sur les rivages du pénitencier de l'île Nou, au large de Nouméa. A ses débuts, l'activité est clandestine.

"La marchandise était confiée aux condamnés qui étaient employés comme garçon de famille en ville. A la sauvette, ils vendaient les coquillages, ça faisait partie du camelotage du bagne", dit le collectionneur.

une boutique en centre-ville

Mais à l'occasion de la fouille d'une charrette, l'administration pénale met la main sur 150 coques et découvre le pot aux roses. Toutefois, au lieu d'interdire l'activité, elle l'encourage et prend le commerce sous son aile.

"Dès lors les bagnards ont eu des outils, des fraises, des tours et des coquillages en quantité", poursuit M. Lagarde.

Dans le centre-ville de Nouméa, l'administration ouvre même une boutique, où les gens de passage tels les militaires ou les fonctionnaires viennent acheter un souvenir de cet archipel du bout du monde.

"Certains y venaient avec une photo pour commander un coquillage à leur effigie. Il y avait des faux monnayeurs parmi les bagnards, ils savaient copier!", s'amuse Louis Lagarde.

D'une finesse et d'une précision extrêmes, la plupart des dessins représentent des scènes de la vie quotidienne des tribus kanak ou des paysages tropicaux, assortis parfois de métaphores religieuses ou païennes sur l'éloignement et l'univers carcéral.

Remarquable, un de ces coquillages est orné d'une reproduction d'un tableau du peintre Diogène Maillart, assurément choisi délibérément par le forçat, vu son intitulé: "Prométhée mis aux fers".

Près de 22.000 condamnés -- droit commun, communards, Algériens kabyles -- ont été envoyés entre 1864 et 1898 en Nouvelle-Calédonie. Selon Louis Lagarde, une soixantaine d'entre eux ont sculpté ces coquillages, dont il subsiste sans doute plusieurs milliers d'exemplaires dans le monde.

Longtemps taboue, l'histoire des bagnards commence à être réhabilitée. Cette ascendance n'est plus honteuse sur le Caillou et un musée ouvrira début 2015 à Nouméa pour mettre en lumière l'histoire de ce bagne, moins connu que celui de Cayenne en Guyane.

Rédigé par () le Vendredi 18 Octobre 2013 à 05:44 | Lu 1592 fois