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La gestion de la Tahitian Pearl Association étrillée


Tahiti, le 17 mai 2022 – Une représentativité “insuffisante”, une gouvernance sans “respect des exigences élémentaires de la vie associative", de récurrents “conflits d'intérêts”, des missions de promotion internationales et locales erratiques, des achats et prestations “sans mise en concurrence”… Le rapport de la chambre territoriale des comptes sur la gestion de la Tahitian Pearl Association of French Polynesia, financée quasi-exclusivement par 436 millions de Fcfp de subventions du Pays en six ans, est édifiant.
 
La chambre territoriale des comptes (CTC) a publié fin avril son rapport sur la gestion de la Tahitian Pearl Association of French Polynesia (TPAFP) créée en 2014 à la suite d'un “consensus entre le gouvernement et les professionnels de la perliculture”, lui-même consécutif à la dissolution du GIE Perles de Tahiti en 2009, puis à la fermeture de l'établissement public Maison de la Perle en 2013. Quasi-exclusivement financée par des subventions annuelles du Pays, 436 millions de Fcfp entre 2014 et 2019, l'association présidée depuis sa création par la négociatrice en perles, Aline Baldassari-Bernard, a été créée pour développer “un programme d’actions de promotion en cohérence avec les orientations de politique publique” et conseiller “l'organisation et la régulation du marché des perles de culture produites en Polynésie française”, dans leur production comme leur commercialisation. Mais le récent rapport de la juridiction financière pointe de lourdes lacunes dans la gouvernance, la gestion et le fonctionnement de la TPAFP.
 
“Conflits d'intérêts”
 
Premier sujet, celui de la représentativité de l'association. Alors qu'elle devait regrouper la quasi-totalité des organisations professionnelles de producteurs et négociants polynésiens, la TPAFP n'a en réalité accueillie que les six principales organisations professionnelles du secteur. Soit 117 professionnels, contre 349 cartes professionnelles de producteurs perliers recensées en 2020. Une faible “représentativité et légitimité” signalée dès 2016 au Pays par trois GIE, puis rappelée par la Direction des ressources marines en 2019. “Un point bloquant pour faire de TPAFP l’interlocuteur officiel du Pays et l’unique attributaire de la subvention pour la promotion de la perle”, relève le rapport de la CTC. L'association mettant en avant la “surface des exploitations de ses membres” comme “critère le plus important” de sa représentativité.
 
Autre problème soulevé d'emblée par le rapport, le “non-respect des règles formelles” et “des exigences élémentaires de la vie associative” dans la gestion de la TPAFP dès 2014 : pas toujours d'assemblées générales de l'association, beaucoup trop peu de réunions du conseil d'administration, pas de procès-verbaux systématiques, un nombre d'administrateurs inférieur aux seuils prévus par les statuts, ou un trésorier absent ne réalisant pas les rapports financiers obligatoires… Le rapport pointe également des engagements de la présidente de l'association “au-delà de sa délégation”, en engageant des dépenses “largement supérieures” au seuil fixé à 100 000 Fcfp sans l'accord du bureau de la TPAFP. Deux factures d'un total de 2,6 millions de Fcfp sont citées en exemple, sans devis, sans avoir été prévues au budget ou sans avoir été renseignées dans la demande de subvention au Pays.
 
Dernier problème de gouvernance dénoncé par le rapport, malgré des demandes pourtant “répétées” de la Direction des ressources marines, le problème de la prévention des conflits d'intérêt au sein de l'association. Outre la situation de la présidente de l'association, également membre du Cesec et de l'autorité de la concurrence, la chambre évoque “certains achats” réalisés par l'association “directement auprès des sociétés des membres du bureau” : 760 000 Fcfp de colliers de perles achetés au trésorier adjoint, 100 000 Fcfp de cadeaux achetés à la mère du trésorier, 144 000 Fcfp de bijou acheté à la société de la présidente de l'association… Liste “non exhaustive” prévient le rapport. Lequel conclut en indiquant que l'installation du siège social de la TPAFP dans les locaux de la société de sa présidente est “de nature à favoriser une confusion vis-à-vis des tiers” entre les deux entités.
 
Chère promotion
 
Outre les problèmes de gestion comptable de l'association, la chambre territoriale des comptes consacre également une bonne partie de son rapport aux “activités de promotion” locales et internationales réalisées par la TPAFP. À l'international, la juridiction s'étonne que l'association externalise totalement ses missions en reversant sa subvention à deux associations “partenaires historiques” à Hong Kong et au Japon et à une association américaine. “Ce montage revient en réalité à procéder à un financement en cascade vers d'autres associations”, épingle la CTC, alors que ce procédé est “interdit” par le Code général des collectivités territoriales. On parle là de 312 millions de Fcfp d'argent public en six ans… Le Pays a donc changé de méthode en 2020 et n'accorde désormais qu'un budget réduit à la TPAFP pour le marché local uniquement, en signant lui-même les conventions de subventions aux associations étrangères.
 
Pour le marché local maintenant, la chambre relève que les dépenses cumulées ont été “systématiquement supérieures” aux dépenses prévisionnelles : 73 millions contre 50,4 millions de Fcfp prévues. Et là encore, le rapport est très critique. “Des achats récurrents de prestations de marketing ou d’assistance, sans mise en concurrence et financés exclusivement à partir de la subvention publique, n’ont pas permis un accès suffisamment équitable aux différents prestataires de la place de Tahiti, ni favorisé des économies”, synthétise la CTC. Parmi les exemples, la “diffusion de revues” pour la promotion locale –publicités et publications– a été confiée à un seul et unique prestataire pour 30,5 millions de Fcfp en cinq ans.
 
Enfin, le rapport s'attarde sur les dépenses de la TPAFP en termes de “marketing digital”. Là encore, aucune mise en concurrence pour des dépenses particulièrement élevées au regard des réalisations : 6 millions de Fcfp pour la gestion d'une page Facebook qui comptait 13 000 abonnés six ans après sa création ; et surtout 12 millions de Fcfp pour un site internet au coût jugé “élevé” pour “un simple site statique, essentiellement descriptif, sans aucun module complexe (gestion des commandes ou paiements) puisque non marchand”. La conclusion du rapport est sans appel sur l'ensemble de ces dépenses pour des actions de promotions locales. Une telle association “dépendant intégralement de concours publics” doit “favoriser des gains économiques et garantir un accès équitable aux différents prestataires”. Les mentalités semblent évoluer sur ce point, puisque lors du dernier conseil de la perliculture de 2021, les professionnels de la Perle ont “acté” la proposition de la Direction des ressources marines de passer désormais par des marchés publics réalisés par la Polynésie.
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mardi 17 Mai 2022 à 20:42 | Lu 2552 fois