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La DAG sous pression syndicale et juridique


Tahiti, le 21 novembre 2025 - Rien ne va plus à la Direction de l’agriculture depuis la nomination de Roland Bopp. Dans un courrier alarmant adressé au ministre de tutelle, au président du Pays et à la Direction des talents et de l’innovation, la CSTP-FO dénonce un management “critique” mêlant harcèlement, décisions arbitraires et irrégularités aux conséquences pénales. Cette alerte fait écho à celle du Syndicat de la fonction publique qui, dès septembre, dénonçait aussi un management “désastreux”. Les deux syndicats exigent une “intervention immédiate” du gouvernement pour protéger les agents et le service public.
 

La CSTP-FO hausse officiellement le ton. Dans un courrier daté du 17 novembre 2025, le syndicat adresse une nouvelle alerte au président du Pays, au ministre de l’Agriculture et à la Direction des talents et de l’innovation concernant la situation interne de la Direction de l’agriculture (DAG). Cette démarche fait suite à plusieurs mois de signalements en interne : courriers répétés, réunions avec le ministre ou son cabinet, intervention de la psychologue du travail, pétition et même préavis de grève.

Mais selon le syndicat de Patrick Galenon, “aucune mesure concrète” n’a été prise depuis pour enrayer ce qu’il décrit comme une “crise profonde” au sein de la DAG, bras armé de la politique agricole du Pays. “Pire, la situation s'aggrave, et l'impunité dont bénéficie le directeur augmente chaque jour un peu plus la souffrance des agents”, écrit la CSTP-FO qui décrit, documents à l’appui, une “dérive managériale profonde” imputée au directeur nommé en juillet 2024, Roland Bopp, qui occupait alors la fonction de directeur de l'environnement à la mairie de Faa'a. Selon nos informations, c'est d'ailleurs Oscar Temaru lui-même qui aurait poussé à sa nomination, malgré les réticences en interne, y compris du président du Pays.
 
“L'histoire semble se répéter”
 
Le courrier évoque un management qualifié d’“agressif” : propos dévalorisants, accusations infondées, dénigrement systématique du travail des cadres et techniciens. Les témoignages recueillis par la Cellule santé et sécurité au travail, ainsi que des signalements de psychiatres privés à la CPS, renforcent l’alerte syndicale. “La motivation des équipes, autrefois reconnue, est réduite à néant. Les agents ont perdu confiance en leur directeur et il n'y a plus de retour possible sans une intervention forte et immédiate de votre part”, alerte Patrick Galenon.
 
Cette alerte va dans le même sens qu’un courrier antérieur du Syndicat de la fonction publique (SFP), daté du 22 septembre dernier, dans lequel il est déjà question de management “désastreux” et de pratiques potentiellement illégales au sein de la DAG. “À son arrivée, les agents de la DAG ont globalement accordé le bénéfice du doute au nouveau directeur. Mais aujourd’hui, l’histoire vécue par nombre d’agents publics du Service du tourisme lorsque Monsieur Roland Bopp y était directeur semble se répéter à la DAG. Ceux qui le pouvaient ont rapidement fui leur cadre de travail vers d’autres services. Quant à bien d’autres, ils tentent de gérer leur souffrance, mais pour combien de temps encore”, écrit ainsi Olivier Champion, secrétaire général du SFP.
 
Une note interne devenue symbole de la crise
 
La note interne du 7 juillet dernier, diffusée par le directeur et retirée depuis à la demande du président du Pays, reste un point de rupture. Le texte accusait certains représentants syndicaux d’“utiliser leur position pour semer la division” et de “manipuler les consciences”, et affirmait que des attestations avaient été “sollicitées pour servir des intérêts personnels”. Le directeur demandait également aux subdivisionnaires de “rassembler des témoignages” pour “défendre l’intégrité de l’administration”.
 
Pour la CSTP-FO, cette note a constitué “un outil de pression visant à museler les agents et à les empêcher de signaler les dysfonctionnements”. Moetai Brotherson en a visiblement eu la même lecture puisqu'il a rappelé à l'ordre Roland Bopp dans la foulée. Dans un courrier adressé début septembre, le président du Pays l'exhorte ainsi “à procéder sans délai au retrait de cette note de service” dont les “propos ne sont pas compatibles avec le devoir de neutralité et d'impartialité qui s'impose à un chef de service”. Malgré ce retrait, “le ton était donné” et le mal était fait, souligne la CSTP-FO. Cette atmosphère de pression et d’intimidation a conduit à “la multiplication des arrêts maladie, des demandes de mutation, des demandes de mise en disponibilité et à des ruptures de CDD à la demande des agents”, renforçant le climat de souffrance et de démotivation au sein de la DAG.
 
Recrutements contestés, favoritisme et paralysie
 
La CSTP-FO pointe aussi la nomination de contractuels “non qualifiés” à des postes stratégiques, dont un emploi fonctionnel “bénéficiant d’un salaire disproportionné”. À l’inverse, des agents titulaires et formés se verraient refuser missions, formations ou droits à récupération. Le syndicat dénonce une gestion discriminatoire et un favoritisme “manifestement assumé”.
 
La DAG, bras opérationnel du développement agricole, serait aujourd’hui paralysée. Le syndicat met en garde contre des retards, des décisions incohérentes et un effondrement de la confiance interne. Une situation qui, selon lui, “compromet la crédibilité” du gouvernement alors que l’exécutif a fait du secteur primaire un pilier de son programme. “Le temps des avertissements est révolu” et “l'intervention immédiate des autorités est désormais indispensable”, conclut Patrick Galenon.

Marchés publics et risques juridiques

La CSTP-FO alerte sur des pratiques potentiellement illégales au sein de la DAG. Dans son courrier, le syndicat souligne que “plusieurs dossiers laissent apparaître des irrégularités dans leur attribution, avec des procédures non conformes et des décisions prises en dépit des alertes des agents sur leur non-conformité à la législation en vigueur”. Parmi ces dérives, le directeur aurait produit des “attestations falsifiées” et passé des conventions “en dehors des règles de la commande publique”. Ces manquements, combinés à des instructions orales non tracées et à des décisions techniques prises sans concertation, exposent le service à des risques juridiques sérieux. Selon la CSTP-FO, certains agents envisageraient même de saisir le procureur de la République en application de l’article 40 du code de procédure pénale, soulignant l’urgence d’une intervention pour sécuriser la légalité des décisions et protéger le service public.

La CSTP-FO adresse six demandes au gouvernement

Pour sortir la DAG de l’impasse et y rétablir un climat de confiance, la CSTP-FO a formulé six demandes concrètes au gouvernement :
  • un démenti public concernant les propos tenus dans la presse par le directeur ;
  • une note d’excuses adressée à l’ensemble des agents ;
  • l’ouverture d’une enquête administrative indépendante ;
  • la suspension des prérogatives de Roland Bopp pendant cette enquête ;
  • la fin de mission des contractuels “hors cadre” ;
  • la mise en place d’un dialogue social réel et constructif.
Le SFP, quant à lui, “encourage à intervenir le plus rapidement possible pour que ces ‘pratiques’ cessent” et rappelle le risque de saisine judiciaire si la situation perdure.

Pour Roland Bopp, “soit mes collaborateurs me mentent, soit les syndicats exagèrent”

Mis en cause par trois organisations syndicales (la CSTP-FO, le SFP, mais aussi la CSIP qui a également envoyé un courrier en août), accusé de “harcèlement moral”, de “management agressif”, d’“irrégularités” et de “dérives dangereuses” pour la Diraction de l’agriculture (DAG), Roland Bopp a accepté de nous répondre et oppose une tout autre lecture de la situation. Interrogé sur chacun de ces griefs, le directeur renvoie avant tout au contexte de réorganisation interne, et à la volonté, dit-il, “d’améliorer le service public” et d’en “optimiser” son fonctionnement. Selon lui, les tensions actuelles seraient d’abord la conséquence de “changements qui ne peuvent pas plaire à tout le monde”.
 
Lorsqu’on l’interroge sur les accusations de harcèlement, de dénigrement ou d’intimidation relayées par la CSTP-FO et le SFP, il ne les dément pas formellement. Et insiste : “Quand on veut optimiser un fonctionnement, ça ne plaît pas toujours à tout le monde”. Avez-vous tenu des propos dévalorisants ? Reconnaissez-vous une souffrance au travail ? Comment expliquez-vous les arrêts maladie et les demandes de mutation ? Malgré plusieurs relances, nos questions n’ont pas reçu de réponse directe. Pas davantage lorsqu’il s’agit de commenter la note interne du 7 juillet, retirée sur ordre du président : il ne la défend pas, mais ne la regrette pas non plus.
 
La ligne de défense du directeur
 
Sur les irrégularités potentielles dénoncées dans les courriers syndicaux, notamment l’existence d’“attestations falsifiées” ou de procédures contraires au code des marchés publics, le directeur affirme ne “pas savoir sur quoi sont fondés ce genre d’écrits”. Il insiste sur la nécessité, selon lui, de mettre la DAG en conformité avec le code des marchés applicable depuis 2018 et souligne que “jamais” il ne siège aux commissions d’appels d’offres confiées aux agents “qui traitent les dossiers depuis des années”.
 
Quant au climat interne, pourtant décrit comme délétère, le directeur controversé relativise : “Le nombre d’arrêts en 2025 est proche de 1 %, soit deux agents et demi sur 230”. Il affirme surtout que ses informations internes ne concordent pas avec celles des syndicats : “Je n’ai pas les mêmes remontées de la part de mes collaborateurs. Soit mes collaborateurs me mentent, soit ce qui est dit là est peut-être un peu exagéré, voire même trop exagéré”. Face aux demandes de suspension immédiate formulées par la CSTP-FO, le directeur assure ne pas être isolé. Après sa réunion au ministère vendredi après-midi sur ce sujet précis, il a été décidé de prévoir une rencontre tripartite avec les syndicats. “Il faut privilégier le dialogue et après on verra”, dit-il, tout en reconnaissant la situation comme “un peu triste” pour lui. Un dialogue qui aurait pu et dû avoir lieu depuis déjà quelques semaines... mais il y a un début à tout. Aucune date n’a encore été fixée.
 

Rédigé par Stéphanie Delorme le Vendredi 21 Novembre 2025 à 16:46 | Lu 4472 fois