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"L’obésité est une réponse normale à un environnement nouveau"


Sébastien Czernichow, lundi en compagnie de Jacques Raynal.
Sébastien Czernichow, lundi en compagnie de Jacques Raynal.
PAPEETE, 7 août 2017 - Jacques Raynal a rencontré, lundi, Sébastien Czernichow, chef du service nutrition à l’hôpital Européen Georges Pompidou et co-auteur d’une étude sur le surpoids des français. Les deux hommes ont évoqué la question de la prise en charge de l’obésité.

"Il s’agit d’un partage d’expérience par rapport à la prise en charge de ce problème complexe de santé", explique le ministre de la Santé. "Il s’agit de voir aussi comment collaborer pour améliorer notre façon d’appréhender l’ensemble de mesures à mettre en œuvre pour la lutte contre l’obésité".

Selon l'Organisation mondiale de la santé, une personne est considérée comme obèse lorsque son indice de masse corporelle (l’IMC, qui correspond au rapport entre le poids et la taille) dépasse 30. Au-delà de 35, on parle d'obésité sévère ; passé 40, l’obésité est qualifiée de "morbide".

Une étude publiée en 2016 dans la revue médicale britannique The Lancet, conduite sur 19 millions de personnes dans 186 pays, constate que 13 % des personnes sont obèses dans le monde. Ce taux a triplé en 30 ans.

Ce phénomène sanitaire est international, mais à l’échelle planétaire c’est dans la région Pacifique que l’on observe les taux records, notamment en Polynésie et en Micronésie, où un enfant sur quatre, 38% des hommes et la moitié (55 %) des femmes adultes sont obèses, tandis que de 75 % de la population se trouve en situation de surpoids (IMC>25).

On sait que de nombreuses maladies non transmissibles sont souvent liées à la surcharge pondérale, dont le diabète de type 2, l’insuffisance rénale, l’insuffisance respiratoire, les maladies cardiovasculaires et certains cancers. L’accroissement du taux d’obèses dans la collectivité laisse craindre des conséquences sanitaires redoutables et d’une ampleur inconnue.

Pour la Caisse de prévoyance sociale (CPS), les maladies liées à l’obésité, aux complications de problèmes cardiovasculaires ou au diabète, sont d’ores et déjà à l’origine de 3000 nouveaux allocataires en longue maladie chaque année. La Caisse d’assurance maladie observe une augmentation moyenne de cet effectif de l'ordre de 5 % par an depuis 2003. Ils étaient 38 449 en 2016, soit un effectif quadruplé en 20 ans. A la CPS, le traitement des patients en longue maladie pèse annuellement pour la moitié des dépenses de santé, alors que le déficit cumulé (hors les 10 milliards pris en charge par le Fades) de l’assurance maladie pourrait finir l’année 2017 à 5,36 milliards Fcfp, sur la base d’une résorption, telle qu’annoncée, des 2,1 milliards de déficit du régime de solidarité.

A l’heure de la réforme du système polynésien de Protection sociale généralisé (PSG), le Schéma d’organisation sanitaire (SOS) fait de la lutte contre le surpoids "une priorité absolue du Pays" et suggère la sanctuarisation du budget de la prévention. Le SOS préconise dès 2016, année de son adoption, la mise en place de politiques intersectorielles et l’élaboration d’un schéma de prévention du surpoids et de l’obésité. Mais cela sera-t-il suffisant ? Trois questions au docteur Sébastien Czernichow.

Quels sont, selon vous, les ressorts d’une politique efficace de prévention de l’obésité ?

Sébastien Czernichow : Il y a différents domaines. Le premier est celui de l’information du public. Même si cela à des limites. Je prendrai l’exemple de la taille importante des portions ingérées ici. Une bonne information du public est nécessaire. Sur le contenu en matières grasses de ce qui est proposé, aussi. Je n’ai pas l’impression qu’il y a une perception correcte, de la part des populations, du danger au long court que peut représenter une telle consommation alimentaire, avec une si forte densité énergétique.
La promotion de l’activité physique est importante aussi. Cela implique que la population puisse accéder simplement à des équipements sportifs ou à des conditions de réalisation de l’activité physique. (…) et de sécuriser certaines zones pour pouvoir pratiquer une activité physique
.

Dans quelle mesure une politique de taxation de certains produits peut-elle également contribuer à ce changement comportemental ?

Sébastien Czernichow : L’obésité est une maladie environnementale. Les personnes s’adaptent à leur environnement. L’obésité est une réponse normale à un environnement nouveau. Cet environnement nouveau est mondial : c’est un environnement de sédentarité, dans lequel le "temps d’écran" a augmenté. Ce sont des déterminants majeurs. Il ne faut pas se focaliser uniquement sur l’alimentation : l’activité physique est un élément majeur, majeur, majeur…
Pour ce qui est de l’alimentation, on doit commencer par informer, avant de taxer. (…) La modification du comportement doit être du ressort de la famille et de l’environnement familial, avant tout.


La chirurgie de l’obésité peut-elle apporter une réponse pertinente à cette problématique ?

Sébastien Czernichow : La chirurgie de l’obésité doit rester une solution de dernier recours. C’est une solution efficace lorsqu’elle est très encadrée. Si vous devez faire passer un message au grand public, c’est qu’il ne faut pas considérer les interventions de chirurgie bariatrique comme une solution magique. Au contraire, le patient doit bien s’informer des bénéfices et des risques de cette chirurgie. On observe que la moitié des patients vont rester obèses après l’intervention, même s’ils perdent bien sûr du poids. Et que leur problématique, qui est une problématique de maladie chronique ne sera pas réglée par une ou deux heure de bloc opératoire.
Il faut être encadré par de la diététique, par de l’activité physique, par un support psychologique, et ne pas aller vers cette chirurgie de façon complètement naïve
. On trouve beaucoup d’information à ce sujet. Il est important que les gens sachent à quoi ils s'engagent, lorsqu'ils décident de subir ce genre d'intervention.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Lundi 7 Août 2017 à 17:03 | Lu 3838 fois