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L’industrie du monoï face au défi de l’isolement


Tahiti, le 31 mars 2022 - Si l’industrie du monoï réalise près de la moitié de son chiffre d’affaires sur le marché polynésien, elle dispose d’un vrai potentiel de croissance à l’export. Mais il se heurte aux barrières de l’isolement et d’une réglementation contraignante sur les principaux marchés.
 
Autour de 400 tonnes de Monoï de Tahiti sont commercialisée annuellement, souvent sous forme de produit en vrac, et principalement à l’export. Mais le potentiel de développement existe pour l’industrie polynésienne du monoï et le secteur compte bien prélever une juste part dans les productions à forte valeur ajoutée de l’industrie des produits cosmétiques : laits après-soleil, savons, crèmes, etc. Des produits dans lesquels l’huile exportée est utilisée comme intrant et souvent valorisée par d’autres. Mais si ce marché se développe au plan local, avec différents types de monoï, des produits de bain, des savons, des crèmes, et des produits pour l’industrie hôtelière, à l’export il se heurte aux barrières de l’isolement et de la réglementation.
 
Des règles contraignantes
 
Même pour la France, l’obstacle réglementaire est compliqué par le statut de PTOM de la Polynésie française. Pour s’exporter dans l’Hexagone, les produits issus de l’industrie cosmétique locale doivent au préalable montrer patte blanche dès la douane, avant de décrocher une autorisation de mise sur le marché. Et ce sésame n’est obtenu qu’au prix de formalités et d’analyses coûteuses. "La règlementation européenne est l’une des plus stricte en matière d’exigences", observe Jérémy Biau, le président de l’association Monoï de Tahiti. "On a besoin d’une entreprise référente sur place. Que l’on veuille exporter du monoï coco ou vanille, à chaque fois il faut faire des demandes de A jusqu’à Z." Et même une fois autorisé, le contexte peut évoluer : "Quand la réglementation européenne décide d’arrêter telle ou telle molécule, les fabricants doivent reformuler leurs produits. Ils sont dès lors dans l’obligation de solliciter une nouvelle autorisation de mise sur le marché. Ce qui suppose de soumettre leur nouveau produit aux analyses imposées par la validation administrative", prend en exemple cet autre observateur de l’industrie du monoï. "Dans la zone d’influence, il y a trois grands marchés : l’Europe, les États-Unis et le Japon. La réglementation en matière de santé publique y est souvent utilisée pour déguiser une forme de protectionnisme. Le problème, c’est que pour les producteurs polynésiens ces formalités s’avèrent coûteuses et rédhibitoires."
 
L’isolement…
 
"Et en étant au milieu du Pacifique, on est complètement à l’écart", ajoute Jérémy Biau. "Seules s’en sortiront les entreprises ayant atteint une taille critique leur permettant d’absorber ces coûts." Pour lui, l’enjeu n’est rien de moins que de "savoir si l’industrie polynésienne du monoï existera encore dans 20 ou 30 ans". On peut d’ailleurs noter, dans ce contexte, le rachat récent de la Parfumerie Sachet par la Parfumerie Tiki. Pour Daniel Langy, le directeur général de la Parfumerie Tiki, deux options s’offrent aux industriels locaux dans ce contexte. L’une consiste à mutualiser ces coûts le plus possible. À ce titre, l’industrie bénéficiait jusqu’à cette année des recettes de la taxe parafiscale sur les exportations de monoï. Une aide financière de l’ordre de 40 millions de Fcfp par an en principe reversée par le Pays. Cette manne était consacrée pour une bonne part à la défense des produits de l’industrie du monoï à l’étranger, à leur promotion, et accessoirement à la recherche. Cette taxe est supprimée depuis le 1er janvier 2022. Pour pallier cette perte, les industriels du monoï tablent aujourd’hui sur une contribution volontaire, au prorata de leurs exportations, versée dans un pot commun et gérée par leur association professionnelle. Parallèlement, "il faudra peut-être que l’on envisage de fabriquer nos produits sur le marché européen", estime aussi Daniel Langy.
 
… et la délocalisation
 
La solution de la délocalisation est celle qu’a choisie le Laboratoire de cosmétologie du Pacifique sud depuis une trentaine d’année. Si la valeur ajoutée produite localement est minime, la solution lui offre une flexibilité appréciable. L’entreprise est aujourd’hui le premier exportateur de monoï, à l’origine de 70% des volumes qui embarquent au départ de Tahiti. Il s’agit annuellement de près de 300 tonnes de produit essentiellement expédié en vrac puis transformé dans une "entreprise sœur", Le Comptoir des monoï, installée à Aubagne dans la région marseillaise. "Cette société a une mission logistique, mais elle a surtout la capacité de fabriquer toute une gamme de produits sur place", explique Olivier Touboul, le fondateur du Laboratoire de cosmétologie du Pacifique sud. "C’est ce qui nous a permis d’entrer dans le réseau de la grande distribution en maitrisant l’approvisionnement dans des délais raccourcis à moins de trois semaines." Une souplesse impossible depuis la Polynésie : "Sur une commande volumineuse à l’export, on a des délais de cinq à six mois. La majeure partie des composants doivent être importés (emballages, intrants, etc.). Cela ne nous permet pas d’être compétitifs." Reste que la solution de la délocalisation a un coût. Pour Olivier Touboul et son frère, qui dirige Le Comptoir des monoï, au fil des années cette option aura demandé un investissement de "près de 10 millions d’euros" : "À un certain moment, on a eu des demandes tellement fortes et régulières que l’on a dû aller de l’avant."

Une ressource à surveiller

L’appellation d’origine impose l’utilisation de fleurs cueillies au stade de bouton au plus tôt la veille de leur mise en macération dans l’huile de coco. Dix fleurs par litre. On estime entre quatre et cinq millions de boutons de tiare le besoin annuel de la filière. Mais pour Jérémy Biau, si la fourniture en fleurs ne pose pas de réel problème aujourd’hui, elle relève plus d’une "question d’organisation, notamment en juin et juillet pendant les fêtes du Heiva". L’autre incontournable nécessaire à la fabrication de monoï est l’huile raffinée de coco. Et là aussi, les perspectives de développement peuvent apparaitre bornées. La cocoteraie polynésienne est fournie, mais vieillissante et exposée au phénomène de la montée des eaux. Avec un réel risque de baisse de productivité dans les années à venir. Or pour respecter l’appellation d’origine, l’huile brute employée pour le Monoï de Tahiti doit provenir de noix issues de cocotiers plantés sur des sols d’origine corallienne. Mais là encore, la problématique est toute relative pour Jérémy Biau : "L’industrie ne consomme aujourd’hui que 3% de la production annuelle totale de l’huilerie de Tahiti. On a encore de la marge."

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Jeudi 31 Mars 2022 à 18:05 | Lu 1123 fois