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"L’exercice prolongé du pouvoir déclenche des mécanismes d’addiction"


PARIS, 15 septembre 2015 - Rudy Bessard est docteur en sciences politiques et l'auteur de la thèse "Pouvoir personnel et ressources politiques : Gaston Flosse en Polynésie française".
Nous l'avons rencontré en marge du colloque "L’Océanie convoitée" organisé lundi et mardi au Centre national de recherche scientifique (CNRS) à Paris.

Vous avez consacré une thèse de près de 1000 pages à Gaston Flosse. Etes-vous surpris par la guérilla incessante qu’il mène contre Edouard Fritch depuis un an ?

Rudy Bessard : Ce n’est pas vraiment une surprise dans la mesure où le président Edouard Fritch a rapidement pris ses distances avec le chef lors de la succession à la présidence. Ce dernier paraît difficilement supporter cette situation. De plus, il semble que la démarche d’ouverture d’Edouard Fritch a heurté l’approche de Gaston Flosse, plutôt basée sur la monopolisation de l’espace politique par le Tahoeraa.

Gaston Flosse est-il un cas unique dans son refus de céder le pouvoir ?

Rudy Bessard : Les leaders politiques ont généralement des difficultés à céder le pouvoir, d’autant plus lorsqu’ils l’ont exercé pendant longtemps. Et encore plus lorsqu’ils ont été directement à l’origine des institutions qui ont été façonnées par leurs pratiques. La personnalisation et l’appropriation du pouvoir qui ont résulté de cette configuration particulière ne facilitent pas le sevrage du pouvoir. Son exercice prolongé déclenche des mécanismes d’addiction, aussi bien en métropole que dans les outre-mers. En Nouvelle-Calédonie, la succession de Jacques Lafleur a été rocambolesque et source de divisions internes. En fait, le statut de dauphin, même adoubé par le chef, n’est d’aucune garantie. Nombreux sont ceux qui ont échoué sur les rivages du pouvoir, sans négliger la question sous-jacente du parricide. « Tuer le père » politique s’avère complexe.

Edouard Fritch est accusé par le Tahoeraa et le Tavini de ne pas avoir de vision politique claire ou de suivre les intérêts de l’Etat, comme récemment à l’issue du Forum du Pacifique. Comment définiriez-vous la politique extérieure de Fritch ?

Rudy Bessard : Il semble que le président Fritch s’inscrive pour l’instant dans la continuité de la politique extérieure polynésienne, en réactualisant certains dossiers sur la base de relations apaisées avec l’Etat. Le développement d’une diplomatie polynésienne représente une autre part du legs de Gaston Flosse, qui a tracé les sillons des relations privilégiées avec les frères de l’espace polynésien, certains territoires mélanésiens et micronésiens, et a développé des relations avec les puissances asiatiques. De son côté, le président Fritch a fait part de l’intérêt croissant de son gouvernement pour la question climatique, ce qui illustre une prise de conscience de l’importance de cette problématique universelle. Enfin, les intérêts internationaux de la Polynésie et de l’Etat ne sont pas nécessairement divergents. Au contraire, ils peuvent converger dans la mondialisation, ainsi que le démontre l’approche croisée des enjeux technologiques et environnementaux.

Rédigé par Serge Massau le Mardi 15 Septembre 2015 à 14:16 | Lu 2141 fois