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L'“aide à mourir” étendue à la Polynésie


crédit photo Patrick Hertzog  AFP
crédit photo Patrick Hertzog AFP
Tahiti, le 20 mai 2025 – Dix mois après avoir été interrompu par la dissolution de l'Assemblée nationale, le texte sur la fin de vie a fait son retour au Palais Bourbon, scindé cette fois en deux propositions de loi. L'examen de la première sur les soins palliatifs a été achevé samedi soir à Paris, tandis que les débats se poursuivent sur la seconde relative à l'“aide à mourir”. Surprise, le gouvernement central a introduit par voie d'amendement l'extension des dispositions de ces deux textes à la Polynésie française. Ces derniers doivent être votés le 27 mai.
 

C'est un sujet éminemment sensible et clivant selon que l'on aborde la question de la fin de vie d'un point de vue médical ou moral. À l'origine, et après la convention citoyenne qui s'est tenue sur ce sujet entre décembre 2022 et avril 2023, le gouvernement d'Emmanuel Macron avait présenté un seul et même texte dont l'examen a été interrompu par la dissolution de l'Assemblée nationale en juin 2024. Presqu’un an plus tard, le débat fait son retour au Palais Bourbon avec, cette fois, à la demande du premier ministre François Bayrou, deux propositions de loi distinctes qui “ne s'opposent pas” mais qui “se complètent” comme l'avait souligné la ministre de la Santé et du Travail Catherine Vautrin.
 
La première concernant les soins palliatifs est globalement consensuelle et reprend les dispositions du projet de loi initial sur l'accompagnement des malades et de la fin de vie présenté en avril 2024, en y apportant quelques modifications. Des soins palliatifs qui existent déjà en Polynésie depuis 2015, notamment grâce à l'unité mobile du Centre hospitalier de Taaone et à l'association Mania Te Miti.
 
Des critères bien précis pour avoir recours au suicide assisté
 
C'est la seconde proposition de loi qui pose davantage de difficultés et alimente d'intenses controverses puisqu'il s'agit ici de légaliser le suicide assisté. En effet, samedi soir, les députés ont adopté un article créant un “droit à l'aide à mourir” et ont réintégré le principe (supprimé en commission) selon lequel les patients devront s'autoadministrer la substance létale, sauf s'ils sont en incapacité physique de le faire, auquel cas ils pourront faire appel à l'assistance d'un médecin ou d'un infirmier. “La position du gouvernement, c'est de dire que le principe, c'est l'autoadministration ; l'exception, c'est l'accompagnement”, a ainsi déclaré Catherine Vautrin dans l'hémicycle, tandis que plusieurs députés – dont le porteur de la loi, le député Modem Olivier Falorni – pointaient du doigt cette remise en question du “libre choix” qui ne “correspond plus à l'équilibre affiché” par le gouvernement dans son texte initial.
 
Des conditions strictes sont prévues pour avoir accès à cette “aide à mourir” : avoir plus de 18 ans, être capable de manifester sa “volonté de façon libre et éclairée”, être atteint d'une “affection rare et incurable qui engage le pronostic vital en phase avancée ou terminale” et qui provoque une “souffrance physique ou psychologique” réfractaire aux traitements ou insupportable.
 
Un sujet qui peut être “très mal accueilli” en Polynésie
 
Mais si rien ne le laissait entendre, le gouvernement central a décidé d'introduire un amendement en séance plénière pour étendre et adapter à la Polynésie française (mais aussi à la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna), les dispositions de ces deux propositions de loi par voie d'ordonnance. “J'ai eu l'occasion de rencontrer le ministre de la Santé (et de l'Accès aux soins) Yannick Neuder il y a trois semaines pour savoir si le gouvernement comptait étendre les soins palliatifs et l'aide à mourir à la Polynésie française, et ce n'était pas dans son intention. Mais ce week-end, nous avons eu la surprise de voir l'amendement du gouvernement prévoyant cette extension aux collectivités ultramarines être voté”, s'est ainsi étonnée la députée Nicole Sanquer qui lui a déjà exprimé quelques inquiétudes : “Nous sommes un peuple chrétien et nous savons que c'est un sujet de société qui peut être très mal accueilli dans les familles polynésiennes”, a-t-elle expliqué, précisant avoir déjà contacté l'association des familles catholiques qui “marque déjà une certaine opposition”.
 
Une question de “liberté publique” plus que de santé
 
Rien de surprenant quand on connaît le poids des différentes Églises dans la culture polynésienne sur ces questions de société. Cela a d'ailleurs été le cas avec l'avortement, la “loi Veil” n'ayant été appliquée en Polynésie qu'en 2001, soit 26 ans après sa promulgation en métropole. Il aura fallu passer par le Conseil constitutionnel pour que l'interruption volontaire de grossesse soit enfin pratiquée de façon légale en Polynésie. En choisissant de proposer l'extension de ces deux textes par voie d'ordonnance comme l'y autorise l'article 38 de la Constitution, l'État coupe ainsi l'herbe sous le pied du Pays qui est pourtant compétent en matière de santé. Mais comme il avait été avancé à l'époque concernant l'IVG, l'“aide à mourir” ne relève pas d'une simple affaire de santé publique mais touche au principe de la liberté des personnes qui est une prérogative régalienne.
 
Pédagogie et communication avant un éventuel référendum
 
Quoi qu'il en soit, le sujet risque de provoquer des réactions épidermiques sur le plan local et il faudra faire preuve de beaucoup de pédagogie. “Je pense aussi que ce texte a besoin d'être expliqué pour bien comprendre que ce n'est pas quelque chose qui s'impose mais que c'est un choix qui est fait par la personne en phase terminale et qui souffre énormément”, a souligné Nicole Sanquer qui précise qu'à Paris, ce texte, qui a déjà subi des “évolutions et même des contradictions” entre la commission et la séance plénière du Palais Bourbon, “divise les différents groupes politiques”.
 
Actuellement en première lecture à l'Assemblée nationale, ces deux textes doivent être votés le 27 mai prochain. Sachant que la proposition de loi sur la fin de vie fait l'objet de plus de 2 600 amendements et que plusieurs députés et sénateurs y sont fortement opposés, Emmanuel Macron a déjà annoncé qu'il pourrait recourir à un référendum si ce texte était bloqué au Parlement. Une consultation populaire que souhaiterait également voir Nicole Sanquer en Polynésie : “On sait que les avis seront mitigés, mais au moins, on pourra avoir une tendance générale”.

Rédigé par Stéphanie Delorme le Mardi 20 Mai 2025 à 19:00 | Lu 3088 fois