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Japon: radioactivité, l'ennemi intérieur


Japon: radioactivité, l'ennemi intérieur
Hantise de la violence au Mexique, de la radioactivité au Japon, de l'effondrement de l'Etat en Grèce, des aliments empoisonnés en Chine, du déclin aux Etats-Unis, du chômage de masse en Espagne, nous continuons notre voyage au coeur de ces psychoses qui illustrent le caractère inextricable de la mondialisation :

TOKYO, 31 mai 2012 (AFP) - Avant le 11 mars 2011, la vie des ménagères japonaises était simple. Obéissant à des croyances bien établies, elles se contentaient d'acheter des produits du terroir japonais et d'éviter les aliments importés de Chine, pour être totalement sûres de ne pas empoisonner la maisonnée.

Mais l'accident nucléaire de Fukushima a remis en cause toutes les idées reçues dans ce pays jalousement attaché à la qualité de son riz, de son poisson ou de ses légumes, et obsédé par la sécurité alimentaire.

La fusion du combustible nucléaire dans trois réacteurs de la centrale de Fukushima Daiichi, dévastée par le tsunami, a dispersé des particules de césium et autres éléments radioactifs dans les airs et dans les eaux alentour.

Ces insanités se sont fixées sur les cultures. Ou bien elles ont été absorbées par les animaux et les poissons. Lorsque ces derniers sont ingurgités par un prédateur ou qu'ils meurent pour une autre raison, la radioactivité, elle, reste.

La contamination se perpétue ainsi sur l'ensemble de la chaîne alimentaire. Du coup, les marchandises venues du nord-est de l'archipel, là où se trouve la centrale, sont bannies du panier. Les autres sont regardées à deux fois.

Malgré les contrôles et les garanties des producteurs comme des autorités, beaucoup de Japonais se méfient de la contamination radioactive, dont nul ne connaît l'ampleur exacte. Impossible, en effet, de contrôler la totalité des aliments mis sur le marché.

Alors, certains n'hésitent pas à débourser plusieurs milliers de yens (plusieurs dizaines d'euros) en sortant du supermarché pour mesurer la radioactivité de leur panier de courses. Ce service est proposé par certaines municipalités. Des entreprises privées, comme Bekumiru (littéralement : "Voir les becquerels"), proposent quant à elles des appareils de mesure de la radioactivité en libre-service.

A Kashiwa, une ville des environs de Tokyo située à 200 km de la centrale mais où une radioactivité anormale a été mesurée en certains points, les locaux de cette entreprise ne désemplissent pas et le téléphone n'arrête pas de sonner. "Les gens qui habitent ici sont particulièrement inquiets", confirme le directeur, Motohiro Takamatsu.

Mesure de radioactivité en libre service

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Les tests se font sur rendez-vous. Le personnel a suivi un mois de cours intensifs avec des experts. "Les clients viennent avec des légumes, un bol de riz, de l'eau ou tout autre aliment. Ils font eux-mêmes les mesures. Ca les rassure", souligne M. Takamatsu.

Il suffit de placer un échantillon dans un récipient que l'on introduit ensuite dans un appareil muni d'un capteur, puis d'appuyer sur le bouton "start" d'un instrument qui ressemble à une caisse enregistreuse. Vingt minutes plus tard, le résultat s'affiche. Un document placé à côté de chaque machine renseigne sur les limites légales de becquerels par kilogramme pour les légumes, les condiments et les autres matières les plus courantes.

"Beaucoup de gens viennent avec du riz, mais aussi de l'eau ou de la terre", précise M. Takamatsu.

Les machines ont été choisies sur des critères de fiabilité et de simplicité d'emploi. "Même un enfant pourrait les utiliser", se vante-t-il.

"Je cultive des légumes dans la cour de l'école maternelle et comme les petits sont susceptibles de les manger, je viens ici régulièrement pour rassurer les parents. Forcément, ils sont inquiets", témoigne Ryotaka Iwasaki, qui en est à sa deuxième visite. "Si ce lieu n'existait pas, je serais ennuyé, cela coûterait sans doute trop cher de confier les tests à un organisme spécialisé".

"Je suis venue mesurer le riz que je cultive. Il a été autorisé à la vente après des tests, mais je préfère vérifier par moi-même, pour être certaine", confie pour sa part la sexagénaire Mitsue Suzuki, une cultivatrice des environs.

Bekumiru propose aussi en location des dosimètres que les personnes peuvent emprunter pour mesurer la radioactivité dans leur jardin.

Dans l'espoir de regagner la confiance, un important groupe de grande distribution nippon, Aeon, réalise ses propres tests sur la nourriture qu'il vend. Selon son directeur-général adjoint, Yasuhide Chikazawa, la fixation d'un "seuil de sécurité" par les autorités n'a pas de sens pour les consommateurs.

"Seuls des produits présentant une radioactivité très faible au point d'en être indétectable pourront rivaliser avec leur homologues étrangers", justifie-t-il.

La politique de "tolérance zéro" d'Aeon a d'abord rencontré l'opposition de producteurs des zones contaminées, précise M. Chikazawa. "Mais ils ont finalement réalisé que c'était la meilleure façon de les protéger."

Immédiatement après l'accident de Fukushima, les limites légales de teneur en césium radioactif dans les aliments ont été relevées de façon provisoire (à 500 becquerels de césium par kilogramme), comme le prévoient des procédures internationales d'urgence.

Des produits qui auraient auparavant été jetés ont ainsi été temporairement autorisés à la vente. Cette disposition exceptionnelle est levée depuis le 1er avril. Désormais, la limite est revenue à son niveau antérieur (100 becquerels de césium radioactif par kilogramme pour les produits généraux, 10 becquerels pour un litre d'eau et 50 pour les aliments destinés aux enfants en bas âge).

Mais le relèvement temporaire des limites légales a entre-temps nourri le soupçon que le gouvernement se souciait davantage des producteurs que des consommateurs.

Riz retiré du marché

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Plusieurs incidents ont accru la méfiance générale. Plusieurs produits provenant de la préfecture de Fukushima qui présentaient des niveaux de radioactivité supérieurs à cette limite provisoire ont été interdits à la vente. Notamment de la viande bovine, du lait, des champignons, des poissons et certains légumes verts. Quant au riz cultivé dans cette région, une des plus rizicoles du Japon, il avait d'abord été déclaré consommable, avant que des tests complémentaires ne révèlent une contamination excessive de nombreux lots, finalement retirés du marché.

La baisse du niveau admissible depuis le 1er avril rend en outre invendables des cargaisons précédemment autorisées, ce qui oblige les autorités à racheter des tonnes de riz pour les détruire, afin d'éviter de précipiter dans la ruine des cultivateurs désemparés.

Des cas de fraude (changement intentionnel d'origine affichée sur des paquets provenant de Fukushima) ont amplifié la défiance. Résultat: les consommateurs se sont largement détournés de tout aliment issu des alentours de la région polluée.

Il n'y a plus guère que les personnes âgées pour continuer à acheter des fruits et légumes cultivés à Fukushima, à la fois par solidarité avec les paysans doublement sinistrés et parce que beaucoup d'entre elles jugent ne pas risquer grand-chose à leur âge.

La détection récente de zones à fortes radioactivité dans plusieurs villes du Japon entraîne un autre type de psychose difficile à contenir. En certains endroits, pourtant éloignés de dizaines de kilomètres du site, la radioactivité atteint plusieurs microsieverts ou dizaines de microsieverts par heure, contre moins de 0,20 en temps normal.

"Le vent et la pluie ont transporté les éléments radioactifs. Cela dépend des lieux où les précipitations sont tombées. Des endroits relativement proches ont été épargnés et d'autres contaminés bien que très distants de la centrale", explique le professeur Tatsuhiko Kodama, spécialiste des effets de la radioactivité.

Alors que les mesures terrestres et aériennes effectuées par les autorités montrent les grandes zones de contamination, elles ne révèlent pas des "points chauds" extrêmement localisés, lesquels ont généralement été décelés par des particuliers. De plus en plus de Japonais se dotent dès lors de dosimètres (compteurs Geiger), grâce au développement de modèles simples à bas prix.

Quant aux exportations d'aliments japonais, autrefois prisés par les consommateurs des pays voisins pour leur qualité et leur haut niveau de sécurité, elles ont chuté de 7,4% en 2011 par rapport à 2010. Une demi-douzaine de pays bloquaient encore, fin mars, les importations de légumes provenant du nord et de l'est du Japon. Parmi eux, la Chine.

kap-kh/roc/cac/ple

Rédigé par Par Kyoko HASEGAWA et Karyn POUPEE le Jeudi 31 Mai 2012 à 05:52 | Lu 592 fois