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Interpol: le général émirati Al-Raisi, accusé de torture, élu président


Ozan KOSE / AFP
Ozan KOSE / AFP
Istanbul, Turquie | AFP | jeudi 25/11/2021 - Le général émirati Ahmed Nasser Al-Raisi, accusé de torture, a été élu jeudi président d'Interpol, au grand dam des défenseurs des droits de l'Homme, qui estiment que son élection entravera la mission de l'organisation.

"M. Ahmed Nasser Al-Raisi (...) a été élu au poste de président [pour un] mandat de quatre ans", a indiqué sur Twitter l'organisation de coopération policière, réunie en Assemblée générale à Istanbul depuis mardi.

Le rôle de M. Al-Raisi, élu par les Etats membres avec une majorité des deux tiers (68,9%), sera essentiellement honorifique, selon les statuts d'Interpol, qui font du Secrétaire général Jürgen Stock le vrai patron de l'organisation.

"En tant que président d'Interpol, je construirai une organisation plus transparente, inclusive et efficace, qui oeuvrera à la sécurité de tous", a promis jeudi sur Twitter M. Al-Raisi.

Pour autant, l'élection du responsable des forces de sécurité émiraties, dont le pays est devenu le deuxième contributeur au budget d'Interpol, suscite l'inquiétude d'ONG et de responsables politiques.

"Triste jour pour les droits de l'Homme", a réagi Hiba Zayadin, chercheuse sur le Golfe pour Human Rights Watch (HRW), déplorant l'élection du "représentant du gouvernement sans doute le plus autoritaire du Golfe".

Plusieurs plaintes pour "torture" contre M. Al-Raisi, qui a rejoint les rangs de la police de son pays en 1980, ont été déposées ces derniers mois en France, où siège l'organisation, et en Turquie, pays hôte de l'Assemblée générale.

L'ONG Gulf Centre for Human rights (GCHR) accuse notamment le général émirati d'"actes de torture et de barbarie" contre l'opposant Ahmed Mansoor, détenu depuis 2017 dans une cellule de 4 m2 "sans matelas ni protection contre le froid", ni "accès à un médecin, à l'hygiène, à l'eau".

Ces procédures n'ont pas abouti jusqu'ici. Deux des plaintes déposées en France, dont celle du GCHR, ont été classées pour absence de compétence, a appris l'AFP jeudi.

"Dès lors que M. Al-Raisi va avoir une résidence en France, même intermittente", le siège d'Interpol étant à Lyon, "une nouvelle plainte va être déposée", a toutefois affirmé Me William Bourdon, avocat du GCHR.

"Signal aux régimes autoritaires" 

L'élection du général Al-Raisi enverra "un signal aux autres régimes autoritaires", notamment qu'utiliser d'Interpol pour poursuivre des opposants à l'étranger "n'est pas un problème", expliquait avant l'élection à l'AFP Edward Lemon, spécialiste des régimes autoritaires à l'Université A&M du Texas.

Selon un rapport britannique publié en mars, les Emirats arabes unis ont détourné le système des notices rouges - les avis de recherche internationaux - pour faire pression sur des opposants. D'autres pays sont accusés d'en faire de même.

Le général Al-Raisi sera "susceptible de travailler avec des gouvernements aux vues similaires [aux siennes] pour contrecarrer les réformes allant vers une plus grande transparence d'Interpol", estime Edward Lemon. 

La Tchèque Sarka Havrankova - seule autre candidate pour la présidence d'Interpol - avait appelé jeudi matin l'Assemblée générale à "envoyer un message clair à nos sociétés, qu'Interpol est une institution digne de confiance (...) Montrons au monde qu'Interpol n'est pas à vendre !", selon le texte de son discours.

Les Emirats arabes unis ont fait un don de 50 millions d'euros à Interpol en 2017 - une somme presque équivalente aux contributions des 195 pays membres (60 millions d'euros en 2020), et ont aussi financé "environ 7% du budget annuel d'Interpol" en 2019, souligne Edward Lemon, pour qui c'est un moyen d'acheter de l'influence. 

Sollicité mardi par l'AFP, l'entourage de M. Al-Raisi avait décliné toute interview.

"La campagne organisée de diffamation [contre M. Al-Raisi] a été écrasée sur le rocher de la vérité", s'est félicité jeudi le conseiller du président émirati et ancien chef de la diplomatie émiratie Anwar Gargash.

Cette élection controversée pourrait peser sur le maintien du siège d'Interpol à Lyon, en France: cette semaine, deux élus régionaux de poids s'en sont inquiétés dans un courrier au ministre français de l'Intérieur, Gérald Darmanin.

Des organisations de défense des droits de l'Homme se sont également inquiétées de l'élection jeudi au comité exécutif d'Interpol du Chinois Hu Binchen.

"En élisant Hu Binchen, l'Assemblée générale (...) mettra des dizaines de milliers de dissidents hongkongais, ouïghours, tibétains, taïwanais et chinois vivant à l'étranger en plus grand péril encore", écrivaient dans une lettre mi-novembre 50 élus de 20 pays membres de l'Alliance interparlementaire sur la Chine (IPAC).

le Jeudi 25 Novembre 2021 à 05:30 | Lu 405 fois