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Ice : De l'addiction à la production


Tahiti, le 1er décembre 2020 - Le procès de 13 prévenus, poursuivis dans le cadre du démantèlement du premier laboratoire de production d'ice en Polynésie, s'est ouvert mardi devant le tribunal correctionnel de Papeete pour quatre jours de débats. Si les premiers prévenus entendus ont tous évoqué leur addiction à l'ice, le tribunal a surtout cherché à comprendre de quelle manière les individus les plus lourdement impliqués avaient pu en arriver au stade de créer leur propre laboratoire.
 
Essence, nitrate, acétone, acide, piles, pseudo éphédrine, white spirit, soude caustique, sèche-cheveux, entonnoir, filtres à café, chalumeau et masques de protection respiratoire. Tous ces produits et ce matériel, nécessaires à la fabrication d'ice, avaient été saisis le 19 janvier 2019 par les enquêteurs de la Brigade de recherches de Faa'a dans une maison défraîchie de la presqu'île où plusieurs individus avaient installé un laboratoire de fabrication de méthamphétamines.
 
Avant de procéder au démantèlement de ce qui restera comme ayant été le premier laboratoire destiné à la production de méthamphétamines sur le territoire, les enquêteurs avaient débuté leurs investigations grâce à un informateur qui avait dénoncé un couple résidant à la Presqu'île. Selon l'individu, cet homme et sa compagne, parents de deux enfants, s'étaient mis à la fabrication d'ice en utilisant la méthode dite du "Shake and bake", à traduire "secouer et cuisiner". Grâce aux surveillances physiques et téléphoniques ainsi qu'aux repérages, les enquêteurs de la Brigade de recherches avaient interpellé, à Tautira le 19 janvier 2019, plusieurs individus dont le fameux couple, Toanui Rattinassamy et sa femme, Vanina. Onze hommes, impliqués pour avoir revendu la drogue ou avoir acheté les produits nécessaires à la fabrication d'ice, avaient été interpellés dans les jours suivants.
 
Mauvaises fréquentations
 
Le procès de ces treize individus, dont cinq sont détenus depuis leur arrestation, a débuté mardi matin devant le tribunal correctionnel de Papeete pour quatre jours d'audience. Après avoir rappelé les faits, le président du tribunal a longuement interrogé Toanui Rattinassamy. Lors de sa garde à vue, ce dernier avait intégralement reconnu les faits. Consommateur d'ice, l'homme avait indiqué qu'il avait appris à fabriquer de l'ice grâce à un autre individu, Sylvain Ah Chong, qui figurait au rang de ses co-prévenus mardi. Face aux enquêteurs, Toanui Rattinassamy avait expliqué qu'il ne lui avait fallu que deux ou trois démonstrations pour apprendre car il suffisait de "voir comment faire pour comprendre". Il avait toutefois souligné la dangerosité de cette démarche, où "tout peut te péter à la gueule".
 
A la barre du tribunal mardi, Toanui Rattinassamy a évoqué son parcours, de sa scolarité interrompue en classe de troisième à cause de ses mauvaises fréquentations, à ses "petits boulots" dans des fermes perlières ou sur des thoniers. A l'époque des faits et tel qu'il l'a expliqué au tribunal, l'homme vivotait en réparant des voitures. Cette activité, qui lui rapportait 40 000 Fcfp par mois ne lui permettait par de faire vivre sa femme et ses deux enfants malgré l'aide financière de sa belle-famille. Consommateur d'ice depuis plusieurs années, il avait alors été approché par une connaissance, Sylvain Ah Chong, qui lui avait appris à fabriquer de l'ice "artisanale". Toanui Rattinassamy avait donc décidé de se lancer dans la production afin, tel qu'il l'a expliqué à la barre mardi d'avoir sa propre conso : "C'est mon addiction qui m'a amené à produire. J'étais devenu toxicomane et j'ai vu un moyen d'avoir une conso pas chère". Pour produire de l'ice, l'homme avait besoin de pseudo éphédrine, une molécule présente dans des médicaments anti-rhume dont la vente n'était pas réglementée à l'époque des faits. Avec sa femme, ils écumaient donc les pharmacies et changeaient de lieu dès que les gens les "regardaient bizarrement".
 
Toxicomanie
 
Bien qu'elle n'ait pas été mise dans la confidence au début de la production, la concubine de Rattinassamy, Vanina, avait rapidement eu connaissance de ses activités. Le soupçonnant de la tromper, elle l'avait en effet suivi et avait pu constater que son mari se livrait à la fabrication d'ice. Ayant peur que son compagnon ne lui échappe, la mère de famille avait accepté de prendre part au projet en s'occupant du ménage et du nettoyage du matériel utilisé.
 
Interrogée mardi par le tribunal après l'audition de son compagnon, la quadragénaire a semblé sincère lorsqu'elle a déploré, d'une voix étouffée, n'avoir pas su être "forte" ou ne pas être "partie" pour ses enfants. Comme à son habitude, le président du tribunal l'a invitée à partager sa réflexion rétrospective sur l'ice en général et sur le trafic. "Il ne faut pas rentrer là-dedans car tout ce que tu peux gagner n'est rien par rapport à tout ce que tu perds. Se relever aujourd'hui, c'est dur par rapport au regard des autres et par rapport à mes enfants", a-t-elle expliqué avant d'évoquer sa toxicomanie à l'époque des faits. "A ce moment-là, j'étais trop addict. J'étais dedans, je n'avais plus de courage ni de volonté. Sans mon séjour en prison, je n'aurais pas pu me sevrer". Ce constat a d'ailleurs été partagé par plusieurs revendeurs entendus mardi après-midi par le tribunal. Tous ont aussi évoqué l'addiction profonde causée par l'ice et l'extrême difficulté de s'en sortir seul. Le procès reprendra mercredi matin pour de nouvelles auditions.
 


Rédigé par Garance Colbert le Mardi 1 Décembre 2020 à 16:50 | Lu 2247 fois