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Hura Tapairu : les confidences de la présidente du jury


Vanina Ehu endosse, pour la 14è année, le rôle de présidente du jury.
Vanina Ehu endosse, pour la 14è année, le rôle de présidente du jury.
PAPEETE, le 21 novembre 2018 - La 14è édition démarre ce jeudi soir dans le Grand Théâtre de la Maison de la Culture. Cette année, 35 groupes sont en lice. Pour les noter, un jury d'experts a été choisi. Il sera présidé par Vanina Ehu, professeur de 'ori tahiti au Conservatoire. À quelques heures du lancement du concours, la présidente du jury s'est confiée sans langue de bois à Tahiti Infos.

Quel est le rôle de la présidente du jury ?
"Le titre de présidente est juste un titre administratif. Nous sommes une équipe et on se concerte quand il le faut. On ne s'est jamais battus pour un prix spécial, il y a toujours eu une super cohésion entre les membres du jury. Dans le jury, il y a la cellule mère depuis le départ : Matani, Moana'ura et Fabien nous a rejoints par la suite. Cette année, Fabien ne va pas pouvoir faire partie du jury à temps complet, parce qu'il part avec le ministre pour défendre le dossier du 'ori tahiti à l'Unesco. Il nous rejoindra pour la finale, parce que tous les compteurs seront remis à zéro à ce moment-là."

Parlez-nous de ce concours de danse ?
"Dans la formule du Hura Tapairu, il y a la catégorie Tapairu, 'Ori Tahito, Pahu Nui et Mehura, ce sont différents concours individuels. Le Tapairu regroupe le 'ōte'a et le 'aparima. La catégorie Mehura est une catégorie que l'on appelait Hula. Après, ça mettait en confusion tout le monde puisque le terme Hula faisait référence à la danse hawaienne. Ensuite Heremoana Maamaatuaiahutapu, qui est aujourd'hui notre ministre, avait demandé à l'Académie de nous trouver un terme pour définir ce concours. Donc, du Hula c'est passé à Mehura avec le respect des quatre temps."

Outre les danses, vous jugerez également les musiciens avec le concours du Pahu Nui ?

"L'idée est de conserver les différentes frappes. Ce qui est noté, c'est la mise en scène et les rythmes utilisés pour mettre en valeur le pahu en lui-même. Il y a aussi le fa'atete, le tari parau, le pahu tūpa'i rima… enfin, il y a toute la famille des tambours."

Quels sont les critères de notation ?
"Nous avons mis en place des notations où aucun groupe ne pourra avoir la note de zéro. On a construit des fiches de notations, où, par exemple, on retrouve 20 points pour le thème. Ensuite, dans le thème en lui-même, il y a la qualité des textes. Chaque critère va correspondre à tant de points. Après, il y a la beauté et la concordance avec le thème. Ensuite, il y a les matériaux utilisés par rapport aux costumes, puis, la maitrise technique de la gestuelle et des pas… ce ne sont pas des notes compliquées. Quand tu es artiste et que tu connais le visuel de ce que tu veux ressentir et découvrir par rapport à ce que le groupe propose, c'est facile. Pour le pahu tūpa'i, au niveau des critères, c'est sur la technicité, sur l'orchestration et sur l'expression artistique."

Comment ce concours a vu le jour ?
"Heremoana Maamaatuaiahutapu, à l'époque, avait mis en place ce concours pour les petits groupes qui n'ont pas la chance de se présenter sur To'atā, parce qu'il faut avoir un certain nombre de danseurs. Donc, celles et ceux qui se préparent bien, ont la chance de pouvoir participer à ce concours. De plus, ces associations se débrouillent pour avoir des fonds pour leurs costumes, leurs instruments… Ils ne perçoivent aucune subvention de Te Fare Tauhiti Nui, à l'inverse du Heiva. Après, il y a l'engouement du plaisir et de la danse qui fait qu'ils y vont et ils prennent sur eux. Depuis la 1ère édition jusqu'à aujourd'hui, on peut dire que 99 % des groupes ont joué le jeu au travers de la danse. Ils ont fait des progrès énormes pour la prestation au niveau des costumes, de la musique, de la mise en scène. Quand tu es au Grand Théâtre, tu as une vision de haut, et comme c'est un travail de scène, donc, il faut travailler sur le visuel. Alors qu'à To'atā, c'est plus strict. Le Hura Tapairu permet aux chorégraphes de mieux s'exprimer sur un temps court. Ce sont des soirées qui ne sont pas longues."


Beaucoup de groupes très connus participent également, alors qu'au départ, ce concours a été mis en place pour les petites formations. Qu'avez-vous à dire à ce sujet ?
"Chaque année, ça a toujours été la même question. Mais il ne faut pas oublier que c'est grâce à ces groupes-là que le Hura Tapairu existe, et c'est grâce aussi au Hura Tapairu qu'ils ont réussi à affronter la grande scène de To'atā. Je pense que le Hura Tapairu est un tremplin qui va permettre à tel chorégraphe d'affronter un grand nombre d'éléments. Aujourd'hui, quand ces grands groupes reviennent au Hura Tapairu, ils présentent trois formations avec des éléments différents dans chaque concours. C'est un challenge que chacun se fait à lui-même. Et c'est ce côté challenge que j'aime, parce que tu n'es pas en compétition contre ton voisin, mais avec toi-même."

Peut-on dire que ces grands groupes sont là aussi pour booster les petites formations ?
"Tout à fait, mais ça peut aussi être l'effet inverse. Il ne faut pas croire que lorsque l'on est dans les hautes sphères, qu'on ne va rien apprendre des petits. Même les petits groupes peuvent apporter un regard nouveau par rapport aux formations "professionnelles". Et quand on utilise le terme "professionnel", normalement, tu touches un salaire à la fin. Alors que nous, artistes, on n'a pas de salaire. C'est juste que ces groupes sont arrivés au top et que ces petits groupes ont besoin de cela pour atteindre aussi ce niveau. On va toujours apprendre du plus petit, que cela soit dans la danse ou ailleurs."

Qu'est-ce que la présidente du jury attend de ce 14è Hura Tapairu ?
"Que tous les groupes puissent, avant tout, respecter les limites de la danse tahitienne. Il ne faut pas que l'on déborde trop. Aujourd'hui, il y a beaucoup de travail de corps, d'expression de mouvement, de gestuelle qui sont puisés de la danse contemporaine. C'est beau, mais il ne faut pas non plus, que ce soit surexploité. Il ne faut pas oublier d'où on vient et qu'à partir de là, on a évolué jusqu'à aujourd'hui. Il faut danser pour danser. Il ne faut pas danser pour poser. Il faut danser avec ses tripes, il ne faut pas que notre danse soit superficielle ou esthétique. Aujourd'hui, on a beaucoup été influencé par l'extérieur. Dans le sens, où les danseuses n'ont plus le côté naturel. Aujourd'hui, il y a trop de chichis, d'accessoires… comme les faux-cils, les faux seins, maquillage, les ongles… tout ce côté superficiel, eh bien, je pense qu'à un moment, il faut un peu le mettre de côté et montrer ce que tu as dans le ventre au travers de ton naturel et de ton ressenti. Il y a des filles, quand elles dansent, elles savent qu'elles sont belles, c'est magnifique. Mais dans la danse, c'est ce côté superficiel que j'ai envie de gommer, parfois. Après, il n'y a plus d'estime pour soi-même et pour la danse. Chez les garçons, ils vont faire attention à leurs corps, mais ils ont une autre approche. Mais bon, on est obligés de faire avec, parce que c'est ça aussi l'évolution. Après, il faut mettre des freins aussi."


le Mercredi 21 Novembre 2018 à 15:56 | Lu 1256 fois