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Hôtellerie, croisière, transport : La pression du vaccin


Tahiti, le 6 juin 2021 – Comment pousser les employés à se faire vacciner et respecter à la fois la liberté vaccinale ? Une problématique ténue à laquelle font particulièrement face les employés du secteur du tourisme –hôtellerie, croisière, transports…– qui dénoncent parfois des pressions de leurs employeurs. Côté patronat, on affirme jongler entre “sensibilisation” vaccinale des salariés et respect des libertés individuelles. 
 
C'est une problématique assez subtile et finalement très éloignée des considérations complotistes des anti-vaccins. Un employeur peut-il imposer à ses employés de se faire vacciner ? La réponse à cette question est évidemment non. Il s'agit d'une infraction punie d'un an d'emprisonnement et de cinq millions de Fcfp d'amende. Mais la problématique est plus complexe qu'il n'y paraît et représente aujourd'hui un casse-tête bien réel dans de nombreux secteurs économiques liés au tourisme en Polynésie française. 
 
Qu'il s'agisse de l'hôtellerie, de la croisière, du transport ou encore des prestations liées au tourisme, les entreprises sont tiraillées entre, d'un côté, l'objectif d'une vaccination rapide et massive de la population pour permettre une reprise la plus immédiate possible de leur activité et, de l'autre, le principe de la liberté individuelle pour la vaccination. En effet le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu n'a cessé de le marteler lors de sa visite au fenua, seule la vaccination de 70% de la “population cible” de la campagne vaccinale permettra à la Polynésie de rouvrir ses frontières sans restrictions sanitaires supplémentaires. 
 
Ces dernières semaines le tissu économique local a été remobilisé autour de cet objectif de vaccination massive, pour relancer une campagne vaccinale qui s'essouffle. Premier secteur “sensibilisé”, l'industrie touristique au sens large fait l'objet d'une attention toute particulière des autorités du Pays et de l'Etat. A Bora Bora le week-end dernier, le gouvernement et le haut-commissariat ont insisté sur le fait que “la vaccination est la clé pour une reprise plus importante de l'activité touristique internationale en Polynésie”. Le président du Pays a d'ailleurs mis en garde le secteur : “Les finances publiques ne pourront pas supporter les dispositifs Diese et Deseti au-delà du mois de septembre, le budget du Pays étant contraint après plus d'une année de crise sanitaire”.

Les salariés non-vaccinés sous pression

Bien conscients des enjeux, les responsables privés des secteurs liés au tourisme ont parfois du mal à respecter une frontière ténue entre incitation à la vaccination et obligation vaccinale. De l'aveu des centrales syndicales locales, plusieurs employés non vaccinés dénoncent des pratiques qui tendent à la discrimination professionnelle. Une entreprise locale a par exemple décidé d'afficher publiquement au sein de la société le “listing” du personnel non-vacciné. “Je me suis senti pointé du doigt”, regrette un salarié dénonçant cette pratique, “on est devenu des pestiférés”. Une autre société a mis en place une séparation entre les personnels vaccinés et non-vaccinés, avec par exemple une interdiction de déjeuner à la cafétéria pour les non-vaccinés ou encore une autorisation de ne pas porter le masque ou de ne pas respecter les gestes barrières uniquement pour les employés vaccinés. “C’est de la discrimination”, souffle un salarié. 
 
Plus généralement, les salariés non-vaccinés relèvent la pression de leur direction ou parfois de leurs collègues qui les accusent d'être directement responsables du maintien à l'arrêt de leur secteur d'activité. Quand il ne s'agit des employeurs qui refusent de travailler avec des patentés ou prestataires non-vaccinés. “Dans le futur, ils vont favoriser le personnel vacciné et donc on va être sur la sellette”, craint un autre employé qui affirme que certains patrons vont même jusqu'aux menaces à peine voilées en demandant aux non-vaccinés “s’ils veulent garder leur travail ?”. “Personnellement, je souffre au boulot. J'aime mon travail, mais je suis mal dans ma peau”, témoigne un salarié du secteur, quand un dernier rappelle que cette pression s'ajoute aux “efforts” déjà demandés depuis plus d'un an sur les baisses d'activité et de rémunération.

“Pas le droit d'obliger les employés à se faire vacciner”

Parmi les témoignages recueillis, peu d'oppositions au principe de la vaccination. En revanche, une explication revient régulièrement : “L’attente” avant la vaccination. “J’attends parce que je n'ai pas besoin de me faire vacciner. J'irai quand j'aurai envie de voyager”, témoigne une employée. Une position qui rejoint finalement les arguments du gouvernement central à Paris fermement opposé à l'obligation de la vaccination. Le Président de la République affirmant croire davantage “au travail de conviction par la transparence”. “Si on veut que la nation reprenne une vie normale, il faut le maximum de gens qui se vaccinent. Mais je respecte l'avis de chacun, c'est pour ça qu'on ne l'a pas rendu obligatoire. Je préfère marcher par la conviction”, a encore rappelé il y a deux semaines Emmanuel Macron. 
 
Au fenua, les confédérations syndicales tiennent à la fois un discours plutôt pro-vaccination mais également de protection des salariés sur ce même argumentaire de la liberté de choix. Le secrétaire général de la CSTP-FO, Patrick Galenon, se dit même personnellement favorable à une obligation vaccinale. “C’est un peu dommage, car je sais que dans certains pays africains on oblige les gens à se faire vacciner”. Pour autant, le syndicaliste met en avant le code du travail : “Si la loi le disait, on serait obligé de la respecter”, lâche-t-il, “Mais on n'a pas le droit d'obliger les employés à se faire vacciner”. Chez O oe to oe rima, très présente dans l'hôtellerie, Tunia Terevaura accuse le “discours ambivalent” des autorités du Pays et de l'Etat d'être responsable de la situation. Il tacle “l’hypocrisie” du président du Pays et le haut-commissaire qui d'un côté “n’ont de cesse de répéter que la vaccination n'est pas obligatoire” et de l'autre “espèrent atteindre les 70% des personnes vaccinées pour assurer l'ouverture les frontières”.

“Sensibiliser” plutôt que “menacer”

Côté patronat, le sujet est sensible et le discours tout aussi complexe. La présidente de l'association du tourisme authentique, Mélinda Bodin, explique s'être faite vacciner mais précise qu'elle est contre toutes formes de pressions. “Nous devons montrer l'exemple (...). On veut ouvrir venez vous faire vacciner”. Mélinda Bodin affirme s'être rapprochée de ses adhérents pour leur demander de se faire vacciner. “Après chacun est libre, je ne vais pas leur mettre le couteau sous la gorge”. Dans l'hôtellerie, le directeur général de l’InterContinental Tahiti et co-président du conseil des professionnels de l’hôtellerie, Philippe Brovelli, assure qu'il n'use d'aucune pression auprès de ses employés. Un comité d'entreprise a eu lieu ces derniers jours, explique le professionnel, et il a souligné que la vaccination était “favorable” pour le tourisme et pour l'économie. “Je leur ai bien fait comprendre que c'est un chemin de pensée absolument personnel, et qu'il n'était pas question pour moi de chercher à influer sur des personnes”
 
Le P-dg d'Air Tahiti Nui, Michel Monvoisin, préfère parler de son côté de “sensibilisation”. “Je n'aime pas le mot pression. (…) On recommande au personnel de se faire vacciner. On leur explique que la vaccination est la solution pour sortir de ces difficultés”. Certes, par “principe de précaution” en mai dernier, les non-vaccinés ont été “débarqués des vols”, explique le P-dg d'ATN. Décision justifiée par le fait que Vancouver était le deuxième cluster de variant brésilien au monde. “Il y avait donc des risques”. Mais il assure que, depuis le mois de juin, tout est “revenu à la normale”. Le personnel naviguant est uniquement contraint à un nouveau protocole à Vancouver. Michel Monvoisin explique également avoir fait appel aux médecins de la plateforme Covid pour sensibiliser son personnel et surtout apporter des réponses aux questionnements. “Le problème des personnes qui ne veulent pas se faire vacciner, c'est qu'ils lisent beaucoup d'âneries sur facebook.”

“Il n'y aura pas 36 solutions”

Autre professionnel du secteur, le patron du navire de croisière Aranui Philippe Wong est un peu plus direct sur la question de la vaccination de ses employés. Il souligne avoir atteint 85% de vaccination de son personnel. “Il ne nous reste que quelques personnes qui ne veulent pas se faire vacciner”. Face à ce dilemme, une seule solution selon lui : L'obligation de vaccination. “Chez nous, on est arrivé à ce pourcentage de saturation. Au niveau de la population polynésienne on va y arriver aussi”. “Il faut se mettre au diapason”, affirme l'armateur, “pour l'instant la règlementation ne nous permet pas d'obliger, mais il n'y aura pas 36 solutions pour avancer”. Il explique également que dans le milieu de la croisière, ses concurrents affichent “tous” 100% de vaccination des passagers et des employés. “C’est une norme internationale qui est en train de se  mettre en place”. Philippe Wong estime que s'il n'arrive pas à faire de même : “On va être pénalisé commercialement ça c'est clair. Sûr et certain”.
 

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun le Lundi 7 Juin 2021 à 17:25 | Lu 3835 fois