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Hermann Detzner, l’irréductible Allemand de Nouvelle-Guinée


Un portrait de Detzner au temps de sa gloire, après ses quatre années dans la jungle papoue.
Un portrait de Detzner au temps de sa gloire, après ses quatre années dans la jungle papoue.
PAPEETE, le 29 septembre 2017- Qui fut, en réalité, Hermann Detnez, mort en 1970 en Allemagne, après être tombé du statut de héros national à celui de mythomane menteur ? Une chose est sûre : il fut le seul officier allemand à passer l’intégralité de la guerre de 14-18 caché dans les jungles de la Nouvelle-Guinée, traqué par les troupes australiennes, mais bien décidé à rester libre, alors que tous les militaires de son pays en poste dans cette région du Pacifique avaient capitulé. L’irréductible Detzner aurait pu se rendre avec ses hommes et attendre tranquillement la fin du conflit ; il préféra l’insoumission, la résistance, ne se livrant aux Australiens qu’en janvier 1919, après la fin de la Grande Guerre…


En 1914, la vaste Nouvelle-Guinée était divisée en trois parties inégales : à l’ouest, le secteur hollandais, actuel Irian Jaya, tombé aux mains des Indonésiens après une invasion armée en 1961 ; à l’est, ce qui n’était pas encore la Papouasie Nouvelle-Guinée était partagé entre les Anglais, au sud, et les Allemands au nord, administrant sous protectorat depuis 1884 ce qui s’appelait la Terre de l'Empereur-Guillaume (« Kaiser-Wilhelmsland »). Ni les Anglais ni les Allemands ne connaissaient les limites précises de leur territoire respectif. Ce n’était certes pas d’une importance capitale, mais « Rosbifs » et Teutons sont amis de la précision ; il fut donc décidé de tirer cette affaire de frontière floue au clair.
Un ingénieur topographe et arpenteur allemand, Hermann Philipp Detzner, né le 16 octobre 1882 à Speyer, sur les bords du Rhin, avait déjà effectué un travail du même type au Cameroun entre 1908 et 1909, puis à nouveau en 1912 et 1913, en étroite collaboration avec les Anglais.


Or et richesses en arrière-pensée

L’un des livres de Detzner, publié à son retour en Allemagne : « Quatre années chez les cannibales », énorme succès mais tissu de mensonges…
L’un des livres de Detzner, publié à son retour en Allemagne : « Quatre années chez les cannibales », énorme succès mais tissu de mensonges…
En 1914, Berlin décida d’envoyer le brillant Detzner au nord de la Nouvelle-Guinée afin d’établir une carte fiable de la région. En complément, compte tenu du fait que les Allemands s’étaient jusque-là contentés de construire quelques comptoirs le long de la côte nord de l’île et sur certaines rivières (Sépik et Ramu), les autorités demandèrent à Detzner d’établir une carte de l’intérieur de leur territoire encore méconnu. Avec l’arrière pensée de mettre en évidence ses éventuelles richesses : bois précieux, mais surtout minerais (dont l’or).
Les seuls documents disponibles dataient de 1909, lorsque les Britanniques et les Allemands s’étaient partagés cette portion est de la Nouvelle-Guinée en se contentant, par le biais de cartes imprécises, de tracer une ligne droite d’est en ouest.
Dans la jungle en février 1914
Detzner avait la réputation d’être dur à la tache, méticuleux, exigeant et suffisamment averti pour détecter les richesses potentielles du territoire à explorer. Dès janvier 1914, le topographe était à pied d’œuvre à Herberthöhe (aujourd’hui Kokopo), alors capitale de la province de la Nouvelle-Poméranie (devenue la Nouvelle-Bretagne). Dès le mois de février, son équipe et sa troupe rallièrent la Nouvelle-Guinée, pour s’enfoncer dans la jungle où tous -ou presque- allaient demeurer pendant plus de quatre ans.
Mais au moment du départ, personne ne se doutait de la surprise que la politique internationale réserverait à l’expédition.
Prié de regagner la côte
Loin de là, en Europe, la situation était explosive après l’attentat de Sarajevo le 28 juin 1914. En quelques semaines, plusieurs pays, alliés ou ennemis, entrèrent en conflit, la Grande-Bretagne déclarant la guerre à l’Allemagne le 4 août 1914. Ipso facto, le conflit embrasa immédiatement les empires coloniaux des pays protagonistes et la présence allemande en Nouvelle-Guinée devint une cible prioritaire des troupes australiennes, sous les couleurs du Commonwealth britannique.
Un contingent important fut envoyé sur la côte nord de la grande île papoue, la première cible étant la Nouvelle-Bretagne et sa capitale Herbertshöle.
Fin septembre, la cause était entendue, mais au mois d’octobre, enfoncé dans la jungle avec ses hommes, sans contact radio, Detzner ignorait tout de la situation ; il ne savait pas que l’Allemagne était en guerre et encore moins qu’elle avait perdu toutes ses possessions dans le Pacifique (Samoa, Salomon et Nouvelle-Guinée). Ce n’est que le 11 novembre 1914, grâce à un de ses hommes parti se reposer, que Detzner lut la missive rédigée pour lui-même par Frederick Chisholm, officier australien, l’informant que la guerre mettait fin à sa mission et qu’il devait regagner la côte au plus vite.


L’Allemagne invincible…

La Nouvelle-Guinée en 1913 : hollandaise à l’ouest, allemande au nord-est et anglaise au sud-est.
La Nouvelle-Guinée en 1913 : hollandaise à l’ouest, allemande au nord-est et anglaise au sud-est.
L’officier allemand était à la tête d’une troupe de 25 soldats, commandés par le sergent Konradt, troupe aidée par 45 porteurs papous, deux domestiques et un interprète. Ordre lui était donné se rendre au comptoir de Nepa sur la rivière Lakekamu. Il devait se soumettre aux Australiens qui occupaient tout l’est de la Nouvelle-Guinée.
Que s’est-il alors passé dans la tête de cet homme jeune (il n’avait pas 32 ans) ? Le plus probable est qu’il croyait en l’invincibilité de l’Allemagne. La flotte germanique était encore puissante dans le Pacifique (elle sera détruite par les Anglais) et cette occupation australienne de la Terre de l’Empereur Guillaume ne pouvait être que temporaire. Qui plus est, la guerre déclenchée en 1914 devait, tous les belligérants en étaient persuadés, être de courte durée. Aucun Poilu ne partit à Verdun pensant s’y enterrer quatre années ! Et rigoureusement aucun observateur ne pouvait imaginer les bouleversements mondiaux qu’aurait ce conflit : disparition de l’empire austro-hongrois, disparition de l’empire ottoman, disparition de l’empire colonial allemand, etc. Pour Detzner, il s’agissait d’abord de gagner du temps, pour laisser aux troupes allemandes la possibilité de reprendre le contrôle de la Nouvelle-Guinée.


Caché dans une mission luthérienne

Dès 1899, l’Allemagne avait organisé un semblant d’armée sur son territoire papou, pour faire face aux révoltes et autres actes de vandalisme plus que pour résister à d’éventuels ennemis extérieurs.
Dès 1899, l’Allemagne avait organisé un semblant d’armée sur son territoire papou, pour faire face aux révoltes et autres actes de vandalisme plus que pour résister à d’éventuels ennemis extérieurs.
Sommé de se rendre, le jeune ingénieur décida de s’enfoncer dans la jungle. Cap au nord, vers la vallée de Markham que sa petite troupe put atteindre à marches forcées. Ce qui suivit ensuite, les années de Detzner dans la jungle, est incertain et invérifiable. En effet, après la guerre, fêté comme un héros en Allemagne, l’ingénieur écrivit deux livres dans lesquels il raconta sa survie et sa résistance, avec force détails ; or ces détails le perdront, puisqu’ils furent contredits par beaucoup de spécialistes et que Detzner lui-même dut se résoudre à avouer qu’il avait romancé une partie de son récit.
Ce que l’on peut malgré tout retenir de cette équipée dans la jungle est que l’irréductible officier avait pour but d’atteindre Sattelberg, petite bourgade allemande de la péninsule de Huon perchée à près de 900 mètres d’altitude. Detzner savait pouvoir y trouver une mission luthérienne (fondée en 1892 par le pasteur Johann Flierl) ; le fugitif parvint à gagner ce havre, non sans avoir perdu son second, le sergent Konrad, victime de la malaria et un autre de ses hommes fait prisonnier.


Les missionnaires complices

Dès 1899, l’Allemagne avait organisé un semblant d’armée sur son territoire papou, pour faire face aux révoltes et autres actes de vandalisme plus que pour résister à d’éventuels ennemis extérieurs.
Dès 1899, l’Allemagne avait organisé un semblant d’armée sur son territoire papou, pour faire face aux révoltes et autres actes de vandalisme plus que pour résister à d’éventuels ennemis extérieurs.
Au début de la guerre, il est clair que les Australiens traquèrent Detzner, mais, au fil du temps, la pression retomba lorsqu’il fut clair pour les Aussies qu’il demeurerait caché en pleine jungle et qu’il ne représentait donc pas un véritable danger. Quant aux missionnaires allemands en poste dans la région, tous de la Neuendettelsau Mission Society, ils avaient signé un accord avec les Australiens leur garantissant la plus totale neutralité dans le conflit, de manière à pouvoir poursuivre l’évangélisation des Papous.
Une fois à Sattelberg, Detzner compta ses hommes, une vingtaine, et décida de nomadiser dans les villages alentour, de manière à parfaitement connaître le terrain et ainsi pouvoir échapper aux soldats australiens. Clairement, les missionnaires rompirent leur promesse de neutralité et aidèrent les fugitifs, en les cachant, mais aussi en les nourrissant et en leur fournissant les indispensables guides pour circuler.


« Une lutte permanente »

Kokopo, en 1914, dans l’île de la Nouvelle-Bretagne : la bourgade, appelée Herberthöhe, était alors la capitale de la province allemande de la Nouvelle Poméranie 6  (Facultatif) Une vieille carte postale allemande montrant le bâtiment dans la partie nord de la Nouvelle-Guinée où la reddition allemande fut signée dès le début de la guerre.
Kokopo, en 1914, dans l’île de la Nouvelle-Bretagne : la bourgade, appelée Herberthöhe, était alors la capitale de la province allemande de la Nouvelle Poméranie 6 (Facultatif) Une vieille carte postale allemande montrant le bâtiment dans la partie nord de la Nouvelle-Guinée où la reddition allemande fut signée dès le début de la guerre.
Finalement, Detzner fit établir un camp de base pour permettre à ses hommes de vivre à peu près sédentarisés. Le topographe bénéficia d’une aide extrêmement précieuse, celle du pasteur Christian Gottlob Keyser, qui vivait sur place depuis plusieurs années. Entomologiste, botaniste, ethnologue, féru de linguistique papou, il était l’homme clé de la région, mais, paradoxalement, ce fut lui qui, plus tard, révéla aux Allemands que les livres de Detzner contenaient énormément d’erreurs grossières, d’inventions pures et de contre-vérités.
En attendant, la troupe de fuyards s’organisa ; l’accès au site était très difficile pour les Australiens qui n’avaient pas le support des populations locales acquises aux missionnaires allemands. En fait, une fois Detzner localisé, constatant que celui-ci n’entreprenait aucune action hostile, les Australiens décidèrent de « lever le pied ». Ce qui ne fut pas ainsi narré par Detzner : dans ses écrits publiés après la guerre, il présenta ces quatre années comme une lutte permanente pour échapper à ses poursuivants. A le lire, lui et ses hommes parcouraient la jungle en chantant des hymnes et chants allemands, descendaient fleuves et rivières, à l’ombre du drapeau impérial allemand, toujours glissant entre les doigts des Australiens.


Passage à l’ouest manqué

Antérieure au XXe siècle, cette carte postale montre les bienfaits de la colonisation allemande sur cette partie de la Nouvelle-Guinée.
Antérieure au XXe siècle, cette carte postale montre les bienfaits de la colonisation allemande sur cette partie de la Nouvelle-Guinée.
En réalité, Detzner échoua dans ses tentatives de rallier la partie hollandaise de la Nouvelle-Guinée, neutre dans le conflit. Il essaya par les montagnes (prétendant être le premier homme blanc à explorer ces régions, ce qui fut très contesté), mais ne parvint pas à passer la frontière. Il retenta sa chance une seconde fois avec deux pirogues, le long de la côte : parvenu à Friedrich-Wilhelmshafen en 1917, il fut bloqué dans sa progression pas la présence du navire de guerre australien HMAS Una (ex-bateau allemand confisqué, le SMS Komet). Detzner affirma plus tard qu’à cette époque, les Australiens avaient donné ordre de l’abattre à vue (ce qui était faux).
Il fit encore une tentative pour rallier la partie hollandaise de la grande île, mais, malade, il dut renoncer. Le reste de la guerre, Detzner étudia la flore, la faune, la géographie et les tribus de la péninsule de Huon, ce qui tend à prouver que les Australiens n’étaient plus guère préoccupés par cette prétendue chasse à l’homme.


Reddition le 5 janvier 1919

En 1913, les Allemands continuaient à enrôler de jeunes Papous pour mener des opérations de police sur leur vaste territoire.
En 1913, les Allemands continuaient à enrôler de jeunes Papous pour mener des opérations de police sur leur vaste territoire.
Fin novembre 1918, l’Allemand fut informé de la capitulation de son pays : il ne s’était jamais avoué vaincu, mais cette fois-ci, il lui sembla qu’il était temps de se livrer. Le 5 janvier 1909, sa troupe en grande tenue, impeccable et marchant au pas, rendit les armes au quartier général de Finschafen District. Detzner fut transféré à Rabaul avant d’être conduit à Sydney ; brièvement emprisonné, il fut ensuite envoyé en Allemagne, où le pays, vaincu et humilié par la défaite, vit en lui l’homme qui avait su résister pendant tant d’années dans des conditions de survie terribles.
C’est sans doute à ce moment-là que Detzner perdit les pédales ; fort de son statut de héros national, il se fendit de deux ouvrages qui eurent un succès considérable. Le premier s’adressait surtout aux spécialistes et scientifiques et décrivait la Terre de l’Empereur Guillaume en 1919. Le second fut un best-seller à l‘époque : « Quatre ans parmi les cannibales, de 1914 à l’Armistice, sous le drapeau allemand, dans l’intérieur inexploré de la Nouvelle-Guinée ».


Gros mensonges et aveu

On ne rit plus : en 1914, la guerre est déclarée et les troupes australiennes ne font qu’une bouchée des quelques hommes armés de la Terre de l'Empereur-Guillaume (« Kaiser-Wilhelmsland »). Sur le terrain, la Royal Australian Naval Brigade, et l’Australian Navy and Military Expeditionary Force (AN&MEF).
On ne rit plus : en 1914, la guerre est déclarée et les troupes australiennes ne font qu’une bouchée des quelques hommes armés de la Terre de l'Empereur-Guillaume (« Kaiser-Wilhelmsland »). Sur le terrain, la Royal Australian Naval Brigade, et l’Australian Navy and Military Expeditionary Force (AN&MEF).
Malheureusement, la vie romancée du jeune Allemand comportait bien des approximations et même de gros mensonges, dénoncés à la fois par les Australiens, après lecture de ses ouvrages, et même par la communauté scientifique allemande qui voyait dans cet aventurier un scientifique de pacotille. D’Australie, parvint une mise au point sévère tirée du journal The Argus : « il n’y a aucun mystère dans la disparition du capitaine Detzner et de sa troupe ». Si celui-ci avait pu survivre si longtemps, c’était parce qu’il avait bénéficié de la perfidie des missionnaires allemands qui l’avaient nourri, lui et les siens, grâce à de l’argent public.
En 1929, les critiques contre Detzner se firent plus précises ; elles venaient de deux spécialistes allemands de la Nouvelle-Guinée, dont Christian Keyser lui-même, qui avait tant aidé Detzner. Non seulement ce dernier n’avait pas arpenté la jungle, mais en outre, il avait eu le culot de s’emparer des travaux scientifiques de ces mêmes missionnaires et de les revendiquer. Toutes ses « découvertes » furent remises en cause, et son histoire contestée. Dépité, démasqué, Detzner, face au scandale, ne put que se résoudre à avouer, en 1932, que dans ses écrits, il avait mélangé réalité et fiction. Son repentir lui permit de conserver son poste aux archives coloniales ; il devint même directeur d’une maison d’édition à Heidelberg mais disparut de la vie publique. Il mourut dans l’anonymat et l’indifférence en 1970, à l’âge de 88 ans, « héros » oublié des siens…

Daniel Pardon

A Madang, les Australiens sont victorieux en un éclair, mais ils ne savent pas encore qu’un Allemand et sa vingtaine d’hommes refuseront de se rendre jusqu’en 1919
A Madang, les Australiens sont victorieux en un éclair, mais ils ne savent pas encore qu’un Allemand et sa vingtaine d’hommes refuseront de se rendre jusqu’en 1919









Rédigé par Daniel Pardon le Vendredi 29 Septembre 2017 à 11:00 | Lu 2369 fois