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Haddad-Flosse, l’échec judiciaire


Haddad-Flosse, l’échec judiciaire
Tahiti, le 19 novmbre 2019 - La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Papeete a prononcé hier matin la prescription de l’affaire de “favoritisme”, “trafic d’influence” et “corruption” Haddad-Flosse ouverte en 2007, considérant que l’annulation de la procédure par la cour d’appel en 2014 a causé la prescription d’un des plus gros dossiers politico-financiers de l’histoire de la Polynésie. Le parquet peut encore former un ultime pourvoi en cassation contre cette décision.
 
Ce n’est pas encore un échec et mat, mais c’est véritablement un échec judiciaire. Après quatre renvois successifs et vingt-et-un mois d’attente, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Papeete s’est enfin prononcée hier matin sur la très longue procédure de l’affaire politico-financière Haddad-Flosse. Véritable coup de tonnerre judiciaire, la chambre de l’instruction a prononcé la “prescription” de la totalité de l’affaire de “favoritisme”, “trafic d’influence” et “corruption” ouverte en 2007 et visant rien de moins qu’un ancien président du Pays, quatre anciens et actuels ministres et représentants à l’assemblée et plusieurs hommes d’affaires du fenua.
 
Dans ce dossier, la chambre de l’instruction devait se prononcer hier sur trois requêtes différentes. La première, sans aucune importance, était une demande de constitution de partie civile déposée par le chauffeur de taxi, trublion et “président” auto-proclamé, René Hoffer. Les deux autres, plus sérieuses, portaient d’une part sur une requête du procureur, Hervé Leroy, contestant le refus du juge d’instruction en charge de l’affaire, Thierry Fragnoli, de régulariser l’ordonnance de renvoi et, d’autre part sur une demande dudit juge d’instruction de retirer du dossier des pièces invalidées au cours de la procédure.
 
Mais la chambre n’a pas eu à se prononcer sur ces trois requêtes. Elle a suivi l’argument des avocats de la défense, notamment de Gaston Flosse et d’Hubert Haddad, qui défendent depuis plusieurs années la prescription de ce dossier aussi sensible que médiatique, et qui a valu trois semaines de détention provisoire à l’ancien président du Pays et du Tahoeraa en 2010.

Prescription depuis 2014

Dans le détail, il faut se souvenir que l’affaire Haddad-Flosse a déjà fait l’objet d’un procès devant le tribunal correctionnel de Papeete en 2012 au terme duquel Gaston Flosse, Hubert Haddad et sept autres prévenus avaient été condamnés à des peines allant jusqu’à cinq ans de prison et cinq ans d’inéligibilité. Mais lors du procès en appel en 2014 à Papeete, la cour avait annulé ce jugement et l’ordonnance de renvoi en correctionnelle des juges d’instruction Stelmach et Redonnet pour un vice de forme. L’ancien président Gaston Flosse ayant été notamment poursuivi pour des soupçons de favoritisme visant les sociétés TNTV, SEP et Air Tahiti Nui mais jamais interrogé sur ces faits…
 
Dès lors, la chambre de l’instruction a considéré hier qu’avec l’annulation de l’ordonnance de renvoi et du jugement de 2012, un délai de plus de trois ans s’était écoulé entre le réquisitoire définitif du procureur José Thorel en 2011 et tout nouvel acte de poursuite dans la procédure… La prescription étant de trois ans à l’époque en matière de trafic d’influence, favoritisme et corruption, la chambre a considéré que l’action publique était prescrite pour l’ensemble du dossier. “C’est quelque chose qu’on soutient depuis maintenant plus de deux ans. Et c’est quelque chose qui vient d’être confirmé par la chambre de l’instruction”, s’est réjoui l’avocat de Geffry Salmon, Me Vincent Dubois, à l’issue de la décision hier matin.

Enterrement judiciaire

La décision de la chambre de l’instruction n’est pas encore définitive, puisque les parties et surtout le parquet général disposent d’un délai de cinq jours pour former un pourvoi devant la Cour de cassation. Mais sans pourvoi ou en cas de confirmation de cette décision par la juridiction parisienne, l’affaire Haddad-Flosse sera définitivement enterrée.
 
Un véritable échec judiciaire alors même que plusieurs des mis en examen de l’affaire Haddad-Flosse ont reconnu la réalité de pratiques politiquement, moralement et pénalement répréhensibles, dessinant les contours d’un “pacte de corruption”, pour reprendre les termes du procureur José Thorel, organisé durant près de dix ans. Les différents suspects de l’affaire reconnaissant que les sociétés de l’homme d’affaires Hubert Haddad étaient favorisées dans l’attribution des marchés publics du Pays. Et les proches d’Hubert Haddad et de Gaston Flosse confirmant aux juges d’instruction le versement de près de 140 millions de Fcfp d’argent en liquide depuis les sociétés du groupe d’Hubert Haddad vers l’ancien président du Pays, Gaston Flosse.

Vincent Dubois, avocat de Geffry Salmon et Noa Tetuanui : “C’est de la procédure pure”

Haddad-Flosse, l’échec judiciaire
Quelle a été la décision qui vous a été annoncée par la chambre de l’instruction ?
“Il y avait plusieurs affaires évoquées en même temps, mais pour faire simple il y a un dossier principal sur lequel on se bat depuis des années qui est celui de la prescription de l’action publique à l’encontre des mis en examen. On estime en effet que dès lors que la cour d’appel a annulé à la fois l’ordonnance de renvoi et le premier jugement du tribunal correctionnel, entre cette annulation et la reprise des investigations, il s’est écoulé un délai supérieur à trois ans. Ce qui fait que l’action publique est selon nous prescrite. C’est quelque chose qu’on soutient depuis maintenant plus de deux ans. Et c’est quelque chose qui vient d’être confirmé par la chambre de l’instruction, qui considère donc que les faits sont prescris à l’encontre de l’ensemble des mis en examen.”
 
Ça veut dire que l’affaire Haddad-Flosse est terminée ?
“Ça veut dire pour l’instant que cet arrêt est rendu. Ça veut dire que les parties, dont le parquet général, ont cinq jours pour faire un éventuel pourvoi. Donc vous dire qu’aujourd’hui c’est terminé, non. Si dans six jours, il n’y a toujours pas de pourvoi formé, à ce moment là, oui, on pourra considérer que cette affaire est terminée. Et on pense effectivement, nous, que cette affaire est terminée compte-tenu de son ancienneté et compte-tenu de la règle qui est applicable pour tout le monde : dès lors que la prescription est acquise, le dossier doit en rester là.” 
 
Le dernier acte de procédure retenu est donc le réquisitoire définitif du procureur José Thorel en 2011 ?
“C’est de la procédure pure. Il y a des actes qui sont sortis dans le temps, notamment l’ordonnance de renvoi et le premier jugement. Ces actes ont été annulés parce qu’ils étaient irréguliers, donc ils sont réputés n’avoir jamais existés. Donc on est obligés de repartir au dernier acte régulier, qui est maintenant ancien. C’étaient les réquisitions du parquet aux fins de renvoi. Et quand on prend cette date là et qu’on prend ensuite la date la plus rapprochée d’acte de poursuite, il y a un délai supérieur à celui de la prescription.”

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mardi 19 Novembre 2019 à 09:31 | Lu 7343 fois