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Fratricide à Paea : Pas de légitime défense pour l’accusé


Tahiti, le 5 septembre 2020 - ​Le procès d’un quadragénaire, poursuivi pour des coups mortels portés à son frère aîné le 27 mars 2018 à Paea, s’est achevé vendredi soir au terme de deux jours de débats. Alors que son avocat avait plaidé la légitime défense, l’accusé a été condamné à dix ans de prison ferme assortis d’un suivi socio-judiciaire de six ans. Les jurés n’ont donc pas suivi l’avocat général qui avait requis huit ans ferme. 
 
Les jurés de la cour d’assises de Papeete ont estimé vendredi que l’accusé, qui avait mortellement frappé son frère lors d’une bagarre à Paea, ne se trouvait pas en état de légitime défense tel que cela avait été avancé par son avocat. Au terme de deux jours de procès, l’homme a ainsi été condamné à dix ans de prison ferme assortis d’un suivi socio-judiciaire de six ans. Le 27 mars 2018 au domicile familial de Paea, il avait frappé son frère alors que ce dernier était ivre et qu’il le menaçait avec un bâton. 
 
Après une première journée de procès, jeudi, au cours de laquelle avaient été entendus experts et enquêteurs, les débats ont débuté vendredi par l’audition des deux filles de l’accusé qui avaient assisté au drame. Tout comme leur grand-père et leur tante la veille, elles sont revenues sur leurs déclarations initiales en expliquant notamment qu’elles n’avaient pas vu leur oncle frapper leur père alors que ce dernier était à terre. « J’étais choquée et peut-être que j’en ai rajouté », a ainsi expliqué l’une d’entre elles à la cour en rappelant que c’est son père qui avait agressé son oncle. Interrogée sur un éventuel retour de l’accusé au sein du domicile familial, la jeune fille a affirmé qu’elle ne voyait pas d’inconvénients à ce que dernier « rentre chez lui ». Après avoir comparé le drame à un «accident », elle a souligné l’importance du pardon à ses yeux. « Le pardon, cela signifie beaucoup pour moi. Le pardon, c’est cet amour qui persiste malgré les hauts et les bas. » «Aujourd’hui, j’attends juste de la justice qu’elle le libère », a-t-elle ainsi demandé au terme de son audition. Ce changement de version a fait réagir l’avocat de la défense, Me Dubois, qui a rappelé aux deux jeunes filles qu’elles ne devaient pas se sentir « investies d’une mission familiale pour sauver » leur oncle.

​« Alliance objective »

Me Bambridge, constituée pour la défense des enfants du défunt, a souligné lors de sa plaidoirie que ce « drame terrible » s’expliquait par la « consommation excessive d’alcool et de cannabis » des deux frères. Son confrère en défense ayant annoncé qu’il allait poser la question de la légitime défense, l’avocate a pris les devants en réfutant cette thèse. « La légitime défense n’est pas justifiée au regard des personnalités, des faits eux-mêmes et de l’état d’imprégnation alcoolique de la victime. »
 
Isolé dans l’accusation face aux revirements familiaux, l’avocat général a dénoncé lors de ses réquisitions une « alliance objective entre les membres de la famille » visant à « faire libérer » l’accusé. « Ils semblent vouloir se soustraire à la justice des hommes au bénéfice du pardon familial et n’ont qu’un seul mot d’ordre : Le sauver. » Mais, pour le représentant du ministère public, cette stratégie de défense était « inopérante » car en « totale contradiction avec la matérialité des faits et les témoignages ». « Ce revirement général est d’autant plus inadapté que travestir la vérité ne sert pas forcément l’accusé. » Avant de requérir huit ans de prison ferme, l’avocat général a, lui aussi, ajouté que le fait que l’accusé se soit « acharné » sur son frère alors que ce dernier était à terre « excluait de fait » la légitime défense. 

​Altération du discernement

En défense pour l’accusé, Me Dubois s’est tout d’abord attaché à décrire la relation des deux frères qui s’aimaient « malgré tout ». « Nous avons l’impression que tout les opposait, ils s’entendaient comme chien et chat. Mais, paradoxalement, ils ont passé leur vie ensemble et étaient incapables de s’éloigner l’un de l’autre. » L’avocat s’est ensuite attaqué aux auditions des témoins de la scène en affirmant qu’elles étaient toutes contradictoires et que la justice de la cour d’assises se doit de condamner si les jurés sont « sûrs à 100% » de la culpabilité de l’accusé. A force de coups de pieds sur les barres en fer du box de son client et de cris vindicatifs, Me Dubois a voulu démontrer aux jurés dans quelle situation s’était trouvé son client, menacé par son frère ivre avec un bâton alors qu’il rentrait tranquillement du travail. « Ce n’est pas lui qui a agressé en premier, c’est son frère. Ce n’est pas lui qui a insulté en premier, c’est son frère. Enfin, ce n’est pas lui non plus qui a porté le premier coup. » Enfin, l’avocat a demandé aux jurés de retenir l’altération du discernement en cas de condamnation en rappelant que son client était sous tutelle depuis de nombreuses années et qu’il souffrait de troubles psychiques. Notons que ce point n’aura pas pu être clarifié durant le procès puisqu’aucune des trois expertises psychiatriques n’a conclu à la même chose. 
 
Comme il en est d’usage, l’accusé a été invité à s’exprimer une dernière fois avant la clôture des débats. Face aux pleurs de son père et de sa sœur, le quadragénaire s’est de nouveau excusé en évoquant son frère qui lui « manque ». Après en avoir délibéré pendant plus de trois heures, les jurés de la cour d’assises ont finalement condamné l’accusé à dix ans de prison ferme assortis d’un suivi socio-judiciaire de six ans en retenant une atténuation de s responsabilité au moment des faits. L’homme, jugé en état de récidive légale pour avoir déjà été condamné pour des faits de consommation de stupéfiants, encourait trente ans de réclusion criminelle. 

Au terme de ce verdict, Me Dubois a expliqué qu’il ne ferait pas appel : « J’estime qu’il s’agit d’une sage et juste décision qui prend à la fois en compte la gravité des faits, mais également la provocation initiale de la victime ainsi que le contexte familial particulier, et enfin la personnalité de l’accusé dont le trouble mental a été reconnu en partie. Mon client se sent soulagé par cette décision et avait toujours indiqué qu’il porterait la peine qu’il mérite pour le mal et la souffrance imposés à son frère évidemment, mais aussi et plus largement à l’ensemble de sa famille, quand bien même ses proches ont confirmé lui avoir pardonné. »
 

Rédigé par Garance Colbert le Samedi 5 Septembre 2020 à 09:36 | Lu 1806 fois