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En Asie centrale, des voix s'élèvent contre la répression dans le Xinjiang


Bichkek, Kirghizstan | AFP | mardi 17/12/2018 - Les larmes aux yeux, Assyla Alimkoulova se souvient du jour où elle a appris que son mari était interné dans un camp de la province chinoise du Xinjiang, où sévit une répression féroce contre les Ouïghours et d'autres minorités d'Asie centrale.

Depuis un an, la jeune femme affirme n'avoir plus entendu la voix de son époux, un Kirghiz musulman né en Chine. Des photos de ce dernier trônent sur la table de leur cuisine à Bichkek, la capitale du Kirghizstan, un pays d'Asie centrale frontalier du Xinjiang.
Quelques semaines après son dernier appel, Assyla Alimkoulova, 33 ans, dit avoir reçu un coup de téléphone d'une représentante de l'entreprise de son mari. Elle lui a annoncé qu'il "avait été envoyé étudier" dans un camp.
"Je lui ai demandé : qu'est-ce qu'il étudie?", raconte Mme Alimkoulova, obtenant pour seule réponse l'assurance que l'entreprise essayait de le "faire rentrer".
Les autorités chinoises du Xinjiang (nord-ouest) présentent volontiers cette région frontalière comme un carrefour clé de ses "nouvelles routes de la soie", un ensemble de projets d'infrastructures censés relier l'Asie, l'Afrique et l'Europe via notamment l'Asie centrale.
Pour les organisations de défense des droits de l'homme, la réalité est tout autre: le Xinjiang serait devenu un Etat policier où près d'un million d'Ouïghours et d'autres membres de minorités musulmanes (Kirghiz, Kazakhs) seraient détenus dans un gigantesque réseau de camps de rééducation, au nom de la lutte contre le séparatisme et l'islam radical.
La Chine se défend de toute répression mais en un an, le sort du million et demi de Kazakhs du Xinjiang est devenu un sujet brûlant dans le plus grand pays de l'Asie centrale. Au Kirghizstan, les préoccupations autour des Kirghiz chinois, moins nombreux, n'ont émergé que récemment après des témoignages sur l'arrestation du frère d'un député.  
 

 - "Comité de protection" -

 
En novembre, Assyla Alimkoulova a participé à la création d'un comité de protection des Kirghiz vivant en Chine. L'organisation demande au gouvernement de Bichkek de faire pression sur Pékin, un important soutien économique de ce pays pauvre et montagneux.
Selon Seiyitbek Issa Ououlu, un membre du comité, au moins six de ses proches pourraient être détenus. "Ce sont des gens ordinaires: des bergers, des petits commerçants. Je n'arrive pas à croire ce qui leur arrive", affirme-t-il.
Assyla Alimkoulova et son mari Chairbek Doulotkhan symbolisent à eux seuls les liens entre le Xinjiang et l'Asie centrale. Arrivé au Kirghizstan comme traducteur en 2005, M. Doulotkhan était devenu en 2011 le directeur exécutif d'une mine de charbon exploitée par la Chine dans le sud du pays.
Fin 2016, après la prise de fonction du nouveau chef du Parti communiste chinois (PCC) au Xinjiang, M. Doulotkhan est rappelé au siège de son entreprise. Et en octobre 2017, son téléphone cesse d'émettre.
"Notre fils a 12 ans. A l'école, on lui demande où est passé son père", se désole Assyla Alimkoulova.
Kirghiz et Kazakhs étaient jusqu'à présent relativement épargnés par la répression chinoise visant officiellement à combattre l'islamisme radical, alors que des attentats attribués à des Ouïghours ont fait des centaines de morts ces dernières années en Chine.
Le nouveau chef du PCC, Chen Quanguo, est considéré comme l'instigateur de cette nouvelle politique carcérale qui fait l'objet d'une condamnation grandissante à l'étranger.
Un député kirghiz d'origine chinoise a confirmé à l'AFP, par la voix de son assistant, que son frère avait été arrêté en Chine, mais refuse d'en parler publiquement.
Un porte-parole du ministère des Affaires étrangères du Xinjiang a dit lui ne pas avoir d'information sur cette arrestation, évoquant des "rumeurs". Des responsables de la diplomatie chinoise ont eux-aussi affirmé à l'AFP ne rien savoir sur l'arrestation de Kirghiz. 
De son côté, le ministère kirghiz des Affaires étrangères n'a pas souhaiter commenter la question, précisant seulement que le Xinjiang était un sujet "sensible". 
 

 - Des centres "éducatifs" -

 
La Chine a longtemps nié l'existence de camps d'internement puis, après la publication d'images satellites et la fuite de documents officiels sur internet, a parlé de "centres éducatifs" enseignant le chinois, le sport ou la danse folklorique.
Une enquête de l'AFP a révélé en octobre que ces centres, au nombre de 181 implantés au Xinjiang depuis 2014, achetaient notamment des matraques, des menottes ou des pulvérisateurs de gaz lacrymogène.
Les détails sur les conditions d'internement viennent principalement de témoignages d'anciens détenus. Orynbek Koksebek, un Kazakh né en Chine, a été libéré d'une prison du Xinjiang en avril, cinq mois après son arrestation. 
Décrivant à l'AFP des cours d'éducation politiques et des cas d'humiliation, il craint que cette détention ait profondément affecté sa santé.
"J'ai commencé à perdre la mémoire. J'oublie les noms des gens, des rues. [...] Et plus ça avance, plus je sens que les gens n'ont plus confiance en moi".

le Mardi 18 Décembre 2018 à 05:21 | Lu 373 fois