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"Edouard Fritch a gagné son pari" analyse Sémir Al Wardi


PAPEETE, 27 mai 2019 - Pour le politologue Sémir Al Wardi les résultats des Européennes 2019 contribuent à renforcer la crédibilité d'Edouard Fritch auprès du gouvernement à Paris et placent la plupart des maires encartés au Tapura Huiraatira "en bonne position pour les municipales de l’année prochaine".

Comment expliquez-vous la forte abstention dont pâtissent traditionnellement les Européennes ?
Il y a dans toutes les démocraties du monde une recrudescence de l’abstention à partir de la fin des années 90. On observe une crise de la citoyenneté qui se manifeste par un taux d’abstention qui ne cesse de croître, l’apparition de partis antisystèmes, et des mouvements sociaux à répétition.
La classe politique est perçue de manière négative. En Europe entre 60 et 70 % des interrogés considèrent que les hommes politiques sont corrompus, ne s’occupent pas assez des citoyens. Et depuis les années 2010, ce taux d’abstention diminue au profit des partis antisystèmes. (…)
Et il ne faut pas croire que nous sommes en-dehors de ce qui arrive dans les démocraties occidentales. Cette méfiance est déterminante. (…)
En Polynésie, on observe une forte abstention dans la zone urbaine, pour les mêmes raisons ; mais vient se greffer ici une dimension locale très particulière. Il s’agit, d’une part, d’un vote affectif et, d’autre part, d'un comportement lié à la méconnaissance de la vie politique en métropole et, encore plus, au niveau européen. De ce fait, les électeurs votent en majorité dans toutes les élections nationales, en fonction des recommandations des hommes politiques locaux. Mais cette recommandation ne suffit pas. Il faut aussi qu’un parti politique local apporte son soutien à une liste. Et là, on le voit : Macron fait 14,7 % quand il est tout seul au premier tour de la Présidentielle. Il est presque à 60 % lorsque le parti d’Edouard Fritch se met à le soutenir (2017, NDLR). Il est évident que le surplus est apporté par ce soutien. Pour les Européennes, la liste du Rassemblement National fait 16,5 %. Lorsque Gaston Flosse avait soutenu Marine Le Pen à la Présidentielle, elle était monté à quasiment 40 %. La différence, elle est là : on est toujours à un niveau local. De fait, les élections qui passionnent, ici, sont les communales, qui tournent entre 60 et 70 % de taux de participation, et le Territoriales, qui mobilisent autour de 70 % de l'électorat. Plus le centre d’intérêt local s’éloigne, plus la participation diminue.
 
C'est ce qui explique le sursaut de participation de 7 points que l'on observe cette année ?
Oui, c’est parce que le Tapura s’est lancé dans la campagne, et a placé Tearii Alpha dans la liste. Ce surplus vient des militants du Tapura. Je ne pense pas que l’enjeu pour Edouard Fritch était de se compter, puisqu’il l’a déjà fait l’année dernière lors des Territoriales. Il s’agissait plutôt à mon avis d’adresser la démonstration à Paris que la Polynésie vote à majorité pour En Marche. Le message est de dire à Paris que si quelqu’un est bien en mesure d’aider En Marche localement, c’est bien Edouard Fritch, avec le Tapura. Edouard Fritch a gagné son pari. (…) Et n’oublions que si le choix a été de se présenter sur la liste En Marche, contrairement au désir des parlementaires polynésiens, c’est parce que c’est En Marche qui détient les ressources publiques en France. L’idée est de soutenir le parti au pouvoir. Nous sommes ici dans une logique politique très ancrée dans la culture politique polynésienne.
 
Que nous apprennent les résultats de samedi dans la perspective des municipales ?
Ça c’est très intéressant. L’année dernière au Territoriales, le Tapura avait mis 19 maires sur sa liste. Contrairement au Tahoera’a et au Tavini, qui disposent de comités de quartier dans tout l’espace polynésien, le Tapura a choisi de prendre appui sur les maires et de leur permettre ainsi de se compter dans la perspective des municipales. On a vu l’année dernière, par rapport à leur score, dans quelle position se trouvaient les maires, selon qu’ils avaient soutenu le Tapura ou le Tahoera’a.
Là, avec les Européennes, ceux des maires qui avaient soutenu le Tapura l’année dernière et qui se trouvent aujourd’hui confirmés dans leur recommandation pour En Marche, se trouvent en bonne position pour les municipales de l’année prochaine.
Un maire ne rentre pas dans ces deux catégories, c’est Jacquie Graffe. Je pense qu’il a voulu démontrer qu’il tient sa commune. Dans les négociations à venir il sera en bonne position. Ça, c’est une force.
Maintenant, il ne faut pas aller trop loin dans les déductions. Le taux de participation compte. Mais enfin, pour un maire qui a réussi à mobiliser autour de ses recommandations, c’est un très bon signe.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Lundi 27 Mai 2019 à 17:01 | Lu 1464 fois