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Dessinateurs de presse en Birmanie, un nouveau champ d'expression


Rangoun, Birmanie | AFP | vendredi 08/01/2016 - Un parlementaire bedonnant pris à parti par une famille pauvre... en quelques coups de crayon, le dessinateur birman Maung Maung Aung réalise son dessin du jour, heureux de pouvoir enfin vivre de son art et dénoncer les inégalités dans son pays.

"Sans liberté, pas de dessin... Plus il y a de liberté, plus les dessins peuvent dire de choses et être créatifs", estime-t-il.

Il y a peu de temps encore, ce genre de dessins n'avait aucune chance d'être publié en Birmanie, en raison de la censure imposée par les militaires, au pouvoir pendant des décennies. Mais depuis l'ouverture de l'ex-Etat paria en 2011, les barrières tombent les unes après les autres.

Et beaucoup espèrent que la liberté sera finalement pleine et entière une fois que le parti de l'opposante Aung San Suu Kyi, qui a remporté haut la main les législatives de novembre, prendra effectivement les rênes du pouvoir en février ou mars.

Pour fuir la censure, l'emprisonnement et la pauvreté, Maung Maung Aung a dû s'exiler aux Etats-Unis, où il a travaillé dans un studio d'animation en Floride.

Comme beaucoup de militants et d'artistes, il est revenu en Birmanie en 2012, peu de temps après l'instauration d'un gouvernement semi-civil.

Et en novembre 2015, pour les premières élections libres depuis 25 ans, les caricaturistes politiques et leurs dessins publiés dans la presse ou sur les réseaux sociaux ont été sur le devant de la scène.

- Caricaturer l'icône Suu Kyi ? -

Ces derniers se trouvent maintenant face à un défi de taille, avec l'arrivée au pouvoir d'Aung San Suu Kyi: Prix Nobel de la Paix et figure de proue de la dissidence birmane, elle a incarné l'espoir démocratique de tout un pays et jouit aujourd'hui d'un statut d'icône.

Pour Maung Maung Aung, c'est très clair: "Les caricaturistes ne doivent pas être partiaux, ils doivent souligner les défauts de tout gouvernement".

Aung San Suu Kyi ne peut pas devenir présidente, la Constitution l'en empêchant - car la nouvelle dirigeante a des enfants de nationalité étrangère. Mais l'opposante a annoncé qu'elle dirigerait de facto le nouveau gouvernement et serait "au-dessus" du président.

La tâche qui l'attend est complexe, tant les défis auquel le pays fait face sont immenses: plusieurs régions frontalières du pays sont en proie à des guerres civiles et des pans entiers du secteur public, comme l'éducation et la santé, sont en lambeaux.

Elle devra de plus composer avec des militaires encore extrêmement puissants, puisqu'ils conservent un quart des sièges au Parlement et contrôlent les ministères clés comme la Défense.

"Je pense que les caricaturistes qui la croquent devront pointer du doigt les problèmes", estime Khin Zaw Win, spécialiste de la société birmane, qui évoque notamment la question des relations avec la Chine et le respect de l'Etat de droit.

Aung San Suu Kyi "est un sujet sacré jusqu'ici, mais cela va changer... Elle ne doit pas être épargnée", ajoute-t-il.

Ce qui pourrait être plus facile à dire qu'à faire. Phoe Kyaw, dessinateur originaire de la circonscription d'Aung San Suu Kyi, dit "croire" en celle-ci. Il est persuadé qu'avec le nouveau gouvernement, la critique sera libre - "elle comprendra", et ajoute d'emblée: Aung San Suu Kyi "est notre leader national, donc je ne vais pas faire une bande dessinée qui serait insultante pour elle".

- Intouchable armée -

Le public semble en tout cas déjà conquis. Une récente exposition à Rangoun de dessins traitant de questions très variées - des élections à la question controversée des mines de cuivre détenues par des groupes chinois - a attiré les foules.

"Les dessins peuvent stimuler le débat et envoyer un message", estime Dominic Zin Aung, employé de banque de 67 ans.

Ce festival de bandes dessinées était organisé en l'honneur de Ba Gyan, considéré comme le père de la caricature dans le pays: il a commencé sa carrière en 1915 en se moquant des autorités coloniales britanniques et, plus tard, du premier gouvernement post-indépendance.

Mais cette époque de liberté a très vite été étouffée avec la prise du pouvoir par les militaires en 1962.

Les libertés ont progressé ces dernières années en Birmanie, mais certains sujets restent tabous, comme la religion et l'armée.

Des jeunes ont été récemment arrêtés pour avoir mis en ligne sur Facebook des commentaires sur l'uniforme de l'armée.

Et le quotidien Myanmar Times a dû en mars s'excuser après la publication d'une bande dessinée tournant en dérision les combats qui opposent l'armée et des groupes rebelles dans le nord.

Maung Maung Aung espère l'amorce d'une nouvelle ère: "Si nous pouvions avoir une véritable démocratie, alors notre liberté serait assurée".

Rédigé par () le Mardi 12 Janvier 2016 à 06:32 | Lu 272 fois