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Dengue, zika, fièvre jaune : les moustiques s'attaquent aux moustiques


Paris, France | AFP | mercredi 26/08/2020 - L'heure de la guerre des moustiques a sonné: de l'élevage industriel à l'insecte génétiquement modifié en laboratoire, plusieurs initiatives tentent d'utiliser ces suceurs de sang eux-mêmes pour enrayer la propagation des virus qu'ils transmettent, comme la dengue.

La start-up française InnovaFeed a ainsi annoncé mercredi qu'elle allait concevoir et "co-construire" prochainement une usine destinée à élever des moustiques à l'échelon industriel, en partenariat avec le World Mosquito Program (WMP), un programme de recherche australien à but non-lucratif.

La jeune pousse française, spécialisée jusqu'ici dans la production de protéines d'insectes pour nourrir les animaux d'élevage, va donc apporter son expérience dans un tout nouveau champ d'application.

La dengue se traduit par de fortes fièvres, des douleurs articulaires et de la fatigue. Dans un faible pourcentage de cas, elle peut être mortelle si elle prend une forme hémorragique ou se porte sur des organes vitaux.

Le nombre de cas de dengue signalés à l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a été multiplié par huit au cours des deux dernières décennies, passant de plus de 500.000 cas en 2000 à plus de 2,4 millions en 2010 et 4,2 millions en 2019. Les décès signalés entre 2000 et 2015 sont passés de 960 à 4.032.

Le World Mosquito Program a mis au point il y a près de dix ans un procédé qui permet d'inoculer dans les femelles moustiques une bactérie présente à l'état naturel dans "60% des insectes à travers le monde" et de "supprimer la transmission de ces virus (dengue, notamment) à l'être humain", a déclaré à l'AFP Bruno Col, porte-parole du World Mosquito Program.

Ce programme de recherche collaborative, financé notamment par la Fondation Bill and Melinda Gates, a déjà procédé à plusieurs lâchers de moustiques porteurs de cette bactérie appelée Wolbachia, d'abord en Australie, puis au Brésil, en Nouvelle-Calédonie ou encore en Indonésie.

Inoculée au moustique, cette bactérie "provoque un raccourcissement de la durée de vie de la femelle moustique et réduit le risque que le moustique soit infecté par le virus s'il pique une personne malade et empêche la transmision par le moustique", a expliqué à l'AFP Anna-Bella Failloux, entomologiste et directrice de recherche à l'Institut Pasteur.

Cette bactérie a un "effet d'inhibition de la transmision d'un virus" : "Bactérie et virus colonisent le même environnement qui est la cellule" et se retrouvent "en compétition pour les ressources cellulaires pour assurer leur multiplication", a-t-elle ajouté.

Par ailleurs, cette stratégie limite aussi la population de moustiques, l'accouplement d'une femelle porteuse de la bactérie avec un mâle sauvage donnant une descendance qui n'est pas viable, a-t-elle précisé.

En Indonésie, le WMP a mené une étude d'impact sur une population d'environ 300.000 personnes: "Au bout de trois ans, nous pouvons démontrer scientifiquement que nous avons réduit l'incidence de dengue dans les régions où nous avons introduit la Wolbachia de 77%", a déclaré M. Col.

 La baie des moustiques

Mais face à la prolifération des moustiques et à la propagation toujours plus rapide des maladies transmises par ces derniers à l'espèce humaine - dengue, mais également Zika, Chikungunya et fièvre jaune-, le programme souhaite passer à la vitesse supérieure.

"L'idée, c'est de pouvoir aider des villes de plus grande ampleur, de plusieurs millions de personnes", a expliqué à l'AFP Aude Guo, cofondatrice d'InnovaFeed.

Cette annonce intervient quelques jours à peine après celle d'une autre opération, en Floride (Etats-Unis) cette fois où la dengue sévit depuis 2013 : la société de biotechnologie Oxitec, basée au Royaume-Uni mais financée par des capitaux américains, a reçu le feu vert de l'agence américaine de protection de l'environnement pour lâcher ses moustiques modifiés en laboratoire pour "supprimer les populations sauvages locales de moustiques qui propagent des maladies", a indiqué Oxitec à l'AFP.

Porteurs d'un "gène autolimitant", ces moustiques s'accouplent avec des femelles sauvages, et "leur progéniture hérite d'une copie de ce gène, qui empêche les femelles de survivre jusqu'à l'âge adulte" et donc de se reproduire, limitant de fait la population de ravageurs sauvages, a indiqué Oxitec.

Par ailleurs, "la progéniture mâle survit, portant une copie du gène auto-limitant" et peut donc transmettre à son tour ce fameux gène autolimitant "à la moitié de leur progéniture, dont les femelles porteuses du gène ne peuvent survivre", a ajouté Oxitec, selon qui "la présence du gène autolimitant diminue ainsi avec le temps".

Jusqu'à 750 millions de ces moustiques mâles génétiquement modifiés pourraient ainsi mener une bataille sanglante sous le ciel bleu de Floride.

le Mercredi 26 Août 2020 à 08:56 | Lu 1274 fois