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Déconnecter: pas si facile pour certains salariés


Déconnecter: pas si facile pour certains salariés
PARIS, 26 avril 2014 (AFP) - Eteindre les lumières pour forcer les salariés à quitter le bureau, bloquer l'accès aux mails le soir: l'idée peut surprendre, mais certains ne parviennent plus à décrocher, une difficulté amplifiée par les nouvelles technologies et qui commence doucement à être prise en compte.

Merveilles informatiques, smartphones et autres outils portables peuvent vite devenir un fil à la patte pour les salariés, brouiller les lignes entre vie privée et vie professionnelle. Récemment, et pour la première fois, un accord de branche a inscrit "un droit à la déconnexion" pour certains d'entre eux.

Cet accord dans le secteur du numérique (900.000 personnes) évoque noir sur blanc l'obligation de décrocher des outils informatique pour respecter la durée légale de repos minimale (11 heures consécutives quotidiennes et 35 heures hebdomadaires).

Il concerne les salariés en forfait-jour, dispositif qui permet de rémunérer principalement des cadres sans se baser sur leurs horaires hebdomadaires.

Pour Bernard Salengro (CFE-CGC), le texte, qui a fait jaser les Anglo-Saxons, est "tout à fait remarquable" et permet d'ouvrir le débat "mais il n'est pas sûr du tout qu'il soit appliqué".

"Cela correspond à un vrai besoin parce que les gens sont de plus en plus exposés avec les smartphones", dit le représentant du syndicat des cadres. Mais il relève qu'aujourd'hui, "il n'y a pas 1% des entreprises qui déconnectent les serveurs informatiques à partir de 20 heures. Or l'élastique a ses limites".

- Extinction des feux à 22h -

Selon une enquête du Credoc de novembre 2013, les trois quarts des cadres se connectent pour des raisons professionnelles le soir, le week-end, ou en vacances et, pour près de la moitié d'entre eux, cela empiète sur leur vie privée.

Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit social à Paris I - Sorbonne, relève que la problématique de la déconnexion est récente et remonte à la création du forfait-jour, régime introduit par les lois Aubry sur les 35 heures en 2000.

"L'idée du forfait-jour, c'est de ne plus compter les heures", explique le juriste. "Le législateur voulait un système assez flexible, mais inspecteurs du travail et juges reviennent par la fenêtre avec le contrôle des 11 heures minimum de repos quotidien", note-t-il. Il évoque le cas d'entreprises qui éteignent les lumières pour pousser les salariés à quitter les lieux.

Un cadre dans un grand cabinet de conseil confirme à l'AFP que "les lumières s'éteignent automatiquement à 22 heures".

À cette heure-là, il est fréquent de trouver encore quelques cadres qui n'ont plus que la torche de leur téléphone portable, ou les éclairages de secours pour s'éclairer, dit-il, une situation "limite dangereuse".

Son cabinet s'est fait coincer plusieurs fois par l'inspection du travail, qui avait comparé les heures de sortie et d'entrée et le repos légal de 11 heures, et a mis en place, il y a près de deux ans, "un blocage automatique de la carte d'accès".

Pour entrer, il faut se signaler à l'accueil et obtenir l'autorisation d'un supérieur, ce qui peut être handicapant pour les étourdis: "très dur de remonter dans la tour pour récupérer son portable après 22h".

Francis Jauréguiberry, chercheur qui travaille sur la déconnexion, relève qu'au final, "on parle plus de déconnexion que l'on se déconnecte", et signale que "la possibilité même de se déconnecter, est très inégalitairement distribuée au sein des entreprises".

Cela crée des sortes de "nouveaux pauvres des télécommunications" et des "nouveaux riches" qui peuvent décrocher, dit-il.

Pour Thierry Venin, chercheur spécialisé dans les nouvelles technologies, la situation ne cesse de se dégrader, et "il y a forcément des régulations collectives qui vont se mettre en place".

Selon M. Ray, le premier accord mentionnant un droit à la déconnexion en France a été signé chez Areva en 2011. Le juriste évoque également un accord récent chez le groupe de protection sociale Réunica qui prévoit un blocage des mails de 20h à 7h et le week-end.

Il rappelle toutefois que les salariés, quoi qu'il arrive, mettent du temps à sortir de la sphère professionnelle: "ce n'est pas le vendredi soir, pas le samedi matin. Même si vous êtes déconnectés physiquement, intellectuellement, c'est le samedi midi qu'un travailleur du savoir déconnecte vraiment".

Rédigé par () le Samedi 26 Avril 2014 à 06:21 | Lu 809 fois