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Crash d'Air Moorea : la décision d'appel décryptée


Crash d'Air Moorea : la décision d'appel décryptée
Tahiti, le 12 février 2020 - Plus de deux semaines après les condamnations prononcées par la cour d’appel dans l’affaire du crash d’Air Moorea, Tahiti Infos s’est procuré la décision de la cour d’appel et détaille les raisons précises des condamnations. 
 
 Le 9 août 2007, 20 personnes perdaient la vie dans le crash d’un Twin Otter de la compagnie Air Moorea quelques instants après avoir décollé de l’aéroport de l’île sœur. L’enquête menée après le drame avait rapidement permis d’établir de nombreux manquements et négligences au sein de la compagnie qui avaient conduit au renvoi de huit prévenus devant le tribunal correctionnel dont le directeur général de la compagnie à l’époque des faits, Freddy Chanseau. A l’issue de ce premier procès en janvier 2019, sept de ces huit prévenus avaient été déclarés coupables d’homicide involontaire. Le tribunal correctionnel avait retenu la rupture du câble de gouverne de profondeur en vol comme “cause certaine et directe de l’accident”.
 
Lors du procès en appel qui a eu lieu en novembre dernier, les débats ont de nouveau tourné autour des différentes hypothèses de la cause du crash parmi lesquelles une erreur de pilotage, un problème de santé du pilote en vol ou la rupture du câble de gouverne de profondeur en vol. Au terme de ce procès, la cour d’appel a cette fois relaxé trois des prévenus en condamnant les cinq autres à, pour l’un d’entre eux, une peine plus lourde qu’en première instance.
 
Dans son arrêt rendu le 23 janvier, la cour d’appel, a, comme le tribunal correctionnel, écarté toutes les hypothèses pour retenir la rupture du câble comme “cause certaine et directe de l’accident”.
 
  • Les hypothèses éliminées : Pas de malaise ni d’erreur du pilote 
La cour d’appel a tout d’abord rejeté l’hypothèse d’une combustion en vol en s’appuyant sur les “analyses conduites en laboratoire” sur un fragment brûlé de la carlingue découvert sur le rivage de Moorea. Elle a aussi éliminé la thèse d’une erreur de pilotage résultant de “la coupure accidentelle du moteur droit par l’interruption de l’arrivée de carburant” puisque “l’exploitation de l’enregistreur de vol” n’a pas démontré l’arrêt d’un moteur, mais seulement une “divergence dans la vitesse de rotation d’hélice”.
 
Les thèses d’un malaise ou de la mort subite du pilote, souvent avancées par les avocats de la défense lors des deux procès ont, elles aussi, été écartées. La cour d’appel a estimé que Michel Santurenne n’avait pu faire un malaise car son analyse sanguine avait conclu à un “équilibre glycémique satisfaisant” et qu’il avait surtout “poussé un juron” quelques secondes à peine avant l’impact.
 
  • La rupture du câble, “cause” du crash
 
Tel que le rappelle la cour d’appel dans son arrêt, il a été établi que le câble à cabrer du Twin Otter présentait une “usure évaluée à 54% avant l’accident” et que les constatations “portent sur les capacités de résistance de ce câble eu égard aux sollicitations” qui lui étaient “infligées en vol”. Si les prévenus ont affirmé pour leur défense que ce câble avait cédé lors des opérations de relevage de l’épave, la cour, pour statuer, s’est basée sur différentes expertises dont celle du Bureau d’enquêtes et d’analyses qui avait “déduit” que “la rupture du câble à cabrer de la commande de profondeur à faible hauteur, au moment de la rentrée des volets” était “la cause de l’accident en lien avec la perte de contrôle en tangage de l’avion”. L’experte de la Cour de cassation, Claude Osterlinck, après avoir fait des essais en vol, avait de plus expliqué dans son rapport qu’au regard de la hauteur à laquelle était l’avion, “une tentative de rattrapage était nécessairement vouée à l’échec”.
 
  • Coupables d’homicide involontaire
 
La cour d’appel a confirmé les peines prononcées en première instance à l’encontre de Freddy Chanseau, directeur général de la compagnie à l’époque des faits, Jacques Gobin, directeur technique, Stéphane Loisel, responsable du bureau d’études et de documentation, et de la compagnie Air Moorea représentée par Manate Vivish, car elle a estimé que ces quatre prévenus s’étaient tous, par des négligences et des manquements professionnels, rendus coupable d’homicide involontaire
 
Elle a, en revanche, relaxé Jean-Pierre Tinomano et Didier Quemeneur, tous deux condamnés en première instance à 24 mois de prison avec sursis.
 
  • Pourquoi deux relaxes supplémentaires ?
 
Jean-Pierre Tinomano, qui était chef mécanicien de l’atelier et responsable de la production de l’organisme d’entretien et de la planification à l’époque des faits, devait, en “sa qualité de responsable de production”, respecter  “le programme d’entretien spécifique à chaque type de machine”. Mais, tel que le relève la cour dans son arrêt, Jean-Pierre Tinomano n’avait pas, pour autant, “la compétence de relever les erreurs qui se trouvaient dans le programme rédigé par Stéphane Loisel et validé par Jacques Gobin.”
 
Concernant Didier Quemeneur, qui était contrôleur de production et de qualité au sein de la compagnie, la cour a affirmé que “s’il avait effectivement préparé des dossiers de visite et signé des bons de commande”, notamment concernant le Twin Otter alors qu’il n’était “pas habilité à le faire”, ces faits étaient “sans lien avec la rupture du câble à l’origine de l’accident.”
 
Dans son arrêt, la cour a d’ailleurs expliqué que, “si comme dans le cas de Jean-Pierre Tinomano”, il avait pu “être relevé des erreurs” à l’encontre de Didier Quemeneur,  il n’en reste pas moins que ce dernier “travaillait dans une ambiance délétère dans laquelle l’absence totale de rigueur” avait été relevée, où “la désinvolture avait été érigée en mode de fonctionnement” et que Jean-Pierre Tinomano et Didier Quemeneur n’étaient que des “exécutants”.
 
  • Pourquoi une aggravation de la peine pour Andriamanonjsua Ratsimbazafy ?
 
L’homme, qui était représentant du GSAC en Polynésie française à l’époque des faits, a vu sa peine alourdie en appel. Condamné à 36 mois de prison dont 24 avec sursis en première instance, il a cette fois écopé de 36 mois dont 18 avec sursis et devra entre autres, payer la somme astronomique de 408 millions de Fcfp à la CPS ainsi que plusieurs millions aux familles des victimes. La cour d’appel a estimé que “son expérience professionnelle aurait dû le conduire à la plus grande vigilance s’agissant d’un appareil dont il ne pouvait ignorer, comme tout professionnel de l’aéronautique, qu’il avait multiplié les dysfonctionnements et, en particulier, en raison des câbles de gouverne”. Ces lacunes ont “abouti à supprimer purement et simplement tout remplacement” de ce câble durant la période antérieure à l’accident, “à l’encontre des recommandations élémentaires”.
 
 

Rédigé par Garance Colbert le Mercredi 12 Février 2020 à 16:22 | Lu 3747 fois