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Concessions d'aménagement : l'astuce du Pays pour relancer le BTP


Concessions d'aménagement : l'astuce du Pays pour relancer le BTP
Partenariat Public-privé : le principe est annoncé comme un booster de relance pour le BTP à moindre frais pour le Pays. Il fait l’objet d’un projet de loi porté par le vice-président Nuihau Laurey, ministre de l’Economie. Le texte est soumis mardi 27 août à l’avis de l’Assemblée de Polynésie française.
Enthousiaste à l’idée de déléguer le financement, l’exploitation et la maintenance "d’opérations d’intérêt général", "d’opérations d’aménagement", "de logements sociaux", le Pays ne s’expose-t-il pas au risque d’avoir à faire face à un surcoût maquillé de l’endettement public ? Les contrats de partenariats public-privé (PPP) ont court depuis 2004 en métropole. On leur reproche de permettre la dissimulation de l’endettement réel des collectivités publiques. En avril 2012, François Hollande était allé jusqu’à dénoncer un "dispositif favorisant la vie à crédit et le surendettement" des collectivités et "un système qui a dérapé".
Version polynésienne, le vocable PPP est finalement peu approprié. "Il s’agit plutôt d’une boîte à outils", compare Antonino Troianiello, enseignant de droit des contrats publics en Master à l’UPF et l’un des rédacteurs du projet de loi du Pays "portant mesures d'urgence en faveur de la relance du bâtiment et des travaux publics".
Pour l’heure, la commande publique se fait exclusivement par le biais du marché public ou de la délégation de service public.
Le projet de loi du Pays communément présenté pour permettre les "partenariats public-privé" propose en réalité d’introduire et de préciser trois nouveaux dispositifs : la concession d’aménagement ; le bail emphytéotique administratif ; et le crédit-bail sur le domaine public. "Le seul vrai risque que court le Pays est de ne pas convaincre les partenaires privés, compte tenu de la situation générale", résume Antonino Troianiello. Interview :

Quel est l'esprit du projet de loi du Pays sur le partenariat public-privé annoncé par le gouvernement ?

D’abord c’est le premier texte qui définit précisément la notion d’aménagement sur le territoire. Ensuite ce projet a l’immense mérite de permettre une relance des "grands travaux" sans le moindre financement public : pas de risque pour le contribuable. Il prévoit des garanties maximales en matière de respect des principes de la commande publique avec un niveau d’exigence identique à ce qui se fait en métropole.

Certains craignent d'assister en Polynésie aux mêmes dérives qui se sont produites en métropole.

Ces craintes résultent d’un malentendu terminologique lié au fait qu’on a beaucoup parlé de "partenariat public-privé". Or, l’outil que le gouvernement veut mettre en place n’a absolument rien à voir avec les contrats de PPP tant controversés : les PPP métropolitains reposent sur le financement par des investisseurs privés de projets publics moyennant rémunération. Ces contrats dissimulent l’endettement public dans le sens où ce sont les investisseurs privés qui s’endettent à la place des collectivités publiques, d’où un surcoût important pour celles-ci car la rémunération des investisseurs est sensiblement plus élevée qu’un recours direct à l’emprunt.

Qu'est-ce qui caractérise le dispositif du projet de loi du Pays voulu par le gouvernement ?

Le nom du principal outil que le gouvernement veut mettre en place est "la concession d’aménagement". Ce contrat est certes fondé sur une collaboration entre le public et le privé, mais n’a strictement rien à voir avec les PPP. Dans la concession d’aménagement il n’y a ni endettement public ni rémunération de l’investissement privé par la collectivité publique.
L’intérêt de la concession d’aménagement est qu’elle permet d’actionner le "levier" des ressources foncières du Pays pour relancer du secteur du bâtiment et des travaux publics.
Bien qu’il ne soit pas propriétaire, l’aménageur dispose de "droits réels" sur le foncier qui lui est transféré pour une longue durée. Il peut souscrire une hypothèque. Et celle-ci permet de garantir l’emprunt bancaire assurant le financement de l’opération d’aménagement. Les banques deviennent ainsi partenaires du contrat.
L’engagement de la collectivité publique se limite à de la mise à disposition de foncier. Un engagement financier de sa part est possible mais il n’est nullement nécessaire. Il n’existe aucun risque d’endettement. Fondamentalement c’est l’aménageur qui prend le risque d’investir sur les assises foncières qui lui sont durablement transférées mais dont la collectivité reste propriétaire.


Quel est l'intérêt de l'investisseur privé, dans ce contexte ?

De ne pas avoir à acquérir les assises foncières. L’aménageur peut en disposer pour une durée allant jusqu’à 99 ans, les hypothéquer, lever les financements pour la réalisation des aménagements prévus dans le contrat : hôtels, bureaux, parcs, aires de jeux, etc.
Plutôt que de laisser de grandes assises foncières à l’abandon, la collectivité publique s’en sert pour favoriser le développement économique. Cela permet de créer des emplois, de relancer le secteur du bâtiment et des travaux publics tout en faisant de l’aménagement. Au plan national, les concessions d’aménagement sont utilisées depuis des décennies. L’instrument est donc parfaitement rôdé et les résultats sont concluants. Cet outil est très apprécié car il épargne les finances publiques. La plupart des grandes villes métropolitaines l’ont utilisé pour réaménager leur centre-ville.


N’est-ce pas risqué de confier autant de foncier domanial à des opérateurs privés ?

Au contraire, c’est la garantie que ces terrains seront valorisés et qu’ils ne seront pas laissés à l’abandon ou squattés : comme son nom l’indique, la convention porte sur une opération d’aménagement. Cela signifie que les projets privés vont devoir mettre en œuvre un projet voulu par le gouvernement.
Par exemple, dans le cadre d’un projet a vocation touristique, le gouvernement peut imposer la mise en valeur d’un espace naturel, la création d’un centre culturel, d’un musée, d’un parc de loisir et des équipements collectifs qu’ils souhaite mettre en place. En bref, la concession d’aménagement permet de mobiliser l’investissement privé dans un cadre assurant sa convergence avec les exigences de la politique d’aménagement.
Le Pays reste propriétaire de ses terres. En cas de défaillance de l’aménageur, la banque titulaire de l’hypothèque, en accord avec la collectivité publique, trouvera un autre aménageur.
Je ne voit qu’un risque : une opération d’aménagement mal conçue qui ne donnerait pas les résultats escomptés pour le Pays et/ou de rentabilité pour l’investisseur.


Le contexte économique actuel est-il favorable à un tel aménagement législatif ?

Compte tenu de l’ampleur des investissements, les partenaires privés ne s’engageront que s’ils disposent d’une visibilité maximale sur l’environnement économique global. La réussite d’une opération immobilière en centre-ville comme Ainapare, dépend essentiellement de l’appréciation par les investisseurs du potentiel de l’immobilier en centre-ville. Dans le cas d’un complexe touristique comme le Mahana Beach, tout va dépendre de l’idée que les investisseurs internationaux se font du potentiel touristique de la Polynésie française.
Le seul vrai risque que court le Pays est de ne pas convaincre les partenaires privés, compte tenu de la situation générale. La mise en confiance des investisseurs, c’est la clé de du succès dans ce type d’opérations.
Le contrat est un outil nécessaire mais pas suffisant. Si les investisseurs ne sont pas confiants, aucune sorte d’outil ne pourra rien y changer. Et pour donner confiance aux investisseurs les conditions sont les mêmes partout : stabilité, sécurité juridique, fiscalité raisonnable, droit social souple, services publics fiables, adhésion de la population, etc. J’ajouterais que s’agissant d’un projet d’investissement touristique, on voit mal comment des investisseurs s’engageraient sans disposer de solides garanties sur la fiabilité et le coût du transport aérien.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Lundi 26 Août 2013 à 09:21 | Lu 1696 fois