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Commission d’enquête Géros : Le rapporteur public demande son annulation


Tahiti, le 2 décembre 2025 – La commission d’enquête voulue par Antony Géros pour estimer la “valeur” de la Polynésie française pourrait ne jamais voir le jour. Ce mardi, le rapporteur public du tribunal administratif a jugé que son objet outrepasse les compétences attribuées aux commissions d’enquête par le statut du Pays et le règlement intérieur de l’assemblée. Il est donc allé dans le sens des requérants (le haut-commissaire et six élus de la minorité) demandant l’annulation de la délibération créant cette commission. Décision le 16 décembre.
 
Deux requêtes visant l’annulation de la commission d’enquête créée par Antony Géros ont été déposées, l’une par le haut-commissaire, l’autre par six élus de la minorité (Tepuaraurii Teriitahi, Nicole Sanquer, Nuihau Laurey, Lana Tetuanui, Teura Iriti et Pascale Haiti-Flosse). Une commission d’enquête qui, rappelons-le, vise à “recueillir tous les éléments d’information relatifs aux enjeux géostratégiques, environnementaux, économiques et financiers de la Polynésie française et de sa zone économique exclusive”, autrement dit à estimer la “valeur” de la Polynésie française.
 
Mardi, le rapporteur public du tribunal administratif a fait pencher la balance vers les requérants en estimant, lui aussi, que cette commission d’enquête dépasse le périmètre légal fixé par le statut du Pays et le règlement intérieur de l’assemblée. Pour les élus de la minorité, déjà vent debout contre cette initiative en séance plénière, le 3 juillet à Tarahoi, cette commission d’enquête constitue “une atteinte grave à la démocratie” et “à la liberté du mandat” des représentants de l’assemblée.
 
Quatre élues contraintes et forcées
 
Pendant l’audience, Tepuaraurii Teriitahi a rappelé que quatre élues – Lana Tetuanui, Pascale Haiti-Flosse, Teura Iriti et elle-même – avaient été intégrées d’office à cette commission, sans leur accord : “Nos noms ont été inscrits sans notre consentement. On nous a imposé une participation à une commission qui ne correspond pas à nos convictions”, a-t-elle dénoncé, soulignant qu’elles risquent en plus d’être sanctionnés à hauteur de 25 000 francs par séance et par élu en cas d’absence.
 
Les élus contestent surtout l’objet même de la commission qui sort de son champ de compétence. Cette commission ne se limite pas à évaluer des faits déterminés ou la gestion de services publics, comme le prévoit le règlement intérieur, mais se transforme en levier politique avec un budget de 25 millions. “La commission d’enquête a des moyens financiers et coercitifs qui dépassent toutes les autres commissions. Au départ, on parlait même de 50 millions, voire de 100 millions, mais la majorité a fini par baisser à 25 millions. Pourtant, c’est dix fois supérieur au plafond des missions d’information. Cela confère à cette commission des pouvoirs inhabituels, et surtout elle est utilisée pour un objet idéologique”, martèle Tepuaraurii Teriitahi.
 
“On assiste à une tentative de mettre sous cloche l’assemblée”
 
Du côté de l’assemblée, l’avocat Thibault Millet défend le droit de l’institution à examiner ses relations avec la France, tout en relativisant le motif retenu par le rapporteur public. Selon lui, les flux financiers constituent bien des faits déterminés : “Dire que ce n’est pas un fait déterminé que la France verse des fonds à la Polynésie ou qu’une partie reparte en France… Si, ce sont évidemment des faits. Ce que l’on conteste, c’est une forme de censure qui empêcherait l’assemblée de savoir et d’exercer son contrôle.”
 
Pour l’avocat, l’enjeu dépasse le budget ou le cadre légal : il s’agit de préserver la liberté parlementaire et la capacité de l’assemblée à exercer un contrôle sur des questions stratégiques : “On assiste à une tentative de mettre sous cloche l’assemblée. Ce n’est pas à la justice de dicter les outils que l’assemblée entend utiliser pour accéder à des informations. La vraie question est : l’assemblée peut-elle regarder cette relation avec la France en face ou doit-elle baisser les yeux ?”
 
Ainsi, élus et avocat se rejoignent sur l’importance de la démocratie parlementaire, mais pour des raisons différentes : les élus pour défendre leurs droits, la représentativité des minorités et le respect des règles, tandis que Me Millet plaide pour protéger l’autonomie de l’assemblée dans l’exercice de son contrôle parlementaire.
 
Le rapporteur public s’en tient au “fait déterminé”
 
“La délibération ne fait état d’aucun fait précis justifiant la décision de créer cette commission et celle-ci ne porte pas plus sur la gestion des services publics. Il s'agit plutôt là d'une mission d'audit et de conseil. Ainsi, l'objet même de la commission n'est pas conforme à la loi organique et au règlement intérieur”, a conclu le magistrat, qui s’est concentré sur ce motif unique. Il a également relevé que le recours à des expertises extérieures et le budget alloué dépassent le cadre légal d’une commission d’enquête.
 
Si le tribunal suit les conclusions du rapporteur public comme c’est généralement le cas, la délibération du 3 juillet – et avec elle la commission d’enquête – sera annulée, contrariant les ambitions stratégiques et politiques d’Antony Géros, qui défend cette commission comme un outil nécessaire pour “l’établissement d’un dialogue de décolonisation”. Décision attendue le 16 décembre.

Rédigé par Stéphanie Delorme le Mardi 2 Décembre 2025 à 14:01 | Lu 2832 fois