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Commémoration du 100ème anniversaire de l’Armistice de 1918 à Papeete


M. René BIDAL, Haut-commissaire de la République, a présidé, dimanche matin, la cérémonie de commémoration du 100ème anniversaire de l’Armistice de 1918, avenue Pouvanaa a Oopa.

A ses côtés, étaient notamment présents : M. Edouard FRITCH, Président de la Polynésie française, M. Gaston TONG SANG, Président de l’Assemblée de la Polynésie française, Mme Nicole SANQUER, Députée de la 2ème circonscription de la Polynésie française, M. Moetai BROTHERSON, Député de la 3ème circonscription de la Polynésie française, M. Michel BUILLARD, Maire de Papeete, le Contre-amiral Laurent LEBRETON, Commandant supérieur des forces armées en Polynésie française et M. Kelly ASIN, Président du Conseil économique social et culturel de la Polynésie française.

Les descendants des Poilus tahitiens ainsi que les élèves du lycée Saint Joseph et de Notre Dame des Anges ont également assisté à la cérémonie.

À l’occasion du centenaire de la Grande Guerre 14-18, l’avenue Pouvanaa a Oopa et les rues des Poilus tahitiens et du Bataillon du Pacifique ont été pavoisées avec les portraits des Poilus tahitiens. 

Cette démarche de commémoration vise à faire connaître, à la population et aux visiteurs du centre ville de Papeete, les visages de quelques combattants tahitiens partis au front. Ces photographies, souvent inédites, sont issues des fonds documentaires familiaux ou des cartes d’anciens combattants. Parmi eux, on peut citer notamment : les frères O’opa, Bambridge, Coppenrath, Juventin, Le Caill, Manutahi, Pito, Putoa, Quesnot, Sanford, Tarahu…


DISCOURS de M. RENE BIDAL, HAUT-COMMISSAIRE

Aujourd’hui, nous commémorons l’armistice signé le 11 novembre 1918, mettant un terme aux combats de la Première Guerre mondiale au cours de laquelle 18,6 millions de personnes, civiles ou militaires, ont péri.
 
Souvent oubliée de l’Histoire, l’Océanie a été le théâtre d’opérations militaires. Entre 700 et 1 200 personnes ont perdu la vie sur le front océanien dont la majeure partie des combats ont eu lieu entre août et novembre 1914 : la Nouvelle-Guinée, les Iles Samoa, les Iles Kiribati, Nauru, les Iles Marshall, la Micronésie, les Iles Salomon. Dans le Pacifique, ces batailles n’ont pas eu de frontière, l’immense océan n’a rien pu empêcher.
 
Le 22 septembre 1914, la guerre s’est invitée à Tahiti. Les croiseurs cuirassiers allemands, intéressés par le stock stratégique de charbon de Papeete, sont reçus par trois coups de canons les sommant de s’identifier. Après avoir hissé les couleurs de la Marine impériale, ils bombardent la ville de Papeete puis rejoignent l’escadre d’Extrême-Orient au large du Chili, surpris par la résistance de la ville menée par le Lieutenant de Vaisseau Maxime Destremeau.
 
C’est dans cet engagement résolu que se sont inscrits les 1 108 Tahitiens dès le début de ce premier conflit mondial. Mille hommes, certains pourraient penser que c’est peu, mais en 1914, les Etablissements français de l’Océanie ne comptent que 30 000 habitants dont 40 % ont moins de 14 ans.
 
Ce sont 12 contingents qui ont quitté Papeete entre 1915 et 1917. Engagés volontaires ou conscrits, ces Poilus Tahitiens ont quitté leur île pour s’engager dans des combats en France, en Grèce et au Moyen-Orient.
 
Ils ont été 600 à rejoindre le bataillon mixte du Pacifique.
 
Créé à Nouméa le 4 juin 1916, le bataillon embarque sur le vapeur Gange des Messageries maritimes. Composé de deux compagnies, il comporte dans ses rangs des tirailleurs kanaks, wallisiens et 90 Tahitiens. Ils arrivent à Marseille le 11 août 1916. Le bataillon est principalement employé au chargement des navires destinés à l’Armée d’Orient jusqu’au 6 avril 1917, lorsqu’il est dirigé sur Fréjus pour y recevoir l’instruction nécessaire à son déploiement sur le front. En mai 1917, un détachement de 500 Tahitiens renforce ses rangs et entre dans la composition des 3ème et 4ème compagnies. Le bataillon part deux fois sur le front de Champagne, en août 1917 et en juin 1918, rattaché à la 72ème Division d’Infanterie.
 
L’hiver 1917 est rude pour ces hommes venus du Pacifique et le bataillon rejoint le camp de Fréjus entre les deux campagnes.
 
En juillet 1918, toujours aux côtés de la  72ème Division d’Infanterie, le bataillon participe de façon active et combattive à l’arrêt des offensives allemandes, lors de la seconde Bataille de la Marne.
 
Il se distingue par un fait d’armes lors de la Bataille de la Serre qui permet d’enlever plusieurs positions à l’ennemi.
 
Terrible Bataille de la Serre précédée par une terrible nuit. Imaginez ces hommes qui, de nuit, après avoir traversé une zone marécageuse puis un canal, doivent encore franchir une rivière, la Souche, grossie par les pluies des derniers jours. Imaginez-les dans l’obscurité, dans une eau glacée, faire de leur corps des passerelles sur lesquelles les autres peuvent passer, se relayant ainsi sans bruit jusqu’au dernier. L’eau leur monte jusqu’aux épaules. Imaginez-les enfin livrer le combat dès l’aube, après tant d’efforts nocturnes.
 
Le bataillon mixte du Pacifique a fait preuve de qualités au combat qui ont été récompensées par le général Mangin, à la tête de la Xème armée : deux croix de la Légion d'Honneur, six Médailles Militaires, 12 citations à l'ordre de l'Armée, 20 citations à l'ordre du Corps d'Armée, 40 citations à l'ordre de la Division, 39 citations à l'ordre du Régiment...
 
Ramené à l’arrière, le bataillon mixte du Pacifique est au repos le 11 novembre lorsque sonne la victoire. Il sera dissout le 10 mai 1919 et ses tirailleurs seront rapatriés vers leurs îles. 540 Tahitiens regagnent Papeete le 28 juin 1919. Mais 300 autres ne reviendront pas : ils sont morts pour la France, en défendant les valeurs de la République qui sont celles de la tolérance et de la liberté, si chères à la culture polynésienne.
 
L’armistice fut signé il y a tout juste cent ans. Un siècle s’est écoulé, amenant un second conflit mondial et des combats menés au nom de la liberté et de la démocratie sur des théâtres d’opérations extérieures, encore ouverts aujourd’hui. Et à chaque fois, l’engagement des Polynésiens est indéfectible et total, si loin de leurs horizons lagonaires.
 
Au moment où la Nation se rassemble pour commémorer l’engagement de nos soldats pour la liberté, aujourd’hui, 11 novembre 2018, nous nous souvenons de leur sacrifice, un siècle s’étant écoulé.
 
Et ce souvenir m’évoque celui de l’ordre du jour de la Victoire adressé le 12 novembre 1918 aux armées alliées par leur commandant en chef, le Maréchal Foch : il disait « Vous avez gagné la plus grande bataille de l’Histoire et sauvé la cause la plus sacrée : la liberté du monde. Soyez fiers. D’une gloire immortelle vous avez paré vos drapeaux. La postérité vous garde sa reconnaissance ».
 
Ces enfants du Fenua sont à jamais dans le cœur de la France et cent ans plus tard, notre devoir est de le rappeler portant notre regard sur ces valeureuses âmes qui, dans leurs glorieux destins, nous obligent au respect, à la reconnaissance et à l’humilité. Leur sacrifice fut grand et leur engagement au combat exemplaire.
 
Vive pour toujours l’image de ce poilu polynésien dur à l’effort et brave au combat qui, aux horreurs de la guerre, dut en plus endurer un déracinement terrifiant et pour certains d’entre eux mourir sur une terre qui n’était pas celle de leurs parents.
 
Le 11 novembre 1918 fut une délivrance pour tous les soldats qu’il soient alliés ou ennemis, car durant ces quatre frustres années, ils vécurent ce qu’ils pensaient être le pire dans l’espoir, malheureusement contredit, que cette guerre serait la « der des der » ; l’absurdité de l’homme arrive souvent à vaincre les meilleures résolutions et la Deuxième Guerre mondiale le prouva au grand désespoir des plus optimistes. Les équilibres mondiaux sont toujours très fragiles, aujourd’hui plus que jamais ; écoutons nos poilus, eux qui ont connu le pire, nous dire à l’oreille qu’il faut veiller sur la paix comme sur le plus fragile de ses enfants avec une attention vigilante et un amour inquiet, mais résolu, et protecteur.
 
Vive la République, Vive la Polynésie, Vive la France.
 
 
René BIDAL


DISCOURS dU PRESIDENT, M. EDOUARD FRITCH

Dans le cadre des commémorations du centenaire de la Grande Guerre et en particulier de l’armistice du 11 novembre 1918 qui va mettre fin à quatre années de guerre cruelle, ce n’est qu’honneur que de nous retrouver dans les murs d’une enceinte où l’histoire des Poilus tahitiens a commencé.
 
Car, mesdames, messieurs, dans cette enceinte où nous nous tenons, était l’ancienne caserne de l’infanterie coloniale de Papeete, avant de devenir le siège de l’actuelle Présidence de la Polynésie française.
 
Les travaux de construction de la caserne d’infanterie coloniale engagés en 1885 aboutissent en décembre 1890. La caserne coloniale est baptisée « Caserne Bruat » avant de prendre le nom de « Caserne Broche » le 21 avril 1971, en mémoire du capitaine Broche tué à Bir Hakeim en juin 1942.
 
Sur ce site historique va donc stationner l’ensemble des premiers volontaires et des conscrits tahitiens qui ont été mobilisés  en 1916 avant leur départ pour les fronts de la Grande Guerre. Et c’est toujours dans cette caserne Bruat que les Tamari’i Volontaires vont venir s’engager en septembre 1941 dans les rangs de la France libre.
 
Ce monument historique méritait de s’ouvrir aujourd’hui à vous pour commémorer, en ce 11 novembre 2018, le souvenir de nos grands aînés Poilus mais aussi d’y accueillir une exposition qui leur est dédiée.
 
 
 
Le Gouvernement que je conduis, a souhaité rendre avec force, dans le cadre de ce centenaire de la Grande Guerre et de l’armistice du 11 novembre 2018, un hommage solennel à nos « Poilus tahitiens ».
 
Comme vous avez pu le constater le quartier historique constitué de l’avenue Pouvanaa a O’opa anciennement avenue Bruat, la rue du Bataillon du Pacifique et une portion de  la Rue des Poilus tahitiens jouxtant le ministère en charge de la culture ont été pavoisés de portraits de Poilus tahitiens.
 
La démarche est inédite. Elle est fortement symbolique. Ces quarante visages connus ou anonymes témoignent de la haute contribution en hommes qui a été apportée par l’Océanie française dans la Grande Guerre.
 
Elle témoigne aussi de leur patriotisme et de leur fort attachement à la République.
 
En effet, il y a cent ans, nos anciens se sont transformés en soldats par amour pour la Mère- Patrie. C’est ce même sentiment qui a animé ceux qui se sont mobilisés durant la seconde guerre : défendre la Mère-Patrie pour laisser aux générations suivantes un monde de paix.
 
Voici ce que déclarait Clémenceau après la signature de l’armistice et à la sortie de ce train légendaire de la forêt de Compiègne : « Nous avons gagné la guerre, il nous reste maintenant à réussir à gagner la paix ».
 
Clémenceau a parfaitement raison. La paix ne se décrète pas. Elle se conquiert. Elle doit être protégée car elle est fragile.
 
Mardi dernier, je participais à une cérémonie religieuse dédiée au souvenir de tous nos chers disparus. Cette cérémonie a commencé par un chant de louage dont le titre est « Je te donne tout ».
 
Tous les chrétiens connaissent ce chant et les paroles me font rappeler l’état d’esprit de nos Poilus, il y a cent ans. « Je te donne mon cœur. Il ne m’appartient plus….Prends mon âme, prends mon cœur,… prends ma vie, me voici, Je te donne tout ».
 
Nos valeureux Poilus n’ont pas chanté cette louange. Mais, ils ont fait mieux que ça. Ils l’ont exprimée par leur bravoure jusqu’au don de leur vie.
 
Oui, c’est bien par amour de la Mère-patrie qu’ils ont fait l’offrande de leurs corps et de leurs âmes. C’et par amour de la France qu’ils se sont sentis devoir s’engager sans condition aucune. C’est en pensant à nous qu’ils se sont sacrifiés.
 
Vous comprendrez pourquoi je me battrai pour conforter les liens qui nous unissent à la France.
 
Etre l’ennemi de la France, c’est oublier le sacrifice consenti par nos aïeux qui se sont engagés à deux reprises aux côtés des français de métropole pour sauver la démocratie.
 
Trop de liens nous unissent à la France. Ils ne sont pas uniquement d’ordre économique et financier.
 
Ils sont historiques, culturels et affectifs. Il ne faut pas que la mémoire de nos anciens soit réduite en un simple souvenir, à un simple dépôt de gerbe.
 
C’est en pensant à eux et à leur sacrifice volontaire, que je suis attaché aux liens qui nous unissent à la nation, pour qui la reconnaissance, la fraternité et la solidarité ne sont pas de vains mots.
 
C’est pourquoi, le fort engagement de nos valeureux anciens méritait donc d’être rappelé à nouveau avant que ne se referme la page des commémorations du centenaire de la Grande Guerre.
 
Quelques 1800 hommes natifs ou résidents des établissements français d’Océanie sur une population de 30.000 âmes ont été mobilisés pendant la Grande Guerre. Ceci signifie que près d’un adulte polynésien sur quatre de cette époque, s’était engagé pour aller à la bataille.
 
Un millier d’entre eux va partir pour le feu. Trois cent d’entre eux ne reviendront pas. En outre, la grippe espagnole terrassera, fin 1918, quelques 3.000 habitants de Tahiti et des îles.
 
Chaque famille polynésienne a été personnellement touchée par l’engagement ou la perte d’un de ses grands aînés.
 
Mais qui étaient ces hommes ? Le temps a depuis lors, fait son œuvre. Nos contemporains méconnaissent totalement leur histoire faite de courage, de souffrances et celui du sang versé.
 
Sur quels théâtres d’opérations ont-ils été engagés ?
De la Grande Guerre, nous retenons le bombardement de la Ville de Papeete par une escadre allemande, le courage et le sacrifice de sang des soldats du Bataillon mixte du pacifique (BMP) engagés le 25 octobre 1918 dans la prise du village de Vesles-et-Caumont.
 
L’histoire enseignée dans les manuels scolaires occulte les autres théâtres d’opérations de Gallipoli, de Salonique, de Palestine où ont combattu tant de conscrits tahitiens.
 
Il convenait de leur redonner place dans notre mémoire collective en faisant que nos murs accueillent une exposition dédiée. Cette exposition se tiendra jusqu’au 3o novembre prochain. Elle sera notamment ouverte en semaine aux scolaires à raison de 4 visites journalières.
 
Cette exposition est riche. Elle se constitue d’une quarantaine de panneaux illustrés qui relatent avec minutie des pans d’histoires souvent méconnus de nos grands aînés Poilus.
 
Ce défi de mémoire, Mesdames et messieurs n’aurait pu cependant se faire sans les concours documentaires de l’Association Mémoire polynésienne, Porinetia Ha’amanao.
 
Je souhaite aujourd’hui saluer l’extraordinaire travail de mémoire qui a été porté par cette association et par son président sans qui les biographies de nos Poilus tahitiens et leur épopée ne nous seraient pas connues.
 
Je remercie et félicite son président, Jean Christophe SHIGETOMI, qui mérite nos applaudissements.
 
Je ne peux que saluer la ferveur et la passion avec lesquelles il se consacre à l’histoire des Polynésiens qui se sont engagés aux côtés de la France pour combattre la dictature et préserver la liberté.
 
Nos Poilus tahitiens, en s’engageant durant la 1ère Guerre mondiale, avaient compris que le destin de nos îles du Pacifique, même éloignés des champs de bataille d’Europe, était lié à celui des grandes nations.
 
Ils avaient compris, il y a un siècle, que l’humanité est un ensemble indissociable. Notre destin de Polynésien est lié à celui des autres nations de ce monde. C’est un message qui reste vrai, un siècle plus tard. C’est pourquoi, nous ne devons jamais oublier le courage et le sacrifice de nos aînés.
 
Je vous invite maintenant à vous replonger avec moi, cent années plus tôt dans les épopées individuelles de ces hommes et de ces femmes de la Polynésie d’hier.
 
Bonne visite.

le Lundi 12 Novembre 2018 à 02:59 | Lu 1403 fois