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Cartouche, pourfendeuse des canons


Crédit : Cartouche. Auto-portrait.
Crédit : Cartouche. Auto-portrait.
TAHITI, le 15 septembre 2021 -Elle utilise son objectif pour dire le fond de sa pensée, pour poser des questions, provoquer des émotions. Elle se voit comme une peintre qui figerait de vrais personnages. Ses photos-tableaux, ensuite, donnent de la visibilité à la communauté LGBT et participent au mouvement féministe.

Avec son travail photographique, Cartouche veut “offrir une visibilité à la communauté LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres, ndlr)” et “mettre le féminisme en image”. Elle pense le corps, la désexualisation de celui de la femme notamment. “Il est mis en avant partout comme quelque chose que l’on vend avec un idéal imposé”. Cartouche, elle, montre des morphologies différentes, des tailles, des couleurs de peaux qui ne se ressemblent pas, elle montre les défauts dans leur beauté, elle dit la diversité.

Des séances préparées

Elle immortalise sous la lumière naturelle les corps nus, en solo, en couple, en groupe (de 6, 7, 8 personnes). Les modèles, volontaires, choisissent le lieu. Cartouche rédige avant le shooting ce qu’elle appelle une “feuille d’intention”. Elle se sait impulsive et ne veut pas se perdre pendant la séance. “C’est frustrant !” Elle fait des croquis des tableaux qu’elle imagine. Ensuite, bien sûr, elle laisse la porte ouverte à un peu d’improvisation.

Les séances démarrent par une discussion entre photographe et modèle(s). Cartouche tient à connaître les envies et limites des modèles. Elle les prévient aussi qu’elle immortalise les corps dans leur entièreté et leurs caractéristiques. “Encore une fois, je travaille sur la désexualisation, sur mes photos on voit les bourrelets et les vergetures”. En retour, les modèles ouvrent leur propre univers. “Et j’adore ça !” Les membres de l’équipe éphémère se nourrissent les uns, les autres.

“Les gens qui s’aiment sont beaux”

Elle tient à normaliser l’intimité. “Les gens qui s’aiment sont beaux.” Et ce quel que soit leur sexe. “Il faut les montrer, les voir comme ils sont. J’avoue qu’il y a beaucoup de revendications dans ce que je fais.” Son œuvre est “politique” depuis quelque temps, depuis qu’elle a l’âge d’exprimer sa pensée. Elle a pris du temps pour formuler ses revendications et pour comprendre les enjeux. C’était il y a deux ans environ. Elle veut apporter une vision différente, poser des questions, provoquer des émotions.

Lorsqu’elle a démarré la photographie, elle réalisait des portraits en toute simplicité. Sa mère lui a offert un premier appareil alors qu’elle devait avoir une douzaine d’années. Au fil du temps, elle s’est interrogée sur le fossé qui existait entre ses pensées et les images qu’elle produisait. “Elles étaient belles, mais je me suis demandé à quoi elle servait.” Ses idées et idéaux ont fini par s’immiscer dans son travail photographique ou plutôt sa passion photographique, car Cartouche n’envisage pas de gagner de l’argent avec ses œuvres. “Je ne veux pas vivre de mes photos” dit la photographe. Elle ajoute : “mais je ne m’arrêterai jamais. Je n’ai besoin de rien d’autre qu’un appareil photos.

Après le shooting suit une séance de postproduction. La technique est un outil dont Cartouche se sert car “plus une photo est belle et plus elle va porter.

Insta et expos


Pour faire passer ses messages, Cartouche est sur Instagram. “C’est là que se trouvent les jeunes de ma génération.” Elle a plus de 1 000 abonnés dont un certain nombre sont des militants. Ses modèles comptent aussi parmi les abonnés. Ils lui font cadeaux de commentaires. “Ce qui me touche le plus c’est de lire que des modèles, découvrant les clichés, se trouvent beaux.”

Elle aime aussi les expositions d’images en version grand format afin que les visiteurs puissent se promener au cœur des photographies. Elle a présenté un cliché lors du dernier événement de Hoho’a. Il a été acheté par un amateur. Elle a également participé à un rendez-vous à l’Éphémère de Moorea avec une créatrice de bijoux. Elle devait participer à deux grands festivals à Paris ces derniers mois. Mais ils ont été annulés en raison de la crise sanitaire. Elle a un projet avec une amie artiste qu’elle aimerait concrétiser sur le territoire.

Retour aux sources

Cartouche a 24 ans. Elle se présente sous son nom d’artiste mais elle a une vie professionnelle parallèle. Elle est rentrée au fenua début 2021 après six années passées en métropole. Elle a trouvé une place dans un cabinet d’architecte en attendant de pouvoir, un jour, ouvrir un centre d’accueil périscolaire pour enfants, une structure inclusive avec des intervenants artistiques. Le théâtre et la photographie y auraient toute leur place. Cartouche s’est formée au théâtre en conservatoire. “Ce que j’apprécie le plus c’est la mise en scène”, précise-t-elle. “J’aime jouer avec les décors, les émotions.

Elle a quitté Tahiti à l’âge de 17 ans, elle venait d’être bachelière. Elle s’est retrouvée à Paris une ville qui “me tentait bien, où il se passait des choses. Paris, c’est le vif du sujet.” Elle avait aussi beaucoup de peurs “qui se sont concrétisées”. En débarquant dans la capitale métropolitaine, elle n’a pas aimé. Et puis les années ont passé. Elle a eu accès à la culture, les musées, les spectacles, les bibliothèques. Elle a découvert un “monde alternatif” dans “de vieilles maisons abandonnées”. Elle s’est sentie accueillie par des artistes et artisans qui venaient d’horizons très différents. “Comme moi, ils étaient tous un peu d’ailleurs, ils avaient peu de moyens mais ils voulaient créer.

Cartouche a passé son brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (Bafa) après avoir fait des boulots alimentaires. Ce brevet permet de travailler en colonies de vacances mais également en centres périscolaires. Elle a intégré une structure en région parisienne accueillant des enfants avec des troubles autistiques, a gravi des échelons évoluant avec des gens spécialisés dans différents domaines. Elle a passé quatre ans dans la même structure, a saisi toutes les occasions pour se former. Elle a monté des projets au sein de la structure en danse, “j’ai fait 13 ans de ‘ori Tahiti”, en photographie et théâtre. Une riche et formatrice expérience.

En 2020, elle avait prévu de quitter Paris pour se “balader en Europe”. Elle aurait dû rejoindre un studio photographique en Belgique. Mais la crise sanitaire a bousculé ses plans et quitte à vivre “le chaos”, autant être “à la maison”. Là, entourée de sa famille et ses amis, elle vit sa passion.

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Sur Instagram : Cartouche.lm

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 15 Septembre 2021 à 20:34 | Lu 3360 fois