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Carnet de voyage:« Gatae », l’or vert de Ahe


De loin, les sommets des « gatae » (Pisonia grandis) dépassent les cocotiers. C’est ici que se trouve la dernière forêt indigène de Ahe.
De loin, les sommets des « gatae » (Pisonia grandis) dépassent les cocotiers. C’est ici que se trouve la dernière forêt indigène de Ahe.
PAPEETE, le 24 novembre 2017- Témoin de la splendeur passée des Tuamotu (en termes de flore et de faune), la forêt de « gatae » (Pisonia grandis) de Ahe, avec son sol riche d’un humus de première qualité, se visite comme un des derniers sanctuaires naturel des atolls polynésiens, devenus, par la faute de l’homme, de tristes cocoteraies quasi stériles.


I

Gros plan sur des feuilles de « gatae » qui se consomment, quand elles sont encore jeunes et tendres, comme des épinards.
Gros plan sur des feuilles de « gatae » qui se consomment, quand elles sont encore jeunes et tendres, comme des épinards.
l y a un peu plus de deux cents ans, les atolls des Tuamotu ne ressemblaient en rien à ce qu’ils sont aujourd’hui, à savoir des alignements de cocotiers sur un substrat de calcaire sec et salé. A l’époque, les Paumotu vivaient de manière plus dispersée sur leurs anneaux coralliens ; certes, ils profitaient des largesses du cocotier pour leur vie de tous les jours, mais cet arbre était loin d’être le « dominant » qu’il est aujourd’hui. En réalité, une grande partie de la surface des atolls était occupée par de denses forêts sombres, pleines de vie et riches d’une terre digne du meilleur terreau.
Que s’est-il donc passé pour que le paysage paumotu change si radicalement ?






Plonge et coprah

Les troncs des « gatae » peuvent atteindre des tailles remarquables, plusieurs mètres de circonférence.
Les troncs des « gatae » peuvent atteindre des tailles remarquables, plusieurs mètres de circonférence.
Missionnaires, colons et autres aventuriers ont vite compris, en sillonnant ce que les marins avaient appelé « l’archipel dangereux » que pour s’implanter durablement et, accessoirement, pour faire fortune, il n’y avait pas trente-six solutions aux Tuamotu : la plonge permettrait de récupérer de la nacre (remplacée depuis par le plastique). En complément, les écailles de tortue et les bêches de mer augmentaient la valeur des cargaisons, mais le gros de celles-ci ne pouvait être constitué que de coprah, à savoir l’amande séchée de la noix de coco.
Or, pour en récolter des quantités significatives, il fallait généraliser la culture de ce palmier. Et pour cela, sacrifier impitoyablement le reste de la flore, à commencer par les grandes forêts.


Fixer les populations et les endetter

La forêt naturelle aux Tuamotu est une excellente source de nourriture pour les abeilles, et certains apiculteurs l’ont bien compris.
La forêt naturelle aux Tuamotu est une excellente source de nourriture pour les abeilles, et certains apiculteurs l’ont bien compris.
A cette époque, les Paumotu vivaient en parfaite autosuffisance alimentaire. Ce qui n’arrangeait pas les « hommes d’affaires » et les religieux d’alors, qui préféraient fixer dans des villages les populations indigènes pour les endoctriner dans les temples et églises et pour mieux les contrôler. Qui plus est, la généralisation des cocoteraies allait détruire l’environnement naturel de ces îles, et priver les Paumotu de leur nourriture abondante, qu’ils obtenaient dans les fosses de culture (riches de l’humus des forêts de « gatae »). Devenant alors dépendants des marchands, ils seraient forcés de s’endetter pour payer le riz, les tissus et autres babioles du monde moderne ; ils seraient donc astreints à travailler, à la plonge pour les uns, dans les cocoteraies pour la majorité d’entre eux. Ils entrèrent ainsi petit à petit, mais irrémédiablement, dans une économie de marché où le fruit de leur labeur leur permettrait de troquer ou d’acheter les biens dont ils auraient besoin, faute de pouvoir compter sur leur environnement complètement chamboulé par ces cocoteraies.


Sombre même en plein midi

En saison des pluies, la canopée des forêts à Pisonia grandis laisse passer très peu de lumière, gardant au sol une fraîcheur idéale.
En saison des pluies, la canopée des forêts à Pisonia grandis laisse passer très peu de lumière, gardant au sol une fraîcheur idéale.
Aujourd’hui, on ne rencontre plus guère de forêts indigènes aux Tuamotu, emplies d’arbres centenaires, coiffées de milliers de nids d’oiseaux et riches d’un substrat noir de la meilleure qualité qui soit pour les cultures de fruits et légumes.
A ce titre, celle de Ahe mérite indubitablement le détour. En saison des pluies, son feuillage est d’une telle densité qu’il y fait sombre même en plein midi ; les bauges à cochons sauvages, creusées dans un sol gorgée d’humidité, témoignent de l’abondance de nourriture pour de gros animaux omnivores, qui trouvent ici matière à satisfaire leurs appétits.
Des forêts, des bosquets de Pisonia grandis, il en existe quelques spécimens ici et là, ayant échappé à la cognée de ceux qui détruisirent impitoyablement la flore des atolls pour y imposer le cocotier aujourd’hui omniprésent.
A notre connaissance, l’oasis de verdure de Ahe est l’une des plus belles concentrations de ces arbres indigènes, un or vert en grand péril partout aux Tuamotu…

Textes et photos : Daniel Pardon


Comment ça marche ?

Un jeune visiteur vient de découvrir une bauge à cochons sauvages, où les suidés aiment venir se vautrer pour se rafraîchir.
Un jeune visiteur vient de découvrir une bauge à cochons sauvages, où les suidés aiment venir se vautrer pour se rafraîchir.
Une forêt avec un mètre d’humus bien noir, bien gras et très fertile, ça ne se trouve pas partout sous les tropiques. Sur les atolls, les grands « gatae » (Pisonia grandis) permettaient à ce type de biotope de survivre au soleil, au sel, aux embruns et même aux cyclones.
Le « gatae » (« pu’atea » en Tahitien) est en effet un arbre de très grande hauteur à l’âge adulte (plus de trente mètres). Si son bois est de piètre qualité, son tronc peut aisément atteindre cinq mètres de diamètre à sa base ; il est donc plus haut que les cocotiers et inaccessible pour les hommes. Sur la canopée, des milliers d’oiseaux marins venaient nicher, à l’abri de la convoitise humaine. Ces oiseaux produisaient énormément de fientes qui accéléraient la chute des feuilles sur lesquelles elles s’accumulaient, le mélange fientes-feuilles mortes permettant la formation de ce terreau si riche. Un terreau enrichi encore par les cadavres de nombreux oiseaux, car les fruits de Pisonia grandis sont collants et, en s’accumulant sur les plumes des oiseaux les plus maladroits, les empêchaient de voler. Ils tombaient alors au sol où leur corps se noyait vite dans le substrat maintenu humide compte tenu de l’épaisseur du feuillage des Pisonia grandis

Cocoperle, nouveaux bungalows

Les nouveaux bungalows de l'hôtel Coco Pearl
On peut affirmer, sans mentir, que Cocoperle Lodge a boosté la destination Ahe grâce à un concept de vacances très spécifique, puis les touristes mangent essentiellement ce qu’ils pêchent, sur le récif, dans le lagon, dans la passe ou au large.
Il manquait toutefois à cette infrastructure des bungalows très confortables. C’est désormais chose faite, avec des intérieurs entièrement repensés, grâce notamment à des murs en bois blond, à l’ajout de meubles de rangement et à la suppression des mezzanines, permettant une bien meilleure circulation de l’air. Quant à l’approvisionnement en eau douce, il se fait par un osmoseur à grand débit qui libère du souci de stockage d’eau dépendant des pluies.
On le voit, Franck et Jeanine Testud continuent à ne pas ménager leurs efforts pour maintenir Ahe dans le haut du panier des destinations paumotu, l’atoll demeurant, pour les passionnés comme les débutants, l’incontestable temple de la pêche !



Rédigé par Daniel Pardon le Vendredi 24 Novembre 2017 à 09:52 | Lu 6063 fois