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Ariinui, mort maltraité à un an et quinze jours


Tahiti, le 9 septembre 2020 - Le procès d’un homme et d’une femme, poursuivis pour avoir involontairement donné la mort à leur enfant le 18 mars 2015, s’est ouvert mercredi devant la cour d’assises de Papeete pour trois jours de débats. Également renvoyés pour des violences habituelles commises sur le petit garçon d’un an, les deux accusés encourent trente ans de réclusion criminelle.
 
Le petit Ariinui n’avait qu’un an et quinze jours lorsqu’il a succombé des suites d’un traumatisme cérébral, causé par des violences exercées par ses parents sur fond d’alcoolisation et de disputes conjugales. Le procès de son père et de sa mère, respectivement âgés de 29 et 26 ans, a débuté mercredi devant la cour d’assises de Papeete. 
 
Ce drame a eu lieu le 18 mars 2015 dans le squat où résidait le couple à Punaauia. Peu après six heures du matin, les pompiers avaient été appelés pour secourir un petit garçon d’un an qui était en arrêt cardiaque. Malgré l’intervention des secours, l’enfant, qui présentait plusieurs hématomes sur le visage et le corps, était décédé après son admission en réanimation au Taaone. Au regard de l’état de son corps, une autopsie avait été ordonnée par le parquet de Papeete pour déterminer dans quelles circonstances le petit avait trouvé la mort. L’examen, sans appel, avait révélé que le décès était lié à de "multiples lésions traumatiques cérébrales", et que l’enfant présentait des fractures antérieures de l’humérus et du fémur. Cette autopsie avait par ailleurs établi que le petit avait été victime de violences physiques bien avant son décès. De plus, la lecture de son carnet de santé avait démontré qu’il avait un retard de suivi, de vaccins, et qu’il ne présentait pas un développement psychomoteur normal. 

​Alcool, violences et précarité

Placé en garde à vue le 7 juin 2016, le jeune couple avait dépeint une relation émaillée de violences conjugales sur fond d’alcoolisation de l’accusé. Le tout dans un milieu extrêmement précaire, où l’enfant avait un chariot de supermarché en guise de lit. Confrontée aux traumatismes constatés sur le corps de son fils, sa mère avait reconnu avoir secoué l’enfant à deux reprises par le passé. Selon ses déclarations, deux jours avant les faits, son conjoint lui avait assené deux coups de poing alors qu’elle tenait le petit dans ses bras. Elle avait perdu connaissance et s’était affalée sur le sol. Entendu à son tour, le père de l’enfant avait reconnu des violences conjugales habituelles en faisant endosser le décès d’Ariinui à sa compagne. Présentés devant un juge d’instruction au terme de leurs gardes à vue, les parents de la victime avaient été mis en examen pour "violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner sur mineur de 15 ans par ascendant" et pour des violences habituelles commises sur le petit. Placés sous contrôle judiciaire, ils avaient été incarcérés à Nuutania sur décision de la chambre de l’instruction le 20 octobre 2019. 
 
C’est donc sous escorte que les deux accusés ont été présentés mercredi matin devant la cour d’assises après avoir été extraits de Nuutania. Dès l’ouverture des débats, la mère du petit Ariinui a fait état de sa "honte" en reconnaissant qu’elle était "coupable". "À cause de nous, notre fils n’a pas pu survivre alors qu’il avait toute sa vie devant lui". Des regrets partagés par l’accusé qui a invoqué son alcoolisme à l’époque des faits. Époque durant laquelle il buvait "beaucoup" et donnait des coups à sa femme sans "savoir" s’il touchait son fils. "J’étais devenu un homme dangereux, j’étais inconscient et je regrette aujourd’hui tout ce qui est arrivé. Mon fils me manque, je pense à lui et il restera gravé dans mon cœur."

​Bébé "accidentel"

Du parcours de ces deux abîmés de la vie, la cour aura ensuite appris que l’accusé, fils d’un jardinier et d’une femme de ménage, a grandi avec un père violent et alcoolique qui frappait sa mère. Après avoir obtenu le DNB et un CAP agricole, l’homme avait vainement tenté d’intégrer le RSMA. À l’époque des faits, il avait trouvé un petit boulot de maçon qui lui rapportait 75 000 Fcfp par mois, "mais les sous partaient dans l’alcool". De la mère, dont l’enfance a été marquée par l’absence d’un père, l’auditoire aura découvert qu’elle avait rencontré l’accusé alors qu’elle était très jeune et ils avaient alors commencé des années de rapports conjugaux compliqués. Enfin, du malheureux nourrisson, les jurés auront retenu qu’il était un enfant "accidentel" qui avait eu des problèmes de santé à la naissance et dont la mère avait du "mal" à s’occuper. 
 
Et cet enfant, tel que les sœurs des deux accusés l’ont expliqué à la cour en fin de journée, était pourtant désiré par certains membres de la famille. Par sa tante paternelle tout d’abord. À la barre, la quadragénaire a indiqué qu’elle avait voulu prendre le bébé en charge à sa naissance, car elle savait que le couple n’avait pas les moyens de l’élever correctement. Par sa tante maternelle ensuite, qui a pleuré à de nombreuses reprises lors de son audition en expliquant qu’elle voulait l’adopter, qu’elle avait coupé le cordon ombilical lors de l’accouchement et qu’elle lui avait donné son "premier biberon". Si ces deux femmes ont décrit une accusée parfois rebelle et agressive et un accusé qu’il fallait parfois "prendre par la main", elles ont cependant expliqué qu’elles ne les avaient jamais vus frapper l’enfant, hormis pour lui mettre quelques petites tapes. 
 
Le procès reprendra jeudi matin avec l’audition du médecin légiste qui évoquera notamment l’état physique de l’enfant lors de son décès. Une audition qui devrait éclairer les jurés sur les causes de la mort du petit garçon, et notamment leur permettre de savoir si ce dernier est décédé du syndrome de Silvermann, syndrome dit du "bébé secoué". 

Rédigé par Garance Colbert le Mercredi 9 Septembre 2020 à 19:19 | Lu 2386 fois