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Alida Bailleul, la passion du vivant


TAHITI, le 28 avril 2021 - Aujourd’hui chercheuse à l’Académie des sciences chinoises, Alida Bailleul est née à Tahitiet a effectué toute sa scolarité en Polynésie, à Papara. Elle a obtenu son baccalauréat dans le lycée de cette commune de la côte ouest. Depuis toujours, elle s’intéresse à la vie, aux organismes, à leurs caractéristiques et leur évolution. Elle a fait une découverte qui pourrait bouleverser les sciences du vivant.

Un article est paru dans le magazine Sciences et vie en 2020. Intitulé "ADN de dinosaure, l’incroyable découverte", il décrit une "nouvelle qui secoue les sciences du vivant tout entières". Car "on aurait enfin retrouvé l’ADN de la créature la plus fantasmatique ayant jamais peuplé la Terre : Un dinosaure !" Cette découverte est le fruit de travaux menés par Alida Bailleul. Aujourd’hui chercheuse à l’Académie chinoise des sciences, installée à Pékin, Alida Bailleul est née à Tahiti où elle a effectué toute sa scolarité.

Elle revient sur sa découverte : "J’ai travaillé aux États-Unis. Là-bas, j’ai regardé au microscope des tissus de petits crânes de dinosaures à bec de canard découverts dans le Montana, dans les années 80." Dans ces tissus inspectés, elle a reconnu des cellules en fin de division, puis a repéré des noyaux préservés. À l’intérieur des noyaux, elle a remarqué de longues structures noires ressemblant à des chromosomes. Pour confirmer cette première observation, elle a effectué des tests chimiques. Tests qui se sont révélés positifs.

Pour aller plus loin et confirmer la présence de matériel génétique dans ces cellules ancestrales, il aurait fallu passer à une étape de séquençage. Il faut savoir que l’ADN est composé d’éléments de bases appelés nucléotides. Il existe quatre bases différentes. Le séquençage consiste à déterminer l’ordre d’enchaînement des nucléotides sur un fragment d’ADN donné (ou bien sur tout le génome).

Petite révolution du secteur

Or, problème, le séquençage ne fonctionne pas sur des échantillons d’ADN trop vieux car le matériel génétique s’abime au fil du temps. Le plus vieux des ADN identifiés grâce au séquençage a 1,6 million d’années. Alida Bailleu travaille donc aujourd’hui à mettre au point une méthode qui pourrait confirmer pour de bon la présence d’ADN dans les cellules de tissus de crâne de dinosaures à bec de canard qui ont, elles, 75 millions d’années. Si elle venait à trouver cette méthode, cela serait une petite révolution.

Mais attention, si la présence d’ADN était bel et bien confirmée un jour, cela ne permettrait en aucun cas de cloner un jour de tels organismes. "Cela serait tout à fait impossible, d’une part nous ne le voulons pas, d’autre part car, pour cloner un animal, il faut de l’ADN extrêmement bien conservé, dans un réfrigérateur par exemple. Il n’est même pas possible de cloner une espèce éteinte depuis seulement cinq ou six ans si les cellules ne sont congelées très très rapidement", insiste Alida Bailleul.

"Fascinée par la diversité de la vie"

Alida Bailleul est née à Tahiti. Ses parents, arrivés de France, se sont installés sur la côte ouest dans les années 1980. Elle est venue au monde deux ans plus tard. Elle a suivi toute sa scolarité à Papara, maternelle, primaire, collège, lycée.

"Quand j’étais petite plusieurs choses m’intéressaient, mais j’ai toujours été particulièrement fascinée par la diversité de la vie, la biologie, les plantes, les champignons, les animaux toujours existants ou bien éteints." Elle passait des heures à regarder des documentaires animaliers sur National Geographic. Elle adorait ses cours de biologie. "Dans cette matière, tous mes profs ont toujours été super."

Elle était également attirée par les langues, anglais, latin, la littérature. Elle aimait l’école, apprendre. Elle a, un temps, voulu devenir astronaute, "mais comme tous les enfants à un moment donné de leur vie non ?". Elle s’est vite mise en tête de devenir paléontologue, ou bien de tourner elle-même des documentaires animaliers.

De Tahiti aux États-Unis

Elle passait son temps libre sur la Presqu’île, appréciait la mer, la rivière, la montagne. À partir de ses 18 ans, elle a passé une partie de ses vacances aux États-Unis pour faire des fouilles. "C’est là que j’ai rencontré mon futur directeur de thèse : Jack Horner. Un chercheur célèbre pour avoir été notamment conseillé technique scientifique sur le film Jurassic Park ! "Alida Bailleul a souhaité, avec ces premières fouilles, enrichir ses connaissances en biologie, zoologie. Elle cherche depuis longtemps à comprendre les espèces et la Terre, l’évolution des organismes, les organismes eux-mêmes.

Après le lycée, elle s’est inscrite à l’université de Polynésie française pour faire une licence de biologie. Pour aller plus loin, elle a dû se rendre en France. Elle a suivi une troisième année de licence à Orsay, près de Paris, à l’université Paris sud, puis a effectué un master 1 et master 2 en paléontologie à Jussieu. Elle a travaillé, sur recommandation de Jack Horner, avec Jorge Cubo et Armand de Ricqles, tous deux spécialistes des tissus (histologie) squelettiques. Enfin, elle a enchaîné avec un doctorat aux États-Unis, à l’université (Montana States university). Depuis, elle travaille elle aussi sur les tissus d’espèces vivantes et éteintes qu’elle inspecte au microscope.

Une opportunité en Chine

Elle a obtenu un post-doctorat à l’université en 2015 dans un laboratoire de l’université du Missouri. À l’occasion d’une conférence pendant laquelle a présenté son travail, Alida Bailleul a été invitée à aller s’installer en Chine, sur invitation de Jingmai O’connor, de l’Institut de paléontologie des vertébrés et de paléoanthropologie de Pékin. Elle était alors professeure à l’Académie des sciences chinoises. "J’ai saisi l’opportunité qui n’allait surement pas se représenter un jour !" Entre 2018 et 2020, elle a été post-doctorante, elle est depuis 2020 chercheuse associée à l’Académie des sciences chinoises dans un institut de recherche sur la paléontologie des vertébrés et la paléoanthropologie.

À ce titre, elle a eu l’occasion de rencontrer le premier ministre chinois, Li Kepiang en janvier 2021 dans le bâtiment appelé Great Hall of the People non loin de la place Tiananmen à Pékin. Une expérience inoubliable. Cette rencontre a eu lieu à l’occasion d’une réunion d’experts étrangers vivants en Chine, ils étaient entre 30 et 40. Seule deux femmes étaient présentes, Alida Bailleul étant la plus jeune de tous les participants.

Elle dit adorer sa vie dans ce grand pays. Elle habite la capitale, Pékin, une ville active, habitées par des personnes aux multiples origines. Elle a accès à de nombreuses cultures et à de nombreuses manifestations culturelles, elle peut en plus découvrir des pays voisins : Le Cambodge, la Thaïlande, les Philippines "ou bien encore Hainan, similaire à Tahiti !". Toutefois, "Tahiti me manque beaucoup, j'essaye de revenir en vacances autant que je peux."

Professionnellement, elle ne se concentre pas seulement sur la mise au point d’une technique d’identification de l’ADN, elle continue à s’intéresser au vivant et à l’évolution. "Par exemple", illustre-t-elle, "comment est-on passé d’un crâne dinosaurien à crâne avien ? Comment les animaux mangeaient-ils, étaient-ils flexibles ou pas ? Quand on est scientifique, on a des millions de projets !"

Elle regrette le manque d’opportunités scientifiques en Polynésie. "C’est un hotspot de biodiversité, c'est vraiment dommage qu'il n'y ait pas plus d'opportunités scientifiques notamment en biologie marine, biologie végétale ou biologie de la conservation." La Polynésie est un trésor, Alida Bailleul est convainque qu’il y a beaucoup de jeunes chercheuses et chercheurs en sommeil à Tahiti, "mais elles/ils ne peuvent pas poursuivre une carrière scientifique car il faut partir pour faire des études ailleurs (comme moi). Ensuite, il n'y a pas assez de laboratoires scientifiques pour les embaucher à leur retour. Il faudrait vraiment que cela change, ce serait bénéfique pour tout le monde ! Les Polynésiennes et Polynésiens, la Science et la biodiversité de la planète… Qui sait quels trésors scientifiques se cachent encore en Polynésie ? "


Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 28 Avril 2021 à 19:16 | Lu 7921 fois