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Air Moorea : La défense plaide les "incertitudes" du dossier


Tahiti, le 26 novembre 2019 - Les avocats de la défense ont tous plaidés la relaxe au procès en appel du crash d’Air Moorea, en soulignants les "incertitudes" et les "hypothèses" qui jalonnent selon eux le dossier. Après deux semaines d’instruction, la cour met son jugement en délibéré au 23 janvier 2020.
 
Lundi, à l’issue d’un réquisitoire de près de 2 h 30, l’avocat général, a demandé à la cour de reconnaître que l’accident du vol d’Air Moorea est dû à la rupture du câble de cabrage du Twin Otter, ce jeudi 9 août 2007 peu après le décollage, vers midi. Cette défaillance matérielle est la conséquence, selon l’accusation, de "négligences" dans le système de maintenance de la compagnie aérienne. Brigitte Angibaud requiert d’entrer en voie de condamnation pour homicide involontaire à l’encontre des huit prévenus, responsables techniques, administratifs d’Air Moorea, et des autorités chargées du contrôle à l’aviation civile, pour avoir pris part à un "schéma d’ensemble" dans lequel ils "ne peuvent pas prétendre avoir ignoré que leurs négligences faisaient courir un risque aux usagers de la compagnie".
 
Pour le ministère public, cet accident du vol 1121 d’Air Moorea qui avait causé la mort brutale de 20 personnes est lié à cette "cause certaine" . Il est la conséquence d'un "système vicié qui ne pouvait déboucher, un jour ou l’autre, que sur une catastrophe."
 
Cependant, lundi et mardi, les avocats de la défense se sont succédé pour dénoncer les "hypothèses" et les "incertitudes" qui jalonnent ce dossier, selon eux, et sur lesquelles repose l’accusation. "Au final on note que, après une longue instruction, un long procès en correctionnelle, plusieurs jours de débat en appel, il n’y a toujours pas de certitude. Il n’y a toujours que des hypothèses pour déterminer la cause de l’accident", a constaté Me Simon Ndiaye.
 
Ce doute, illustré par la défense au fil du procès par le témoignage de plusieurs experts venus déconstruire les affirmations du rapport du Bureau d'enquête et d'analyse (BEA), doit être regardé comme un sérieux problème de droit par la cour. Les avocats l’ont rappelé : en matière pénale le "doute doit bénéficier aux prévenus".

L’infraction d’homicide involontaire est un délit de nature non-intentionnelle. Compte tenu des circonstances de l’affaire du crash d’Air Moorea, l’accusation a le devoir d’apporter la preuve qu’un lien certain de causalité existe entre ce qui est reproché aux prévenus et l’accident aérien du 9 août 2007. Et, à supposer qu’un lien de causalité puisse être établi, pour que la faute soit qualifiée pénalement, il faut au surplus que les prévenus aient eu une connaissance certaine du danger auquel leurs négligences exposaient autrui.
 
"Un lien incertain ne peut évidemment pas servir de fondement à une poursuite pénale", a résumé mardi après-midi Me François Quinquis, l’avocat de Freddy Chanseau, dirigeant responsable de la compagnie Air Moorea en 2007. 
 
Et, comme l’a dit Me Laurence Bryden à la cour, "même à supposer que la cause certaine de l’accident est la rupture du câble, vous ne pourrez jamais établir que cette rupture est la conséquence de son d’usure : Si vous n’êtes pas sûrs de pouvoir motiver, vous devrez relaxer. Condamner au bénéfice du doute, c’est rendre une décision par décret"
 
Il reste dans ce dossier du crash d’Air Moorea, 12 ans après les faits, sur le banc des parties civiles, une douleur qui ne disparaitra probablement pas, et le besoin impérieux que justice soit faite à leurs chers disparus. Pourtant, comme l’a souligné Me Simon Forman à l’adresse de la cour et des parties civiles, "la vérité n’est pas une chose enfouie au fond du jardin, et qu’il suffirait d’aller déterrer. Parfois la vérité est piégée dans le passé et ne pourra jamais être connue". C’est pourtant une vérité judiciaire qu'a le devoir de rendre la cour dans son arrêt, le 23 janvier prochain.

"Les experts judiciaires disent tout et son contraire"

Me François Quinquis, avocat de Freddy Chanseau, dirigeant responsable d'Air Moorea à l'époque du crash.

Insister sur cette notion de doute, c’était capital pour la défense ?

Ce qui était important pour la défense, c’était de tenter de démontrer que le câble [de gouverne arrière du Twin Otter, ndlr] n’a pas pu se rompre pendant le vol. Les différents intervenants au soutien des prévenus l’ont, je pense, parfaitement démontrés. Ça ne peut pas être le câble qui soit à l’origine de l’accident. Cela ne se peut d’abord en raison de la nature des endommagements constatés, ensuite et surtout en raison de la résistance résiduelle que ce câble présentait, nonobstant le taux d’usure, d’après les différents essais de traction réalisés par les laboratoires les plus célèbres et les plus compétents. Je rappelle qu’un câble neuf a une capacité d’effort de 800 kilos. Un câble usé à 54% présente une résistance à l’effort de 500 kg. (…) Il n’est pas possible, au travers de cette résistance résiduelle, que le câble se soit cassé en vol.
 
Selon vous les rapports des experts judiciaires ne sont-ils pas concluants ?
Les experts judiciaires disent tout et son contraire. A telle enseigne que la semaine dernière, lorsqu’il a été entendu, l’expert judiciaire a cru devoir remettre ce qu’il appelle un rapport de synthèse, mais en réalité c’est un nouveau rapport avec des valeurs qui contredisent son propre rapport judiciaire, et qui en plus sont totalement contredits par les essais réalisés en laboratoire par le BEA [Bureau d'enquête et d'analyse, ndlr]. Donc tout cela n’est pas très digne et en toute hypothèse, n’est pas crédible.
 
Toutes ces incertitudes dans le dossier posent problème selon vous pour la qualification pénale d’homicide involontaire ?
Cela fait plus que poser problème. Pour qu’il y ait une infraction pénale d’homicide involontaire, il faut qu’il y ait une infraction. S’il n’y a pas eu d’accident par le biais d’une rupture du câble en vol, par définition il n’y a pas d’infraction et il n’y a pas de poursuites possibles. Mieux encore : dans ce domaine, il faut rapporter la preuve d’un lien de causalité certain et que la causalité soit au moins indirecte avec la faute qualifiée. Or ici –et c’est le moins que l’on puisse dire– vous n’avez aucune certitude quant à la réalité de la négligence, donc quant à la réalité de ce lien de causalité.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mardi 26 Novembre 2019 à 16:32 | Lu 1718 fois