Tahiti Infos

Affaire des procurations : Les policiers s'estiment boucs émissaires


Tahiti, le 18 août 2020 - Au lendemain des révélations de Tahiti Infos sur la suspension de cinq policiers dans l'affaire des procurations litigieuses lors des dernières municipales, plusieurs voix s'élèvent à la DSP pour demander de faire le tri dans les "responsabilités" qui ont conduit à cette situation, notamment entre les agents et l'organisation du service.
 
La suspension des cinq policiers de la Direction de la sécurité publique (DSP) dans l'affaire des procurations lors des dernières élections municipales a beaucoup fait réagir ces derniers jours au sein de la police nationale au fenua. Si les agents suspendus et leurs avocats ne souhaitent pas s'exprimer pour "apaiser les choses" dans l'attente des conseils de discipline prévus pour octobre, plusieurs syndicats policiers et agents appellent à ne pas cristalliser les accusations sur les seuls fonctionnaires de police. "C'est tout un système inadapté qui pose problème, mais là on en a fait des boucs émissaires", estimait hier un policier sous couvert d'anonymat.
 
À la suite de nos révélations hier dans ce dossier, le syndicat Alternative Police CFDT a réagi dans la journée : "Nous espérons que l'enquête a été menée en toute impartialité au niveau administratif et que le conseil de discipline permettra aux différents avocats de prendre connaissance du dossier et de défendre l'honneur de nos collègues. Nous demandons, à titre syndical, à travers les réseaux sociaux, de ne pas jeter l'opprobre sur nos collègues avant la fin de la procédure". Le syndicat majoritaire à la DSP, affilié FO, n'a pas souhaité s'exprimer publiquement pour l'heure, mais indique avoir saisi son bureau national sur ce dossier.
 
Dénonciations politiques
 
A l'origine de l'affaire, les accusations de l'ancien maire de Arue, Philip Schyle, au lendemain du second tour des dernières élections municipales perdues de 79 petites voix face à Teura Iriti. Le tāvana déchu avait dénoncé à l'époque des "irrégularités" dans plusieurs dizaines de procurations réalisées à la DSP. À Papeete, le maire pourtant réélu Michel Buillard avait également emboité le pas de son collègue du Tapura, visant lui aussi les procurations établies à la DSP. Déjà, en début d'année, le tāvana de Rurutu, Frédéric Riveta, avait alerté les autorités sur l'établissement d'un grand nombre de procurations au commissariat à Papeete avant l'élection.
 
Mais c'est surtout le candidat de Arue, Tepuanui Snow, qui avait expliqué en détail le nœud du problème lors d'une conférence de presse dans les jours suivant le second tour : "Des représentants d'une liste concurrente passent quotidiennement de foyers en foyers afin de faire signer à leurs occupants ayant la qualité d'électeurs sur Arue une attestation donnant procuration à un tiers dans le cadre du second tour des élections municipales. Lorsque ces personnes demandent si elles ne devraient pas plutôt se rendre à la gendarmerie située à Mahina, il leur est répondu qu'une personne de la DSP se charge d'enregistrer les attestations pour leur éviter le déplacement."
 
Plusieurs plaintes au pénal ont été déposées par les candidats aux élections. Et en parallèle, le haut-commissaire a demandé trois enquêtes administratives sur les conditions d'établissement des procurations pour les communales de Arue et Papeete, mais aussi pour le premier tour des municipales à Rurutu. C'est une fois ces enquêtes terminées que le haut-commissaire a suspendu par arrêté "à titre conservatoire" cinq agents, qui devront expliquer les conditions dans lesquelles les procurations ont été établies devant un conseil de discipline.
 
Faire le "tri" dans les "responsabilités"
 
Selon plusieurs sources judiciaires concordantes, les policiers auxquels il est reproché des irrégularités dans l'établissement de ces procurations se défendent aujourd'hui en assurant s'être conformés à une note de service permettant aux agents d'accueil de recevoir les procurations avant de les faire signer par un officier de police judiciaire, alors que la procédure légale impose que l'officier de police judiciaire identifie formellement le dépositaire de la procuration. Une procédure destinée à désengorger une activité administrative particulièrement chronophage à la DSP, lorsque des centaines de demandes de procurations sont déposées sur une courte période avant les élections.
 
Problème : cette procédure a pu induire un "manque de contrôle" sur certaines procurations, voire "quelques abus exploités par cette faille dans le système", concède une source judiciaire. En effet, les enquêtes administratives ont bien établi que le nombre des procurations déposées pour ces élections avait été particulièrement élevé et que des dizaines de procurations avaient été déposées par des proches de candidats aux dernières municipales. Toute la question des procédures pénales et disciplinaires étant de savoir si des agents ont pu sciemment laisser passer ces procurations, en raison de leurs "liens" notamment "familiaux" avec un clan politique ou un autre. Ce dont se défendent aujourd'hui les policiers mis en cause. "Globalement on a un peu laissé faire, maintenant il faut que les responsabilités soient prises et que l'on fasse le tri entre ceux qui ont pu commettre une faute et ceux qui étaient simplement là en bout de chaîne", estimait hier une source policière.
 
Reste qu'en dehors de ces questions de responsabilités d'agents ou d'organisation du service, la question principale est celle de la validité desdites procurations qui se trouve bien mise à mal aujourd'hui. Et celle-ci risque donc de peser fortement sur les recours en annulation des élections municipales déposés à Arue et Papeete.
 
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mercredi 19 Août 2020 à 09:01 | Lu 6128 fois