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Affaire Sarah Nui : "Engrenage", "remords" et "coïncidences" pour la défense


 
Tahiti, le 8 octobre 2020 – Le procès de l’affaire Sarah Nui s’est achevé jeudi après-midi au terme de neuf jours de débats avec les plaidoiries de la défense. Si l’avocat de Maitai Danielson a réaffirmé que son client avait été impliqué à tort dans le cadre de ce trafic, celui de Tamatoa Alfonsi a qualifié son client d’"amateur", paré d’un habit "bien trop grand pour lui". Le tribunal correctionnel rendra son délibéré vendredi.
 
C’est par une réflexion sociologique sur l’ice en Polynésie que l’avocat de Maitai Danielson, Me James Lau, a débuté sa plaidoirie jeudi après-midi devant le tribunal correctionnel de Papeete en ce neuvième jour du procès de l’affaire Sarah Nui. À la barre, l’avocat a affirmé que si l’ice constituait un réel problème de santé publique, il fallait également s’interroger sur le sucre et sur la "CPS qui croule sous les milliards" en raison des pathologies causées par ce dernier. Sans grande surprise, puisque Maitai Danielson, soupçonné d’avoir codirigé un trafic avec Tamatoa Alfonsi qui avait permis l’importation de 40 kilos d’ice en Polynésie, a toujours nié les faits, Me James Lau a tenté de démontrer qu’il avait juste été un "compagnon de trip et de fête" d’Alfonsi. Concernant les 40 passages de son client en 10 mois à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, l’avocat a expliqué que cela ne représentait "rien". "Quand on habite à 20 minutes de la frontière, cela ne représente pas grand-chose mais dès que l’on se trouve dans un dossier lié à l’ice, cela devient beaucoup", a-t-il affirmé avant d’évoquer tous les éléments matériels et les témoignages impliquant directement son client comme ayant été associé avec Alfonsi. "Les coïncidences des rencontres ne constituent pas des éléments de preuves". L’avocat a conclu son propos en affirmant que les infractions reprochées à son client n’étaient pas "établies" et que ce dernier n’était qu’un "surfeur".
 
De son côté, l’avocat de Tamatoa Alfonsi, Me Smaïn Bennouar, a entamé sa plaidoirie par une phrase du philosophe, Friedrich Nietzche, selon laquelle "quand on lutte contre des monstres, il faut prendre garde de ne pas devenir monstre soi-même. Si tu plonges dans l’abîme, l’abîme finit par ancrer son regard en toi." C’est ainsi que Me Bennouar a en effet voulu approcher la situation de Tamatoa Alfonsi, qui a côtoyé au Mexique ce qu’il y a de "plus sordide", les "exécutions sommaires", les "achats rapides et peu chers" d’ice. "C’est un amateur qui fait n’importe quoi, qui merde et auquel on fait porter un habit bien trop grand." Bien que Me Bennouar ait concédé que son client ait été à l’origine de cette "ersatz d’organisation" et qu’il était passé du "statut de consommateur à celui de dealer", il a affirmé qu’il n’était qu’un "épisode dans la triste histoire de l’ice en Polynésie française".
 
Engrenage et remords
 
Avant que les avocats des deux têtes de réseau ne plaident en fin de journée, ce sont les conseils de plusieurs des prévenus les plus impliqués dans le trafic qui s’étaient présentés à la barre dont l’avocate de Rarahu Pambrun, Me Isabelle Nougaro. Face aux six ans requis contre sa cliente, ex-compagne de Tamatoa Alfonsi à laquelle il est notamment reproché d’avoir envoyé 50 millions de Fcfp à ce dernier au Mexique, l’avocate a affirmé que la jeune femme avait été prise dans un "engrenage". "Il apparaît dans la procédure qu’elle n’a pas agi en important directement de l’ice. Elle n’a, à aucun moment, fait les choses de sa propre initiative, sans l’aval de Tamatoa Alfonsi", a-t-elle expliqué avant de souligner l’"emprise" exercée sur Rarahu Pambrun par son compagnon. Évoquant l’ancienne addiction de sa cliente à l’ice, Me Isabelle Nougaro a tenu à souligner les efforts faits par cette dernière : "Elle s’est battue contre elle-même, elle s’est battue pour retrouver son chemin et elle mérite aujourd’hui de pouvoir s’occuper de sa fille."
 
Pour la défense de Gilles Morat, le "patron à Tahiti" et gros revendeur de Huahine, Me Curt a souligné la lourdeur des neuf ans requis à son encontre en amont de sa plaidoirie. Prenant acte des 13 condamnations déjà inscrites au casier judiciaire de son client, l’avocat s’est évertué à démontrer que Gilles Morat avait changé car il éprouvait des "remords". Des remords concernant sa compagne, Soria Anouilh, elle aussi poursuivie dans le cadre de ce trafic. "C’est un grand souci pour lui car il l’a entrainée dans ses errements, il l’a mise à la drogue et il est certain qu’elle ne se serait jamais retrouvée ici si elle ne l’avait pas rencontré." Mais aussi des remords concernant sa fille, née d’une autre union et qu’il n’a pas revue depuis plus de quatre ans. 
 
Au terme de ces deux semaines de procès, le tribunal correctionnel rendra son délibéré vendredi après-midi. Rappelons que les deux boss du réseau, Tamatoa Alfonsi et Maitai Danielson, jugés en état de récidive légale, encourent vingt ans de prison ferme.
 

Rédigé par Garance Colbert le Jeudi 8 Octobre 2020 à 23:59 | Lu 4529 fois