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Affaire Écoparc : 15 mois de sursis requis contre Dominique Auroy et Jean-Christophe Bouissou


Jean-Christophe Bouissou et Dominique Auroy à la sortie de la salle d’audience, ce mardi, au tribunal correctionnel de Papeete. Crédit photo : Thibault Segalard.
Jean-Christophe Bouissou et Dominique Auroy à la sortie de la salle d’audience, ce mardi, au tribunal correctionnel de Papeete. Crédit photo : Thibault Segalard.
Tahiti, le 17 juin 2025 - Le parquet a requis, ce mardi matin, quinze mois de prison avec sursis et deux millions de francs d’amende contre Dominique Auroy et Jean-Christophe Bouissou, poursuivis pour prise illégale d’intérêts dans le cadre du projet Écoparc. En cause : un contrat publicitaire signé entre une société de l’homme d’affaires et la radio de l’ancien ministre, peu avant son entrée au gouvernement.
 
Vacuité”, “fantasmagorique”, “vide”, “bâclée”, “à charge”, “caricaturale”. L’artillerie rhétorique déployée par les avocats de Dominique Auroy et Jean-Christophe Bouissou, ce mardi au tribunal correctionnel de Papeete, visait clair : discréditer une enquête qu’ils jugent infondée. Leurs clients sont poursuivis pour prise illégale d’intérêts dans ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Écoparc du nom du projet touristique pharaonique porté par l’homme d’affaires Auroy, dans la vallée de la Papenoo.
 
Selon le parquet, les deux prévenus auraient mêlé affaires privées et responsabilités publiques. Dominique Auroy, promoteur du projet, aurait profité de ses sociétés pour financer, de manière indirecte, un soutien politique. Jean-Christophe Bouissou, alors dirigeant de fait de la radio associative Taui FM, aurait perçu une rémunération déguisée via un contrat publicitaire passé avec une régie contrôlée par Auroy, qui possédait alors les radios Rires et chansons et NRJ. En contrepartie, il aurait défendu le projet Écoparc une fois devenu ministre du Tourisme.
 
Des pots-de-vin déguisés ?
 
L’histoire remonte à 2014. Cette année-là, la Régie polynésienne de publicité (RPP), propriété de Dominique Auroy, signe une convention avec Taui FM, radio présidée par Jean-Christophe Bouissou, dont l’épouse est également directrice. L'accord prévoit que RPP commercialise les espaces publicitaires de la station et lui reverse les recettes générées.
 
Sur le papier, l’opération commerciale est anodine. Dans les faits, elle développe une manne conséquente : environ trois millions de francs par mois, soit 52 millions de francs jusqu’à la résiliation du contrat en octobre 2015. “Le contrat passé entre les régies était une mauvaise affaire, c’est pour cela que je l’ai résilié”, avance aujourd’hui Dominique Auroy.
 
Mais un détail dérange : deux semaines après la signature, Jean-Christophe Bouissou entre au gouvernement d’Édouard Fritch en tant que ministre… du Tourisme. Quelques mois plus tard, il devient un ardent soutien du projet Écoparc, qui prévoit hôtels, golf et même téléphérique dans la vallée. Un projet vivement critiqué par plusieurs associations environnementales.
 
Pour le ministère public, la séquence ne relève pas de la coïncidence mais de la stratégie. Le contrat publicitaire aurait masqué un système de rétribution en échange d’un soutien politique. “En contrepartie, vous auriez effectué un certain nombre de versements par le biais de la régie publicitaire”, résume le président du tribunal. La procureure requiert 15 mois de prison avec sursis et deux millions de francs d’amende pour chacun des deux prévenus.
 
Une ligne de défense coordonnée
 
À la barre, Auroy, Bouissou et leurs avocats affichent un front commun. Le premier dénonce un règlement de comptes, orchestré, selon lui, par son ancien associé Pierre Marchesini, à l’origine du signalement ayant déclenché l’enquête. “Il a très mal pris que je l’aie renvoyé. Il est très sanguin, il est entré en délation”, tranche Auroy. Marchesini, ancien directeur du groupe La Dépêche, avait en effet évoqué l’affaire lors d’une autre audition, parlant de “vengeance" personnelle contre son ancien patron.
 
L’ancien ministre, de son côté, insiste : au moment de la signature du contrat, il n'était pas encore au gouvernement. “Je ne savais pas que Gaston Flosse allait être destitué ni qu’Édouard Fritch allait me nommer ministre. Je n’avais aucun pouvoir sur le projet à cette époque.”
 
Concernant le comité de pilotage du centre de l’île de Tahiti – soupçonné d’avoir servi de plateforme politique au projet Écoparc – Jean-Christophe Bouissou affirme n’en avoir jamais été président. De plus, “ce comité a été institué plusieurs mois après la fin du contrat avec RPP et il ne mentionne jamais le projet Écoparc”, insiste-t-il.
 
Une amitié à géométrie variable
 
Dernier point d’achoppement : les relations personnelles entre les deux hommes. Dominique Auroy parle d’une amitié. “Amitié ne veut pas dire malhonnêteté !” dit-il d’ailleurs à la barre. Ce que le président du tribunal nuance : “Vu de l’extérieur, on dirait tout de même qu’un ami use de son influence pour aider un autre.” L’ancien ministre, plus mesuré, évoque une simple relation de convivialité : une connaissance avec qui il partageais un bon cigare, une bonne bouteille de vin. “Je suis en politique depuis plus de 30 ans. Je connais tout le monde”, élude-t-il.
 
“Affaire bâclée”
 
Du côté des avocats, l’unisson est également de rigueur. L’avocat parisien de Dominique Auroy s’indigne : “Comment aurait-on pu anticiper en août 2014 la chute de Gaston Flosse, puis la nomination de Fritch, et ensuite celle de Bouissou au Tourisme ?”
 
Me Piriou, conseil de Jean-Christophe Bouissou, tire à boulets rouges sur une procédure qu’il qualifie de “bâclée” et “pathétique”, et note la possible prescription de l’affaire. Tous deux demandent la relaxe pure et simple de leurs clients. Le jugement a été mis en délibéré au 24 juin.
 

Rédigé par Thibault Segalard le Mardi 17 Juin 2025 à 16:42 | Lu 2345 fois