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Abus sexuels: l'indemnisation, un droit mal connu des victimes


Paris, France | AFP | mercredi 15/05/2018 - Un box des accusés vide, un agresseur insolvable ou en fuite: pour les victimes d'abus sexuels, les procédures judiciaires sont souvent une épreuve de plus. Un dispositif peu connu leur permet toutefois d'obtenir réparation, parfois même en l'absence d'une condamnation.

Lors d'un procès, lorsque le juge ordonne le versement de dommages et intérêts, la victime doit parfois courir après l'auteur pour récupérer les sommes dues ou y renoncer lorsqu'il est insolvable, mort ou en fuite.

Et quand le montant est versé, il constitue souvent une douloureuse piqûre de rappel: celui de cet "argent sale" envoyé par l'agresseur dont l'intitulé apparaît chaque mois sur les relevés bancaires.

Pour éviter ces deux écueils, une solution s'offre aux victimes: elles peuvent saisir la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions (Civi) - une juridiction indépendante du juge pénal - qui évalue le préjudice. Charge ensuite au Fonds de garantie des victimes du terrorisme et d'autres infractions pénales (FGTI) de verser la somme correspondante, selon un barème pré-établi.

A l'heure où l'Assemblée nationale examine cette semaine le projet de loi sur les violences sexuelles et sexistes, cette procédure reste toutefois peu connue du grand public.

"Pour ma part, je saisis systématiquement la Civi", explique à l'AFP Me Elodie Schortgen, une avocate parisienne qui défend des dizaines de victimes de viol et d'agression sexuelles chaque année.

- 20.000 euros pour un viol -
Les magistrats qui siègent à la Civi, une instance présente dans chaque tribunal de grande instance, doivent d'abord étudier la "recevabilité" des dossiers et évaluer le préjudice, avant de saisir le FGTI.

"L'existence de cette procédure est beaucoup plus sécurisante. Les victimes vont pouvoir débattre de tous leurs préjudices avec un interlocuteur qui n'est pas l'agresseur, ça permet d'avoir un lieu plus apaisé". Et des "réparations beaucoup plus cohérentes que devant des juridictions pénales", argumente Me Schortgen.

Et ce, même en l’absence de jugement --par exemple si l’auteur des faits n’a jamais pu être identifié-- ou en cas de relaxe ou d'acquittement, afin que la victime ne soit pas pour autant laissée sans indemnisation. 6 à 10% des victimes indemnisées sont prises en charge malgré l'absence de condamnation de l'auteur.

Gratuite, la procédure auprès de la Civi ne requiert pas d'avoir un avocat.

"Comment mettre un montant sur une souffrance ? C'est la partie la plus délicate", explique-t-on au FGTI, car après un abus sexuel, les préjudices prennent différentes formes : troubles dans les conditions d'existence, préjudice sexuel ainsi que le préjudice d'affection qui touche les victimes "par ricochet" (conjoint, parents, enfants)...

Le plus souvent, les demandes des victimes sont calquées sur les sommes allouées par le juge pénal.

En passant par cette procédure, les victimes de viols touchent en moyenne 20.000 euros, 5.000 pour les agressions sexuelles (30.000 pour les viols aggravés, commis par un ascendant, à l'aide d'une arme ou en réunion par exemple).

- Libération de la parole -
Près de 4.000 victimes sont indemnisées chaque année: 3.500 l'ont été en 2017 (35% de viols, 65% d'agressions sexuelles) pour 34,3 millions d'euros versés. Il s'agit en très grande majorité de femmes (82%), mineures (81% pour les agressions sexuelles, 73% pour les viols).

La procédure permet de recevoir un versement unique, plutôt qu'un virement mensuel pendant quinze ans par un auteur incarcéré.

Le FGTI, financé par une contribution de 5,90 euros prélevée sur chacun des 80 millions de contrats d'assurance de biens signés en France, actionne "toutes les voies de recours pour récupérer le maximum de ressources", notamment auprès de l'auteur, "une source de financement assez faible mais qui évite de faire encore une fois appel à la solidarité nationale", explique son directeur général, Julien Rencki.

Alors que 220.000 personnes par an se disent victimes de violences sexuelles sans pour autant systématiquement porter plainte, le FGTI voudrait voir le nombre de personnes indemnisées s'aligner sur ces chiffres, à l'heure de la libération de la parole sur les abus sexuels dans le sillage de l'affaire Weinstein.

D'autant, souligne-t-il, que "les études montrent que le nombre de victimes d’agressions sexuelles est bien plus important que toutes celles que nous indemnisons. Ces victimes doivent exercer ce droit qui est le leur".

Rédigé par () le Mercredi 16 Mai 2018 à 06:36 | Lu 630 fois