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A l'orée d'une période cruciale, l'art kanak prend la parole


A l'orée d'une période cruciale, l'art kanak prend la parole
PARIS, 14 octobre 2013 (AFP) - Alors que la Nouvelle-Calédonie entre dans une période politique cruciale qui la conduira à choisir ses liens avec la France, l'art kanak investit le Quai Branly du 15 octobre au 26 janvier pour une exposition rare.

"Kanak, l'art est une parole" incarne le cheminement des accords de paix de Matignon (1988), puis de l'accord de Nouméa (1998) qui a lancé le processus de décolonisation et reconnu "pleinement" l'identité kanak.

"Il y a une fierté à voir le nom +kanak+ placardé partout" dans Paris, relève Emmanuel Kasarhérou, commissaire, d'autant que la première exposition sur l'art kanak remonte à 1934 au Musée d'ethnographie de Paris et que la seconde "De jade et de nacre" date de 1990 et avait d'abord été montée à Nouméa.

La flèche faitière de l'affiche symbolise "la parole qui surmonte la grand case, faite pour être vue de loin, et on la retrouve aussi dans le drapeau kanak", souligne celui qui fut le premier directeur du Centre culturel Tjibaou, du nom du leader indépendantiste instigateur du renouveau identitaire kanak dans les années 70, et négociateur de la paix en 1988 après le drame de la grotte d'Ouvéa.

Cette exposition, qui prendra le chemin de Nouméa en mars 2014, "est aussi une manière de marquer le temps qui passe", estime M. Kasarhérou. "Notre culture a des valeurs qui ne doivent pas être remisées au musée des valeurs: le partage, qui en est au coeur, peut servir à construire un avenir", insiste-t-il.

Tout un message aux élus calédoniens qui seront tous présents lundi soir pour l'inauguration officielle avec le Premier ministre Jean-Marc Ayrault. De retour sur le Caillou, ils auront la responsabilité d'inventer un "destin commun" et d'organiser d'ici 2018 un référendum d'autodétermination.

320 oeuvres et objets exceptionnels sont présentés sur 2.000 m2 dans un cheminement à deux voix: celles des kanak qui parlent à la première personne du pluriel et qu'on entend par des chants, et le reflet, c'est-à-dire l'image que l'Autre, l'Européen colonisateur, a voulu imposer dans une propagande humiliante.

'Des objets qui n'avaient pas vocation à être conservés'

Ce parcours "n'est pas anthropologique mais épouse la logique des langues kanak, qui sont à la fois un véhicule de communication et un marqueur identitaire fort", explique M. Kasarhérou, qui se réjouit que 28 langues kanak demeurent encore vivantes dans l'archipel.

C'était tout le défi de cette exposition: donner à voir "un patrimoine immatériel, une tradition orale, à travers des objets qui n'avaient pas vocation à être conservés", souligne M. Kasarhérou. "L'important pour nous (Calédoniens,ndlr), c'est le savoir-faire, pas l'objet lui-même ! La transmission est essentiellement immatérielle", insiste-t-il.

Le visiteur déambule entre des haches-ostensoirs à lame de jade, objets de prestige et d'échange entre grandes chefferies, vers des sculptures monumentales liées à la maison (flèches faîtières de plusieurs mètres de haut, chambranles sculptés, etc.), des couteaux à igname dont la culture rythme la vie de la communauté, une grandes séries de masques de deuil et des objets personnels de parure (colliers, casse-tête phallique).

"On connaît des expositions où on ressort toujours les mêmes pièces. Là, nous avons eu la chance de mener une opération d'inventaire raisonné d'objets kanak" détenus dans une quarantaine de musées européens, se félicite Roger Boulay, co-commissaire de l'exposition. "On a multiplié par 5 ou 6 le corpus d'oeuvres dont nous disposions", souligne l'ethnologue, qui a débuté ce travail de fourmi après une rencontre en 1979 avec Jean-Marie Tjibaou.

Ce dernier, visionnaire, "voulait cet inventaire pour savoir ce qu'on disait des oeuvres, pas dans un désir de restitution", assure M. Boulay. D'ailleurs "ce patrimoine dispersé est le meilleur ambassadeur de notre culture", renchérit Emmanuel Kasarhérou.

"Ces objets voyagent et reviennent de temps en temps en Nouvelle-Calédonie dire bonjour aux ancêtres", poursuit Roger Boulay. Ce sera notamment le cas de la hache-ostensoir, qui avait quitté la Grande Terre en 1793 avec l'amiral français Antoine Bruny d'Entrecasteaux.

"Notre identité est devant nous", disait inlassablement Tjibaou. Preuve des mutations fécondes de cette identité, l'exposition se clôt sur deux artistes kanak trentenaires. Stéphanie Wamytan revisite les "robes mission" autrefois imposées par l'église aux femmes trop dévêtues à son goût, tandis que Paul Wamo slame les paroles de Tjibaou.

Rédigé par () le Lundi 14 Octobre 2013 à 05:40 | Lu 319 fois